Pan: cinquante ans de dérision

L'hebdomadaire satirique "Pan", fondé tout juste après la seconde guerre mondiale par deux farceurs anarchisants mais talentueux (dont Léo Campion auteur d’un “dictionnaire subversif" ) fut très vite absorbé pour une croûte de pain par le comte Yvan du Monceau de Bergendal, d'abord avocat puis nommé substitut du Procureur du Roi de Bruxelles en 1940. Il fut en délicatesse avec ses supérieurs, à la libération, pour des raisons relativement obscures." En 1940, dit l’auteur, il crut comme tout le monde que l’Allemagne avait gagné la guerre."
A la suite de quoi, le comte, en disponibilité à la libération, avait sans doute quelques comptes à régler, ce qu'il fit durant quarante ans avec des fortunes diverses.
Mais la grande recrue de Pan, d’emblée, fut le dessinateur-caricaturiste Alidor, alias Paul Jamin, Un talent singulier, inégalé, mais qui avait sévi pendant la guerre (sous le nom de Jam) en publiant des dessins antisémites dont l'auteur du livre souligne d'ailleurs le côté " honteux ".Il fut condamné à mort puis gracié. .
Depuis plus de 50 ans, on achète Pan d'abord pour les dessins d'Alidor dont chacun se délectait de semaine en semaine: sa manière inimitable de croquer visages et situations politiques confinait souvent au chef-d'oeuvre. Une de ses victimes, le ministre Henri Simonet, pourtant crûment caricaturé, avait tapissé un des murs de son bureau des principaux dessins de l'artiste à lui consacrés; celui-ci se faisait quelques suppléments en revendant les originaux à certaines de ses victimes devenues consentantes sinon reconnaissantes.
Sous la férule du comte du Monceau et avec l'aide de chroniqueurs souvent étincelants ( par exemple Robert Poulet, condamné à mort de l’épuration et qui patienta trois ans avant d’être gracié ), "Pan" se contentait de quatre petites pages censées être lues de bout en bout: la première page consacrée à l'actualité belge observée et décrite sous l'angle de la dérision, les chroniques redoutables sur le cinéma, la littérature, l'opéra, les ...décès, ( sous la plume de Poulet dit Pangloss) les milieux judiciaires, la page 2 consacrée aux mesquineries et surtout à la description des arcanes et des comportements des hommes politiques, saisis de l'intérieur du microcosme.
Chaque mercredi, les lecteurs achetaient "Pan “ les yeux fermés. Cet hebdomadaire, qu’il ne faut pas confondre avec le “ Canard enchaîné" franchement orienté à gauche, se distinguait, mais cette fois à droite ( et non à l'extrême droite) par la qualité, la férocité l'injustice parfois, mais aussi la pertinence, la justesse, le brio de ses analyses.
Le comte du Monceau profitait de son expérience technique de magistrat pour interroger par téléphone, des heures entières, tout un réseau de correspondants surtout désireux de conserver l'anonymat. Après quoi, le comte livrait ses notes à ses collaborateurs qui élaguaient et en fabriquaient un écho destiné à faire le tour du landerneau. "Pan “ eut peu de procès mais les inimitiés ne lui furent pas comptées.
Pan commença à décliner lorsque Alidor eut un différend avec la direction, et quitta la journal pour fonder ,avec Henri Vellut, "Le Père Ubu".
Les " belles années étaient passées." du Monceau essaya à diverses reprises de trouver un repreneur et finit par convaincre Stephan Jourdain (qui se décida en 1988 et garda les rênes pendant dix ans) et ensuite l’inattendu Paul Vanden Boeynants, ancien Premier Ministre (qui en devint l’éditeur responsable). Aux dernières nouvelles, le quadragénaire Dominique Janne, producteur de films de son état ( “le Maître de musique “, " les convoyeurs attendent" etc) a repris le flambeau et se donne deux ans pour voir... le talent de Pierre Stéphany...
Pierre Stéphany, ce journaliste- historien chevronné, auteur de nombreux livres, collaborateur de La libre Belgique, qu'il dut quitter précipitamment pour cause de lèse-majesté à un éminent ecclésiastique, a écrit une importante monographie sur le passé de ce quotidien catholique. Il récidive maintenant, et brillamment, avec “le monde de Pan " ( 360 pages). Ce livre est plein d'empathie pour son sujet, mais l'auteur ne dissimule pas les défauts ou même les tares de certains de ses personnages. Stéphany évite donc l'hagiographie. Son livre est bourré de renseignements fouillés et concrets sur des personnalités qui ont fait l’actualité ancienne et récente. Claude De Valkeneer: il en brosse un portrait attachant (ce dernier fut pendant 15 ans “l’homme de la presse “ du Roi Baudouin,) Stéphan Jourdain etc.
L'auteur écrit court, imagé, sa probité ne fait pas de doute et son livre va passionner tous ceux qui étaient en âge de lecture après la guerre et qui ne dédaignaient de prendre connaissance des petits secrets pas toujours ragoûtants de la politique belgicaine.
Les lecteurs de "Pan": les professions libérales, les avocats, des personnes aisées, les curieux et amateurs de gazettes répartis plutôt dans la région bruxelloise. Son tirage était démultiplié par les nombreuses photocopies prises à chaque parution.
--------------------------------

Certains ont pu faire la fine bouche au sujet d'un hebdomadaire satirique qui ne penchait pas à gauche.
Pendant les années décisives de la régionalisation, notamment,il n'en a pas moins informé en profondeur ses lecteurs sur le visage véritable du fonctionnement réel de notre monde politique, de ses institutions, de ses hommes. Sans parler du divertissement hebdomadaire offert par ses dessinateurs: au dessus de lot, Alidor, insurpassable.
Lisez le livre de Pierre Stéphany, lui aussi captivant .

• 

  Le monde de pan : histoire drôle d'un drôle de journal 1945-2000 de Pierre Stéphany

  de Stéphany, Pierre
  Racine
  ISBN : 9782873862671 ; EUR 25,20 ; 01/01/2002 ; 361 p. ; Broché

  Go Amazon