Mer calme à peu agitée de Alexandre Millon
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Bruxelles, un couple et la musique
Nous savions déjà qu’Alexandre Millon était un écrivain. Avec "Mer calme à peu agitée", il est en train de devenir un romancier. Après "Le jeudi de Monsieur Alexandre" (oublié dans les "DU MEME AUTEUR", comme une amorce de désaveu) et "La ligne blanche", Millon a trouvé la formule. Il a mis le doigt sur ce qui manquait - si peu – précédemment : une structure maîtrisée, un apprivoisement du fantasme, un dénouement à la hauteur.
La structure, ramassée, concentre une rigueur toute classique dans la triple unité bien connue : temps, lieu, action.
Unité de temps : une nuit de Saint-Sylvestre. La nuit de Saint-Sylvestre où tout va basculer pour Samuel Sarandon. "La Saint-Sylvestre de Samuel Sarandon", un titre possible, avec ce double SS pas nazi du tout quoique… C'est qu’il lui passe parfois de drôles d'idées en tête, à Monsieur Sarandon. C'est qu’à force de ne rien vivre, on pourrait générer des désirs de vengeance ou de domination. Comme quatre S, quatre petits serpents qui siffleraient dans la tête de Monsieur Sarandon. Des serpents qui, cette nuit de Saint-Sylvestre, piqueraient suffisamment pour induire un passage à l'acte. Peut-être.
Unité de lieu : un appartement au coeur de Bruxelles. Les bruits de la fête, et ses remugles : relents de bière, de rôtis et de rots, fêtards masqués, farandoles sombres, masques grinçants, à la Ensor. L’appartement perché au douzième. Et s'il se jetait par la fenêtre, Monsieur Sarandon ? S’il jetait avec lui les belles amours échafaudées, en même temps que le trop-plein d’énergie sexuelle jamais consommée ? "Douze étages pour éjaculer dans le vide. Pendant le court laps de temps de sa chute, il aurait eu juste le temps d’évoquer une mer belle et scintillante où il aurait nagé loin, beaucoup trop loin, sous l'arche allègre d'un couple de dauphins blancs."
Unité d'action : c’était peut-être l’unique défaut de "La ligne blanche". On sait l'intérêt de Millon pour le jazz, spécialement pour les improvisations à la Charlie Parker, dont il se revendique pour la composition de ses livres. Lancer une ligne musicale et la suivre, sans savoir où elle nous mènera. C'est Cocteau qui disait en substance : «Une ligne est en danger tout au long de son parcours.» C'est ainsi que, dans "La ligne blanche", il arrive que la ligne, sinuant, se perde sur des chemins de traverse, ce qui réjouit certes le lecteur peu friand de routine, mais nuit peut-être à l’unité de l'œuvre. Ici, le tête-à-tête lancinant de Monsieur Sarandon et de sa Camille chérie, celle qui lui trotte dans la tête depuis quatorze mois – tous les mots pèsent… – forment bien la trame unique sur laquelle se tissent les fils de cette histoire. Fils délicats ou grossiers, soyeux ou rêches, colorés ou bruts s’entrecroisent en une épure surprenante où s’apprivoisent les fantasmes.
Et c’est peut-être le grand apprentissage de Millon dans ce nouveau tissage : que le fantasme ne soit pas seulement un ornement ludique destiné à distraire le lecteur ; qu'il devienne au contraire la clé du système. Que le lecteur soit sans cesse emmené, comme par la main, sur une nouvelle piste, par un guide malicieux qui déclare au dernier moment : «Eh bien non ! ce n’est pas par ici. «a aurait pu, mais c’est pas ça. Demi-tour. On reprend le car et à bientôt!» On reprend le car jusqu’au prochain arrêt, jusqu'à la prochaine surprise, dans un voyage où se succèdent paysages musicaux, paysages urbains, paysages intérieurs dans une composition fuguée, pavane pour une infante peut-être pas défunte qui étend sur le livre entier sa masse de chair et d’absence.
On reprend le car jusqu’à ce dénouement qui flanque le grand frisson : rien que pour cette avant-dernière page suivie d’un ultime "da capo", on est heureux d’avoir fait le voyage, heureux dans cette dilatation de l'être qui saisit le lecteur quand il «comprend», quand, prenant avec soi le texte entier dans une relecture éclair – comme, dit-on, les mourants font de leur vie - il cesse d'être lui-même pour vivre tout entier, l'espace d’une autre petite mort, l'instant magique où naît enfin le personnage.
Que manque-t-il à ce roman pour être "rossellisable" en 2003 ? Rien, pas même l'éditeur français. Voilà pourquoi un dur combat commence. On croise les doigts, Alex. On croise les doigts.
Addendum 1 : La couverture (belle) n'est pas encore disponible car...
Addendum 2 : l'ouvrage sort en janvier 2003. Petits gâtés, vous avez déjà la critique! Qu'est-ce que vous allez saliver pendant les fêtes, espérant trouver le Millon nouveau - faute de millions anciens - sous l'arbre au père nordique.
Addendum 3 : Alexandre le grand sera le 8 février 2003 à la Maison Losseau (Mons), avec Bruno Roza (du Dilettante également), tous deux interviewés par Bon Papa Lucien. Guitariste de jazz, lectures endiablées par comédiens sympa, Côtes-du-Rhône médaillé en prime. Et le sourire du crémier Alex qui se fera un plaisir de vous dédicacer son enfant chéri. Et tout ça pour zéro euro...
Les éditions
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Mer calme à peu agitée [Texte imprimé] Alexandre Millon
de Millon, Alexandre
le Dilettante
ISBN : 9782842630652 ; 13,50 € ; 31/12/2002 ; 155 p. ; Broché
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Une de plus...
Critique de Féline (Binche, Inscrite le 27 juin 2002, 46 ans) - 17 juillet 2003
Toujours plus
Critique de Kinbote (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans) - 4 avril 2003
Jazz et compagnie
Critique de Thomas Fors (Beloeil, Inscrit le 10 avril 2002, 88 ans) - 28 février 2003
Ce cher Mr Sarandon...
Critique de Nothingman (Marche-en- Famenne, Inscrit le 21 août 2002, 44 ans) - 14 février 2003
A. Millon à la conquête des lecteurs français
Critique de Tophiv (Reignier (Fr), Inscrit le 13 juillet 2001, 49 ans) - 11 février 2003
Je n'avais pas lu la ligne blanche auparavant, et c'était donc pour moi une découverte. A l'avance, grâce à tous les critiqueurs du site, j'avais envie d'aimer ce livre. L'appréhension de la déception vite envolée, je l'ai dévoré.
En quelques pages, A.Millon nous impose son style d'écriture, tout de suite 'apprivoisé' par le lecteur. Malgré un récit à la 3ème personne, il coupe toute distance avec le lecteur, le rend proche, semble s'adresser à lui. C'est le tutoiement d'un ami, le ton attendu par le lecteur et enfin trouvé.
Ce qui m'a vraiment plu, c'est son vocabulaire imagé et particulier, son écriture rapide, son univers personnel à l'humour et l'ironie latente, parfois aussi son réalisme cinglant sans jamais aller vers le cynisme déprimé.
Voilà, en plus court, j'ai vraiment aimé et j'espère ne pas avoir écrit trop de bêtises en essayant de vous livrer brièvement mes impressions sur cet auteur que vous connaissez si bien.
Et d'ailleurs je le remercie directement au cas ou il parcourt ces lignes ... Je vais parler de lui autour de moi ! Ce sera un best Seller en Haute Savoie ;-)
Twilight zone
Critique de Bluewitch (Charleroi, Inscrite le 20 février 2001, 45 ans) - 28 janvier 2003
Lire et vivre, lire et sentir, lire et entendre, lire et voir. On est pas volé pour le temps consacré. Ce n'est pas qu’une bonne cuisine, mais encore et toujours une composition musicale. Musique-armature, -canevas, -symbole, -émotion. « …comme une pellicule de pensée devenue photosensible » ; « . musique entre mélancolie et philosophie, avec une pointe de romanesque refoulé. »
En fin de compte, Alexandre Millon pense à tout et on se tient le menton entre le pouce et l’index, un sourire relevant un côté des lèvres, s'exclamant « ouah ». Ben oui, « ouah ». C’est un auteur qui a de la classe sans en faire trop. L'air désinvolte, mine de rien, et pourtant pertinent. «
A bout d’insomnies empelotonnées, sa lucidité avait des aiguilles dans l’aile ». Quand même. Le lecteur, bien que mené par le bout du nez, n’est pas pris pour une catégorie basique du homo habilis tout juste bon à tourner les pages, et ça fait plaisir.
Sinon, Monsieur Sarandon, « ce sentimental refoulé, irascible, inflammable », qui regarde l’humanité derrière sa baie vitrée, me reste assez sympa, malgré tout. Il vit un drame ordinaire, une blessure, une réminiscence, de celles qui empoisonnent le coeur de nombreux êtres humains, et, pourtant, nous voilà partis dans une direction subtile et surprenante. La quatrième dimension essentielle. Celle qui commence et se termine on ne sait trop où… Manipulable , existentielle. Celle qui laisse la première place à l'autre soi, celui qu'on voudrait être. Ou peut-être pas.
«a y est, il et là!
Critique de Lucien (, Inscrit le 13 mars 2001, 69 ans) - 11 janvier 2003
Le rose et le noir
Critique de Persée (La Louvière, Inscrit le 29 juin 2001, 73 ans) - 4 janvier 2003
Et quand nous reviendrons à la surface, les yeux pleins de monstres et de sirènes, quelle explosion d'embruns, quelle libération, quelle goulée d'air pur !
En apnée, le moins que l'on puisse faire, c'est retenir sa respiration. Il faudra donc se laisser tenter par un style syncopé, en clic-clac d'imagerie médicale. Le vécu flashé aux rayons-X. Sur fond musical, mais pas dans le genre "grand bleu", non : Monteverdi, Bach, Garbarek, Keith Jarrett.
Allez, vous pouvez respirer : votre bonbonne d'oxygène vous biberonnera un distillat au goutte-à-goutte de rose et de noir, de cruauté et de poésie. Un vrai cathéter miel-vinaigre pour un huis-clos glauque qui va s'épaississant. Pire : une séquestration. Avec lâcher de fantasmes. Le lecteur - le héros - comme une mouche (ou un pigeon) se cogne aux vitres en cherchant l'issue. C'est comme dans un concert de Keith Jarrett, justement. Les notes se cherchent sur des chemins improbables. Avant de trouver l'embellie qui magnifie leur errance. Là, ça devient grandiose. Séraphique.
Alors le Seigneur mit un terme à la Tentation d'Alexandre, dit au grand Saint : " Eh Millon, c'est pas bientôt fini, oui ?" et lui offrit le miracle d'un sourire (avec une lettrine de Ghislain Cotton). "Désormais, dit-il, tu ne seras plus seul" (Parole du Seigneur).
Million ? Un regard qui oscille entre cynisme et tendresse, sans jamais être vraiment cynique puisque toujours tendre. Un poète avec un scalpel. Une plume qui crisse et croque. On craque.
Une tempête dans un coeur tendre
Critique de Kinbote (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans) - 13 décembre 2002
« Il estimait de plus en plus que seuls le coeur et le corps des femmes pouvaient retarder le gâtisme triomphant ».
On apprend vite qu’il a séquestré Camille Roose, son amour d’enfance retrouvée par hasard et qui, après s'être donnée à lui, se refusera, jouant au chat à la souris, soufflant le chaud et le froid sur le cœur trop inflammable de ce célibataire fragile : monsieur Sarandon.
Les événements vont s’enchaîner de méchante manière comme quand on a commis l’irréparable, comme dans cette spirale du quotidien au mécanisme décortiqué par Millon dans ces quelques superbes lignes : « Il avait quitté la baie vitrée et s’était installé à la table de la cuisine. Il épluchait avec méticulosité une grosse pomme. Comme d’habitude il avait réussi sa jolie spirale bicolore. L’épluchure était tombée sur la page des faits divers d’un quotidien. Tout le monde sait que le quotidien est une spirale. Que les spirales sont dans les faits divers. Et que les faits divers sont des épluchures." Ceci est un bel exemple de l'angle d'attaque imprévu qu’emploie notre auteur, de biais, par la bande comme au billard, pour mieux toucher au but, pour mieux à posteriori donner à voir la courbe gagnante. Préfère à la blanche ligne (tiens, tiens !) droite l’oblique multicolore, et pour cela choisit l’angle de vue adéquat, pourrait être une de ses devises.
Mais nous dirons simplement que nous ne sommes pas au bout de nos surprises, tant l'auteur nous en réserve sur le plan strictement narratif qu’au niveau de la structure de son histoire. On va assister à un strip-tease narratif au cours duquel les différentes pelures de récit vont être enlevées (on dirait que Millon l'a écrit avec une gomme en main, hésitant à effacer, laissant ses pentimenti qui constituent en fin de compte le corps même du récit), nous renvoyant à notre vacuité fictionnelle, autrement dit au pur réel qui nous ronge bien souvent ; autrement dit encore : à nous-mêmes. La fin du livre se déroule selon un long travelling à pied (les plus difficiles à réaliser, paraît-il) dans une capitale festive et pluvieuse... On retrouve sous « la plume millonesque »(Vrebos) les thèmes chers à l'auteur : le corps et le coeur féminin (inépuisable sujet), Bruxelles (vu d'en haut cette fois), le Musique omniprésente et rythmant le quotidien (sacralisée ici par le narrateur), l’obsession du blanc (le décor de l’appartement) et le noir (l'Ombre qui pousse monsieur Sarandon dans ses retranchements).
C'est le roman le plus corrosif de monsieur Alexandre qui s'aventure ici dans les zones sombres de notre psyché. La verve aphoristique n’est pas abandonnée une fois de plus et citer les passages qui font mouche serait trop long. Millon reste un de ces rares auteurs qu’on trouve plaisir à relire.
Fortiche le Lucien...
Critique de Patman (Paris, Inscrit le 5 septembre 2001, 62 ans) - 9 décembre 2002
Gâtés...
Critique de Bluewitch (Charleroi, Inscrite le 20 février 2001, 45 ans) - 8 décembre 2002
Errataddenda
Critique de Lucien (, Inscrit le 13 mars 2001, 69 ans) - 8 décembre 2002
Addendum 1 : La couverture (belle) n'est pas encore disponible car...
Addendum 2 : l'ouvrage sort en janvier 2003. Petits gâtés, vous avez déjà la critique! Qu'est-ce que vous allez saliver pendant les fêtes, espérant trouver le Millon nouveau - faute de millions anciens - sous l'arbre au père nordique.
Addendum 3 : Alexandre le grand sera le 8 février 2003 à la Maison Losseau (Mons), avec Bruno Roza (du Dilettante également), tous deux interviewés par Bon Papa Lucien. Guitariste de jazz, lectures endiablées par comédiens sympa, Côtes-du-Rhône médaillé en prime. Et le sourire du crémier Alex qui se fera un plaisir de vous dédicacer son enfant chéri. Et tout ça pour zéro euro...
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