12 pas dans l'absurde

Alain Magerotte est un auteur prolifique : pas moins de 6 recueils édités chez Chloé des Lys entre 2004 et 2010 !
Les nouvelles sautillent entre fantastique et policier, se teintent d’un humour caustique et très présent, ne manquent pas de dérision, s’attachent à l’exposition de personnages quelquefois surprenants, mais inévitablement crédibles, puisque issus du quotidien d’un citoyen lambda, à des situations souvent surréalistes.
Au fil des années et des parutions, il y a dans l’écriture une progression marquée, vers la pureté du terme, la sensibilité envers le lecteur, et la maîtrise d’un style accrocheur mais précis.
En cela on touchait au sublime avec « La part de l’ombre » paru en 2010.
Son nouvel opus sort en 2012 chez L’Harmattan, sous le titre « Des nouvelles de l’absurde ». Douze récits toujours dans la même veine de suspense persillé d’humour que dans les recueils précédents, et piquetés d’une dérision très « belgicaine », qui rend l’humour de l’auteur d’autant plus caustique.
L’observation sans complaisance de notre société et de ses dérives donne ici une suite de « caractères » proches de l’univers de Jean Ray.
Un regret peut-être, à propos de la brièveté des textes : si aujourd’hui la nouvelle se targue de raccourcis et de concision, il n’empêche que je reste parfois sur ma faim. Certains « personnages », certaines « situations », gagneraient à être développés pour la plus grande joie du lecteur.
Cette analyse de l’absurde ouvre la porte à une diversité en dents de scie, tantôt sublime par l’invention, tantôt plate, presque dérisoire. C’est dans la part majoritaire de sublime que l’on retrouve la verve imaginative, le sens acerbe du personnage et de la description, l’humour subtil et le style limpide de l’auteur.
Précisons encore que la mise en page de L’Harmattan m’apparaît bien plus professionnelle que les éditions précédentes, ce qui rend le livre nettement plus agréable à lire.

FILE D’ATTENTE (8,5/10)
Participer à la file d’attente pour exister ! Il y a dans cette situation une dérision très proche de la morbidité. Les intervenants – bien choisis au demeurant – font face à une absurdité pourtant inhérente à notre quotidien : le besoin d’exister dans la file d’attente de la mort. Écrite dans un style volontairement affecté, cette nouvelle se place selon moi parmi les meilleures du recueil.

LES ÉPARGNÉS (9,5/10)
Comment ne pas frémir en considérant le sort de ces Épargnés, dont il semble que nous ferons partie un jour prochain ? Ne rien faire, c’est la dégénérescence, la chute incoercible vers le néant.
Encore une fois, le style est adapté, les impétrants savamment positionnés et décrits. C’est ici que l’on regrette que l’auteur ne se soit pas laissé aller à son imagination. On lirait volontiers quelques pages de plus, de ce récit poignant.

JOURNÉE FANTÔME (4/10)
L’idée de départ était bonne, mais la mise en œuvre me déçoit. La progression de l’intrigue (mais y en a-t-il une ?) et la lourdeur des personnages n’accrochent pas. On est à deux doigts du Grand Guignol et de la farce de potaches, on pouvait attendre mieux d’Alain Magerotte.

JOE « GRANDE GUEULE » (4/10)
Pour m’exprimer en quatre mots : je n’aime pas. Là encore, on frise la grande farce pour dindon virtuel. Rien pour vous accrocher, juste une récréation d’auteur qui a besoin de se défouler. Le lecteur, lui, ne comprend pas.

ALEXIS (3/10)
Alors là, on atteint des sommets. Heureusement salutaire par sa brièveté, cette nouvelle est consternante. Nous voguons bien sûr dans le surréalisme, où tout est imaginable, il faut cependant admettre qu’on est loin du concept et de la subtilité d’un tableau de Magritte.

L’HOMME TRANSPARENT (8/10)
Avec cette nouvelle, on retrouve le Magerotte qu’on aime. Celui qui raconte des histoires à vous faire frissonner, tant elles sont proches de votre réalité, et cependant incroyablement surréalistes. Aller jusqu’au bout de l’idée, pousser l’imaginaire dans ses derniers quartiers, tout en l’habillant d’un style léger, le nappant d’humour, et vous laisser en fin de compte dans une réflexion amère sur notre réalité (dites, si c’était vrai… ! disait Jacques Brel)

ARÊTE ! ARÊTE ! NE ME TOUCHE PAS (8/10)
Voici un petit bijou de concision, d’humour et de dérision. La manipulation à ce point, c’est du délire ! À se poser des questions sur la tournure que prend notre société de lobbyistes invertébrés (sic)…

LE DRÔLE DE TRUC (7,5/10)
Une belle idée générale, bien traitée dans sa progression, mais à mon sens perturbée par l’alternance – sans raison apparente – de l’imparfait et du passé simple dans une écriture cependant correcte et fluide. Ce drôle de truc vous filerait des sueurs froides ; je contrôle toutes les plinthes dès ce soir.

DÉFENSE DE RÊVER (6,5/10)
Je dois avouer ma perplexité : je n’ai pas compris la ligne, l’épine dorsale du récit. Il y a là une sorte de confusion, oserai-je dire d’amphigouri, et j’accroche difficilement à cette suite de dialogues dont je ne vois pas la finalité. L’écriture est toujours fine et l’esprit caustique surnagent toutefois, et sauvent cette nouvelle à relire.

HEURES DE POINTE (8,5/10)
Description farouche et intransigeante de la rage médiatique, qui ne recule pas devant l’ignoble pour se garantir une place au soleil ! Les images sont hallucinantes, l’horreur culmine, le sang coule… Un récit à prendre au second degré, quoique…

ROAD TO ARCANIA (8,5/10)
Ici encore, Alain Magerotte nous prouve son talent de conteur, par les ambiances qu’il nous instille savamment et auxquelles on ne résiste pas. On entre délibérément dans le jeu, sans s’en rendre compte, exactement comme son héros se laisse berner…

LA VIE, LA GUERRE, LA MORT ET… LES CHANSONS (9/10)
J’ai A-DO-RÉ !! Malgré les (trop ?) longues citations de textes, le rythme y est, avec la sempiternelle dérision, l’humour latent. Derrière tout cela, une profonde réflexion sur notre société. Du grand Magerotte !

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  Des nouvelles de l'absurde [Texte imprimé], recueil de 12 nouvelles Alain Magerotte

  de Magerotte, Alain
  l'Harmattan / Écritures (Paris. 1995)
  ISBN : 9782296965836 ; EUR 16,50 ; 27/06/2012 ; 1 vol. (158 p.) p. ; Broché

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