Petite table, sois mise ! de Anne Serre

Petite table, sois mise ! de Anne Serre

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Hervé28, le 27 septembre 2012 (Chartres, Inscrit(e) le 4 septembre 2011, 55 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 5 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (24 958ème position).
Visites : 3 439 

De la partouze familiale au désenchantement

Petit livre de 59 pages, mais grand livre du point de vue littéraire. Époustouflant, grandiose, dérangeant surtout... les adjectifs ne manquent pas pour définir ce roman.
Jugez par vous même, une incipit remarquable:"la première fois que je vis mon père vêtu en fille, j'avais sept ans". ou alors des phrases chocs comme: "le sexe de papa faisait nos délices. Nous n'étions jamais rassasiées de sa vue, de son toucher.", " ils faisaient avec nous des choses qu'il est absolument interdit de faire avec des enfants".
Car vous l'avez compris, ce bref roman retrace l'histoire d'une famille hors norme, encore que le mot norme soit faible.
En effet, pendant la première partie nous découvrons, dans un style soutenu, une famille très libre sur le plan sexuel. D'ailleurs on s'y perd, le père couche avec les filles, la mère caresse ses progénitures, des ami(e)s passent dans l'appartement familial et profitent des atouts (masculins et/ou féminins) de la maisonnée.
Pourtant, dans la seconde partie, (page 35) le ton change, le style aussi. Avec le départ de la narratrice de la maison familiale, nous passons de la partouze familiale à une introspection qui verse quasiment sur la mélancolie.
Une vision , non pas désabusée, mais presque nostalgique de cette liberté sexuelle vécue pendant sa jeunesse.
A juste titre , retenue pour le prix Sade 2012 -tout comme "une semaine de vacances" de Christine Angot-, ce bref roman mérite toute votre attention.
D'une part car l'écriture d'Anne Serre est formidable (on croit vraiment à une confession), d'autre part ce roman transcende tout ce que l'on peut imaginer (d'ailleurs, je pense que l'affaire d'Outreau n'est pas très loin).

Le titre, étrange, emprunté à un conte des frères Grimm prend tout son sens et son explication dans le roman (page 42); la petite table ayant évidemment un autre sens que celui employé dans le conte.

Un petit bijou à découvrir.

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Sur l'autel d'Aphrodite

7 étoiles

Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans) - 28 août 2016

La narratrice, Ingrid et Chloé, trois sœurs âgées de cinq à quinze ans à l’époque des faits, vivent une vie bien peu banale, l’aînée raconte comment elles partageaient l’intimité de leurs parents sans connaître la moindre gêne, ni le moindre tourment, elles prenaient même, toutes les trois, un réel plaisir à ce partage sexuel familial englobant les plus fidèles amis du couple. La narratrice, sans aucune fausse pudeur, sans le moindre vice, de la manière la plus naturelle qui soit, raconte sa mère nymphomane qui déambule nue à la maison en attendant ses amants et amantes les plus réguliers, son père travesti qui se grime en femme fatale vulgaire pour arpenter les rues les plus fréquentées du quartier. Elle raconte les entrevues, les excursions, les séances à deux ou plusieurs, passives ou actives, avec les amants de la famille. Une vie de débauche organisée autour de la vaste table ronde de la salle à manger érigée en autel sacrificiel où la mère rend hommage aux dieux de l’amour entourée de ses trois anges, une vie qui semble parfaitement normale à ses gamines habituées à ces mœurs très libres dès leur plus jeune âge.

Mais à quinze ans, les filles quittent la maison pour voir autre chose, pour vivre autrement. La narratrice raconte sa longue errance à travers l’Europe où elle fait de nouvelles expériences sans jamais éprouver le besoin d’avoir de nouvelles relations sexuelles comme si elle avait épuisé son capital désir, comme si son corps était repu de plaisir charnel, comme si elle avait sexuellement vieilli prématurément de la même manière qu’elle s’était tout aussi prématurément ouverte à une vie de femme mature. Il lui faudra attendre vingt ans avant de comprendre ce qui n’avait pas marché dans sa vie. Elle croyait jusque là que sa sexualité trop précoce n’avait été qu’une anecdote de son enfance.

Avec ce texte qui pourrait être un roman mais qui n’est qu’un récit des aventures d’une famille très atypique, Anne Serre cherche, à mon sens, à démontrer que les relations sexuelles avec les enfants, même si elles sont très bien vécues, laissent toujours des stigmates. Ainsi, Julie aurait connu une évolution sexuelle à l’envers, elle aurait connu la maturité et l’épanouissement avant de régresser vers l’absence de désir qu’elle aurait dû connaître dans son enfance. Elle comprend après vingt ans d’errance qu’en lui volant son enfance on lui a aussi volé sa vie de femme en la considérant beaucoup trop tôt comme une adulte.

Ce texte écrit avec une écriture souple et fluide, évoque des actes qui pourraient être très violents mais qui au contraire sont toujours évoqués avec une grande douceur, même si Sade est cité plusieurs fois, en harmonie avec la prose de l’auteure. La violence est sous-jacente, cachée sous cette douceur apparente, et elle ne se perçoit qu’en filigrane dans les propos de l’auteure pour dénoncer les actes pédophiles qui, même sous couvert d’éducation, altèrent la vie future des enfants concernés.

En famille

6 étoiles

Critique de Aaro-Benjamin G. (Montréal, Inscrit le 11 décembre 2003, 55 ans) - 30 septembre 2014

Une nouvelle en deux parties. Une première où la période de l’amour libre au tournant des années 70s donne plutôt lieu à des orgies entre parents, enfants et amis. Puis, dans un second volet, la chute de la narratrice devenue adulte qui ne semble plus capable de trouver de repères après cette enfance marquée par le relâchement et l’exacerbation des plaisirs physiques.

Étonnant que ce court texte n’ait pas fait scandale? Les scènes de sexe ne sont pas outrageusement explicites, néanmoins elles vont en faire sourciller plus d’un.

C’est joliment écrit et nuancé dans son excentrisme. Mais à la fin, il en reste peu outre peut-être un sentiment d’en vouloir plus.

Les monstres gentils

8 étoiles

Critique de Stavroguine (Paris, Inscrit le 4 avril 2008, 40 ans) - 23 septembre 2014

Il règne dans le roman d’Anne Serre, dont le titre emprunte aux Frères Grimm, la joie et l’innocence des contes de notre enfance : quoi qu’on y croise des ogres, des marâtres et de vieilles sorcières, on n’en retient qu’une fin heureuse et l’atmosphère magique. C’est pourtant un étrange repas que l’on servait en juillet 67 sur la table luisante, « toujours cirée et brillante comme un lac gelé » de la rue Alban-Berg puisque c’était principalement maman qui s’y allongeait nue, « ayant frotté sa toison avec une huile qui la rendait fauve et brillante » et se pâmant déjà, appelait ses filles « d’une voix tour à tour mourante, affolée, suppliante ». Les filles, elles, préféraient papa, dont le sexe « faisait [leurs] délices » :

« Sa forme exemplaire se dressait avec une telle autorité, les plaisirs qu’il nous dispensait étaient si vifs, que je me souviens du tapis à grosses fleurs de son bureau comme d’un jardin bien supérieur à ceux de Le Nôtre. »

Ainsi, la narratrice, grandie depuis, mais qui, dans cette première partie où elle nous évoque son enfance, semble avoir conservé sa voix d’enfant, remplie de juvénile allégresse et comme encore tout habitée par la gaieté que suscitait en elle la vision de ces sexes dont elle s’amusait comme de drôles de jouets, a goûté avec ses deux soeurs, Ingrid et Chloé, aux joies d’une sexualité à la fois enfantine et familiale qu’elle et Anne Serre se garderont toujours d’appeler l’une pédophilie et l’autre inceste. C’est que ces termes, qui nous évoquent les pires horreurs, semblent bien peu adaptés à ce récit enlevé, joyeux, moins érotique peut-être (quoiqu’on éprouve, à la lecture de certaines scènes, des picotements qu’on sait coupables) qu’il est amusant et même presque attendrissant tant une insouciante bonne humeur semble flotter dans cette famille où l’on se promène nu, où l’on ausculte ses enfants afin de déterminer laquelle « aura le plus de dispositions pour être sodomisée » et où l’on s’adonne dans l’intimité ou avec le concours d’amis — et même de psychologues lorsque quelqu’un se met en tête d’avertir les institutions que l’on pratique avec les enfants de cette famille des choses qu’on ne devrait pas faire avec eux — à des orgies monumentales. C’est que, sous la plume de la narratrice (qui par ailleurs évoque la chose avec un rare talent) tout cela n’a strictement rien d’anormal (« vivre, c’était cela ») : cette famille est une fête et le lecteur assiste à ses bacchanales sans jamais se sentir voyeur ; ni juge, ni compatissant, ni contempteur.

Pourtant, tout bascule à la fin de la première partie dont la dernière phrase (« Il n’est pas facile d’attraper les poissons fuyants du réel ; il arrive que pour les saisir, on ait à mimer l’inconséquence, ou l’oubli. ») nous donne un avant de goût de la seconde.

Elle est plus sombre, plus introspective et malheureusement plus banale, car presque nécessaire — quoi qu’elle le soit peut-être plus pour l’auteur que pour nous. En nous mettant en scène la narratrice quelques années plus tard, elle nous présente l’enfant heureuse qui raffolait des sexes de son papa et de Pierre Peloup devenue une ado perturbée, fugueuse à quinze ans, incapable d’aimer à dix-sept, et dont la soeur, mariée, évite pudiquement d’évoquer le tabou de leur enfance. Leurs parents sont morts et les deux jeunes adultes tressent au fil des conversations où elles contournent soigneusement ce passé commun « un petit filet destiné à recevoir, à reposer [leurs] corps épuisés ». On est donc définitivement sorti du conte. Anne Serre nous montre les choses qu’on sait et semble se défendre : non, son roman n’est pas une apologie de la sexualité infantile ; oui, ces pratiques ont des conséquences graves sur les enfants qui les subissent. Cette fin en gueule de bois après les longs excès de l’enfance, elle s’imposait sans doute pour éviter certaines accusations ou pour réinjecter un peu de sérieux dans un sujet grave et casse-gueule qu’on avait pourtant traité jusqu’ici avec tant de réjouissante légèreté. Mais le lecteur, emporté lui aussi par cette vague d’allégresse sur laquelle surfait la première partie, transporté dans ce monde parfait où tout semblait aller pour le mieux, il subit lui aussi de plein fouet les contrecoups de sa griserie et il range le livre un peu triste, comme après une trop grosse soirée, on rentre en titubant chez soi où nous attendent tous nos soucis.

Troublante lecture

6 étoiles

Critique de Aliénor (, Inscrite le 14 avril 2005, 56 ans) - 18 décembre 2012

Ce tout petit roman, disons plutôt cette nouvelle, trouble terriblement. A tel point que je me suis demandée comment j’allais en parler, et ai longtemps retardé la rédaction de ce billet. Derrière un titre parfaitement badin, se cache en effet le récit des pratiques sexuelles pour le moins choquantes d’une famille composée d’un couple et de leurs trois filles. Le père aime s’habiller en femme, la mère se promène nue en permanence, et les jeux érotiques incestueux des cinq protagonistes semblent légers et sans conséquences. La narratrice est l’une des trois filles, et elle raconte innocemment la vie particulière de cette famille, qui invite parfois des amis à partager ses jeux.

L’ensemble est guilleret, la notion de bien et de mal est totalement exclue, et l’auteure parvient à ne jamais choquer avec ce qui est pourtant l’interdit absolu. Elle ne juge pas non plus, et l’on ressort de cette lecture très surpris – sans doute certains ont-ils tout de même été choqués – mais avec la même légèreté que la narratrice. Une lecture étonnante donc, mais qui ne peut laisser indifférent tant elle dénote.

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