Ils désertent de Thierry Beinstingel

Ils désertent de Thierry Beinstingel

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par TRIEB, le 15 septembre 2012 (BOULOGNE-BILLANCOURT, Inscrit le 18 avril 2012, 73 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (23 249ème position).
Discussion(s) : 1 (Voir »)
Visites : 4 086 

LE MANAGEMENT OU L'HUMAIN ?

Deux personnages, dans ce roman, sont centraux : il y a d’abord « l’ancêtre » surnommé ainsi par ses pairs en raison de son ancienneté dans le métier. Il est VRP en papiers peints depuis plusieurs décennies …Un crime, aux yeux des dirigeants de son entreprise qui veulent le faire licencier car il refuse de vendre, en sus des papiers peints, des canapés.

Une toute jeune femme, surnommée dans le roman « la petite sportive» est chargée par les dirigeants de faire licencier « l’ancêtre ». Cette jeune femme, archétype du cadre dynamique aux dents qui rayent le parquet, peu regardante sur les méthodes au service de son ambition, arriviste, cynique, s’investissant au-delà du raisonnable dans son travail, est chargée de cette basse besogne .

La forme de narration du récit est originale : les paragraphes, dont les phrases de début sont souvent rédigées à la deuxième personne du singulier ou du pluriel, donnent au roman un côté décalé, en retrait de la vie de ses personnages. On y découvre, par la confrontation de ces deux individus et au-delà d’eux, deux conceptions du monde : celle que l’on veut nous imposer dans le monde du travail, dont l’absurdité et la cruauté sont admirablement décrites par l’auteur, et une autre vision, réconciliant la culture, au sens large, et l’homme au travail.
« L’ancêtre » éprouve ainsi une similitude entre certains aspects de sa profession et celle de Rimbaud, voyageur de commerce, poète qu’il admire et qui l’inspire jusque dans l’accomplissement de son métier…

Ce que nous dit Thierry Beinstingel, avec une grande force de conviction qui emporte notre adhésion de lecteur, c’est que l’être humain se mutile, s’appauvrit, se suicide s’il se coupe de la culture, qui n’est pas un ornement inutile mais une composante essentielle de nos vies d’hommes .

La fin du roman est optimiste sans être édifiante, elle décrit le possible aboutissement d’une désertion d’un certain monde, celui du management imbécile, inhumain, hypocrite, au profit de rapports humains enfin restaurés dans leur vérité première.
Bravo pour ce roman !

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Profit, profit

8 étoiles

Critique de PA57 (, Inscrite le 25 octobre 2006, 41 ans) - 12 février 2013

Ce roman est à deux voix. D'un côté, c'est l'histoire de l'"ancêtre", un VRP en papiers peints qui fait ce métier depuis la fondation de la boîte, qui a travaillé en étroite collaboration avec le fondateur de l'entreprise, avant que celle-ci ne soit rachetée. Maintenant, on lui demande, le papier peint n'étant plus jugé assez rentable, de vendre également des canapés. Mais "l'ancêtre" ne sait pas faire cela, et ce n'est pas maintenant qu'il va commencer à apprendre. Lui est presque amoureux du papier peint, il a sacrifié sa vie de famille à ce métier et en plus, il sait parler aux clients. Sa seule passion, en dehors des papiers peints, est Rimbaud.
De l'autre côté, c'est l'histoire d'une jeune diplômée, qui a travaillé au SMIC dans une grande enseigne de vente d'articles de sport. Quand on lui propose le poste de responsable commerciale dans l'entreprise de l'ancêtre, elle voit là l'occasion enfin rêvée de gagner plus et de pouvoir investir dans l'immobilier. Très vite, elle se rend compte que sa mission principale est de virer "l'ancêtre". Elle ne comprend pas, car celui-ci fait pourtant un chiffre d'affaire conséquent dans sa zone. Elle tente de faire changer d'avis son supérieur, mais en vain.

Ce roman, très actuel, est une belle analyse du monde de l'entreprise de nos jours. L'écriture est très jolie. J'ai beaucoup apprécié le changement de personne au cours de la narration. Les parties réservées à "l'ancêtre" sont basées sur le vouvoiement, alors que les parties réservées à la jeune femme sont basées sur le tutoiement. C'est un type de narration très original qui m'a beaucoup plu.
Ce roman montre également la routine qui est la vie professionnelle de l'ancêtre : toujours les même hôtels, souvent même la même chambre, puis le même restaurant et les même clients. Il montre bien également l'impitoyabilité du monde du travail : le bénéfice au détriment de la personne. Personne ne compatit avec "l'ancêtre", hormis la jeune femme, personne ne lui est reconnaissant pour ce qu'il a fait pour l'entreprise depuis toutes ces années.

Un joli roman que ce nouveau livre de T. Beinstingel, que je conseille vivement.

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