Certaines n'avaient jamais vu la mer de Julie Otsuka
(The Buddha in the attic)
Catégorie(s) : Littérature => Anglophone
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ODYSSEE JAPONAISE
La lecture de certains romans s’apparente, parfois, à une révélation douloureuse, une évocation puissante, grave. Celui de Julie Otsuka Certaines n’avaient jamais vu la mer est de ceux-là : c’est l’odyssée de jeunes japonaises , à qui on a promis de se marier en émigrant aux Etats-Unis pour rejoindre leurs compatriotes déjà établis en Amérique et censés leur apporter le bonheur conjugal , l’accès à l’aisance matérielle .
Hélas , ces candidates naïves sont cruellement déçues .Elles le sont dès leur traversée en bateau , accomplies dans les pires conditions , plus proches des transports d’esclaves que d’un voyage ordinaire . A leur arrivée, elles endurent des conditions de travail atroces, sont violées par leurs maris, êtres frustes, rustres, dont les métiers réels sont bien moins prestigieux qu’annoncés à leur départ du Japon.
Ce récit, c’est toute une chronique de la vie de ces immigrants japonais des années trente aux Etats-Unis, dont la cohabitation avec les Américains est difficile, parsemée d’embûches, dont l’éloignement culturel des deux civilisations n’est pas la moindre. La maîtrise de la langue anglaise par ces femmes est laborieuse, elles ne parviennent à apprendre que quelques mots durant leur séjour.
Puis vient l’épisode, le plus cruel, le plus bouleversant , de l’annonce par le gouvernement américain, de leur internement dans des camps du fait de l’entrée en guerre avec le Japon en 1941 , et la suspicion qui pèse alors sur ces immigrants , suspectés de traîtrise et de duplicité vis-à-vis de l’Amérique . La description des conditions du départ de ces Japonais de la côte ouest des Etats-Unis est poignante, bouleversante : « Nous possédions toutes les vertus des Chinois-travailleurs, patients, d’une indéfectible politesse-, mais sans leurs vives-nous revenions moins chers à nourrir que les migrants d’Oklahoma et d’Arkansas, qu’ils soient ou non de couleur Nous. Etions la meilleure race de travailleurs qu’ils aient jamais employée au cours de leur vie. »
Après leurs départs, la question, cruelle, est posée : ont-ils existé ? Ou sont-ils ? Des enseignes de commerce, à la consonance anciennement japonaise sont américanisées, des demeures sont à l’abandon, de jeunes élèves se demandent ce que sont devenus leurs condisciples nippons.
Julie Otsuka a parfaitement réussi à évoquer cet événement douloureux, et largement passé sous silence, de l’internement arbitraire d’immigrés japonais au début de la seconde guerre mondiale ; elle rappelle, s’il en était besoin, que le départ de son pays natal est toujours une souffrance, un arrachement, qui peut connaître des prolongements encore plus douloureux et dramatique .Un beau livre, bref, dense, qui frappe là où ça fait mal.
Les éditions
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Certaines n'avaient jamais vu la mer [Texte imprimé], roman Julie Otsuka traduit de l'anglais (États-Unis) par Carine Chichereau
de Otsuka, Julie Chichereau, Carine (Traducteur)
Phébus / Littérature étrangère
ISBN : 9782752906700 ; 2,92 € ; 30/08/2012 ; 144 p. ; Broché -
Certaines n'avaient jamais vu la mer [Texte imprimé] Julie Otsuka traduit de l'anglais (États-Unis) par Carine Chichereau
de Otsuka, Julie Chichereau, Carine (Traducteur)
10-18 / 10-18
ISBN : 9782264060532 ; 4,00 € ; 19/09/2013 ; 143 p. ; Broché
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Les critiques éclairs (17)
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Une histoire oubliée
Critique de Pacmann (Tamise, Inscrit le 2 février 2012, 59 ans) - 18 février 2020
On privilégie l’émotion et l’énumération d’une série impressionnante de faits relatifs au voyage, au violent accueil, à la déception, à la (non)-communication et au racisme ordinaire.
Si certaines de ces femmes seront aimées et heureuses, certaines finiront au mieux comme employées de maison, au pire dans des bordels, mais elles resteront quoi qu'il en soit, pour toujours déracinées et noyées dans une société frustre et sans repère pour elles.
Par après, c’est la période de l’enfermement, de la déportation, des accusations de traitrise, conséquences de la guerre américano-japonaise emportant aussi les générations suivantes.
Finalement, dans une dilution émotionnelle, on perd un peu pied dans ce roman aux personnages anonymes, sans histoire construite, et qui a pour seul but d’évoquer cette histoire oubliée.
Fabuleux
Critique de Krys (France-Suisse, Inscrite le 15 mars 2010, - ans) - 9 juin 2019
On y découvre une culture japonaise d'avant-guerre, et encore une autre facette de la ségrégation et du racisme aux USA.
Je n'en rajoute pas, car les autres commentaires l'ont déjà largement décrit.
A lire !
Etonnant
Critique de Eoliah (, Inscrite le 27 septembre 2010, 73 ans) - 10 juin 2018
Il s'agit donc de mariages arrangés entre des Japonais installés aux USA et des Japonaises mariées à distance qui vont les rejoindre.
Plutôt qu'un roman ce serait un documentaire, d'abord le voyage et le profil des jeunes femmes. Dès ce moment on appuie sur la diversité des situations et des motivations avec une sorte d'inventaire à la Prévert. On comprend tout de suite que tout le monde a menti, les hommes n'ont pas une vie confortable et les femmes ont des choses à cacher. La vie que vivront les épouses nous est décrite de la même manière, domaine après domaine avec des énumérations très exhaustives: le travail, le logement, le comportement des hommes, celui des femmes, celui des patrons etc.... De fil en aiguille on voit la relative amélioration de leur condition de vie grâce à des choix audacieux.
La partie concernant la maternité et les enfants est présentée tardivement mais recouvre toute la période, on ressent parfaitement le basculement culturel dès la première génération née hors du Japon.
Le déplacement /expulsion/ disparition reste énigmatique mais l'atmosphère parfaitement rendue.
On ne sait pas trop où se positionne le narrateur, au début il serait une de ces femmes mais à la fin c'est plutôt un observateur.
water et go home.
Critique de Monocle (tournai, Inscrit le 19 février 2010, 64 ans) - 16 avril 2017
Donc ces jeunes filles, choisies sur catalogue débarquèrent et virent que le rêve ne résistait que quelques secondes. Certaines à leur mort ne connaîtraient que deux mots d'anglais... water et go home.
L'auteure a choisi un style « en vrac » qui peut lasser mais qui m'a paru de bon ton, le texte est fluide, dur mais surtout vibrant.
« Nous avons accouché l'année du Chien, et du Dragon, et du Rat. Nous avons accouché par une nuit de pleine lune. Nous avons accouché un dimanche dans une grange et le lendemain nous avons attaché le bébé sur notre dos pour aller ramasser les fruits dans les champs. Nous avons accouché de tant d'enfants que nous avons vite perdu le compte des années. Nous avons accouché de bébés qui étaient citoyens américains au nom desquels nous pouvions enfin signer un bail pour exploiter la terre »
Puis vint la guerre... et comme tout le monde le sait jamais personne ne gagne une guerre : il n'y a jamais que des perdants.
Superbe livre.
Le chant du cygne
Critique de Dededu59 (PARIS, Inscrite le 23 décembre 2012, 38 ans) - 20 mars 2017
Le travail d'investigation a dû être colossal compte tenu du peu de sources qui traitent de ce sujet délicat.
Ce livre m'a marquée et restera une de mes meilleures lectures.
Traite des « Jaunes ». Des femmes « jaunes » …
Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 68 ans) - 19 octobre 2015
Il y a aussi le sort fait à la main d’œuvre japonaise (et chinoise aussi, selon probablement les mêmes modalités) venue des côtes lointaines de l’Asie. Une main d’œuvre appréciée, courageuse, travailleuse, pas foncièrement revendicatrice, mais soigneusement cantonnée tout de même. Cette main d’œuvre masculine, esseulée, il a bien fallu lui offrir des conditions minimales d’implantation. Une de ces conditions fut de faire venir des femmes ( !!!), des Japonaises, par bateaux entiers, pour les marier avec les travailleurs bloqués en Amérique. C’est l’histoire d’un de ces bateaux que nous raconte Julie Otsuka. Ou plutôt les histoires des femmes d’un bateau, de toutes ces femmes, en un gigantesque kaléidoscope qui porte le nom de « Nous ». Un « Nous » justifié par la similarité des histoires vécues.
Et l’on imagine bien qu’il ne s’agit pas d’histoires roses s’agissant de jeunes à très jeunes filles, plus ou moins vendues par leurs parents misérables, et convoyées en Amérique pour retrouver un « Roméo » qui ne ressemblera jamais à la photo échangée et dont la situation ne sera jamais celle décrite dans les lettres reçus. Evidemment la main d’œuvre japonaise importée n’avait pas des fonctions de négociants, de propriétaires, cette main d’œuvre relevait plutôt du lumpen – prolétariat.
Julie Otsuka raconte donc tout, depuis le choc subi par ces filles à la vision de ceux qui les attendaient sur le quai à l’arrivée du bateau à … la suite, vraiment pas reluisante, on s’en doute. Cerise sur le gâteau (si l’on peut dire !), celles qui étaient arrivées début des années trente, qui au bout d’une dizaine d’années pouvaient prétendre un peu mieux maîtriser une culture et une langue inconnues, se retrouvent confrontées, avec l’entrée en guerre du Japon contre les Etats-Unis en 1941 à une « déportation –internement » dans des camps du fait de la méfiance américaine vis-à-vis de ces Japonais, potentiels ennemis de l’intérieur.
Et là, ces évanescentes femmes qui ont tout subi disparaissent peu à peu de l’Histoire, s’évanouissant dans les limbes de l’ostracisme américain. Un destin terrible pour ces « Nous », un destin caché sous le tapis de « l’auto-légende » américaine.
... mais toutes ont pris le bateau
Critique de Ellane92 (Boulogne-Billancourt, Inscrite le 26 avril 2012, 49 ans) - 2 janvier 2015
La traversée en cale dans des conditions déplorables n'est que la première des épreuves qu'elles traversent. L'Amérique manque de bras, les immigrés Japonais de femmes pour réchauffer leur lit et repousser la solitude de leur existence misérable. Les lettres envoyées sont des faux, et les photos datent de plusieurs années, ou sont celles d'amis ou d'inconnus.
Voilà un pan de l'histoire que j'ignorais complètement et dont les Etats-Unis ne doivent pas souvent se vanter : l'immigration officielle sous couvert de mariage de femmes japonaises pour servir de main d'œuvre dans les champs et de domestiques, entre les deux guerres mondiales ! Julie Otsuka se fait la voix multiple de ces femmes trahies par leur futur époux et par leur pays "d'accueil". Par absence de choix et de moyens, par honte, elles tairont à leur famille restée au pays les conditions misérables dans lesquelles elles vivent. Dans ce nouveau pays, elles perdront tout, leur vertu, leur dignité, jusqu'à leur culture.
Le procédé narratif de "Certaines n'avaient jamais vu la mer", en utilisant systématiquement le pluriel ("nous", ou "certaines") pour évoquer l'histoire de ces femmes, refusant de s'attacher à l'une ou l'autre pour mieux nous faire découvrir les destins multiples, donne un rendu souvent poétique. Pour ma part, il m'a gênée : à devoir m'attacher aux pas de toutes ces femmes, j'ai eu l'impression de n'en découvrir aucune. C'est dommage, car l'auteur nous en apprend beaucoup sur la culture japonaise et sur les conditions de vie des "petites gens" dans les années 30 aux USA.
Ce livre court est à découvrir, ne serait-ce que pour la jolie écriture de son auteur, l'originalité du procédé narratif, et l'évocation d'une page d'histoire très peu connue.
Et souvent en nous endormant nous nous prenions à penser à ce fils de paysan avec qui nous discutions chaque jour en rentrant de l'école – ce beau garçon du village voisin dont les doigts parvenaient à faire germer les graines les plus rétives –, et nos mères, qui savaient tout, y compris lire dans nos pensées, nous regardaient comme si nous étions folles. Veux-tu passer le reste de ta vie accroupie dans un champ ? (Nous avions hésité, presque répondu oui, car n'avions-nous pas toujours rêvé de devenir notre mère ? […]).
entre rêve et réalité : le rêve américain en prend un coup
Critique de Clubber14 (Paris, Inscrit le 1 janvier 2010, 44 ans) - 28 mars 2014
Nous partageons les rêves de jeunes filles japonaises qui partent vers l'Amérique pour y rencontrer un mari dont elles ne connaissent rien, si ce n'est vaguement leur visage. Elles arrivent plein d'appréhension, de rêves mais également de questions et de craintes.
Et, au fil de la lecture, nous nous apercevons que les craintes étaient, en effet, justifiées. Leurs maris ne les traitent souvent pas bien, elles sont prises de force sexuellement, selon le bon vouloir de leur mari, elles vont devenir des quasi esclaves à la maison, à faire le ménage, la cuisine, les enfants etc... sans tellement de reconnaissance. Au fur et à mesure elles s'habituent plus ou moins à leur vie. Ce qui est très intéressant ce sont les différences de culture entre la vie à l'occidentale et la vie à la japonaise, nous plongeons véritablement au coeur de ménages qui se construisent, avec leurs moments difficiles et les moments un peu plus légers. Puis arrive la guerre et les séparations.
Un livre puissant, empli d'histoire et qui m'a fait découvrir cette de l'Histoire justement que je ne connaissais pas du tout. Une magnifique plume de l'auteur, entre poésie et roman...
AMERICAN DREAM
Critique de Septularisen (, Inscrit le 7 août 2004, - ans) - 4 novembre 2013
Malheureusement, pour ce qui est du style, je rejoins la critique de Pascale EW. la longue, interminable litanie des phrases en cascade, commençant toujours par le même mot, finissent par lasser, et à la fin ennuyer même le lecteur.
La répétition des mêmes thèmes (jardin, mauvaises herbes, tromperies et coucheries en tous genres, enfants, animaux, travaux des champs etc. etc...) aussi d'ailleurs!...
Je reste à me demander si le procédé choisi par l'auteur, pour nous raconter une histoire comme celle-ci, est le bon? Surtout que l'histoire se déroule sur plusieurs dizaines d'années... Peut-être que l'histoire de quelques-unes des jeunes filles seulement, mais racontée plus en détail aurait largement suffit?
J'ai également des réserves à émettre sur la fin du roman, trop brusque, trop rapide, trop abrupte, trop bâclée!... J'aurais aimé une fin beaucoup plus ample, plus développée. C'est bien de nous raconter les départ de ces jeunes filles vers les "War Relocation Center", mais on aurait pu terminer sur une note plus positive, avec p. ex. la fin de la guerre et leur retour dans leurs maisons?
Mme. Julie OSTUKA, aurait pu nous concocter un tout autre livre, sans doute beaucoup mieux réussi dans un tout autre style, elle en est tout à fait capable, mais soit là c'est... trop tard!...
Je termine donc ce livre sur un sentiment très mitigé, beau et à lire sans aucun doute, mais en faisant abstraction du style d'écriture et de la fin pas du tout à la hauteur du reste du roman!..
A noter que ce livre à reçu le Prix Femina Étranger en 2012.
Style particulièrement lassant !
Critique de Pascale Ew. (, Inscrite le 8 septembre 2006, 57 ans) - 26 mai 2013
A chaque étape de leur vie, l’auteur résume les différentes possibilités de ces destinées en répétant inlassablement la même phrase qui se termine différemment (« Ils nous ont prises… », « Nous avons accouché… », etc.). C’est terriblement lassant et même si ce livre est court, j’avais hâte de le terminer… pour au final, ne pas savoir ce qu’il advint de ces Japonaises.
Le rêve américain
Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans) - 12 mars 2013
Ces histoires ainsi regroupées forment, malgré la grande diversité des cas, l’épopée, devenue légende, de la naissance d’une communauté nipponne aux Etats-Unis, une légende inscrite selon le cycle : émigration, accueil viril, accouplement brutal, grossesses aléatoires, naissances sans hygiène, mortalité infantile, élevage des enfants parce qu’il ne peut pas être question d’éducation dans de telles conditions. Les dénominateurs les plus communs de toutes les expériences sont la souffrance et l’humiliation avec parfois un oasis de quiétude et même de bonheur pour certaines.
Au début du XX° siècle ces jeunes Japonaises, mariées à des concitoyens émigrés aux Etats-Unis qu’elles ne connaissent pas encore, prennent le bateau pour la première fois. Elles sont pour la plupart vierges et ne savent rien de la vie qu’elles ont passée jusqu’alors auprès de leurs parents. Sur le bateau, elles ont déjà la nostalgie de ce qu’elles fuient et l’appréhension de découvrir les maris qu’elles ont choisis sur dossier. Les rencontres avec ces époux inconnu sont souvent brutales, rarement tendres et presque toujours violentes. Les maris dont elles attendaient une vie « à l’américaine » ne sont souvent que des journaliers qui suivent le rythme des travaux agricoles dans les plaines et vallées de la Californie en suivant la route qui conduit vers une autre ferme, un autre chantier, une autre galère. Certaines échappent aux travaux de la terre mais effectuent toujours des métiers peu nobles, difficiles, pénibles, ardus, épuisants, que les blanches ne veulent pas faire. Elles découvrent aussi les blancs, les patrons, les propriétaires, maîtres incontestés des terres, qu’elles doivent obéir sans contradiction et même parfois subir jusque dans leur chair.
Stigmatisées, ces populations étrangères sont repoussées, humiliées, elles s’établissent dans des fermes perdues ou dans des quartiers miséreux, se regroupant en communautés embryons des quartiers japonais qui poussent rapidement sur la Côte Ouest. Et quand, après avoir dépensé des trésors de résignation, d’acceptation, de pugnacité, de persévérance, de souffrance et de douleurs, la communauté commence à assurer ses bases, ses fondations, un mode de vie acceptable, survient la guerre contre le mère-patrie qui génère une réaction brutale, une poussée de racisme, la suspicion, l’inquisition, la déportation, de nouvelles humiliations, de nouvelles souffrances, de nouveaux malheurs…
Un hommage à cette communauté d’origine nipponne devenue américaine dans la souffrance et l’humiliation.
"Kannon, où es-tu ?"
Critique de Nathafi (SAINT-SOUPLET, Inscrite le 20 avril 2011, 57 ans) - 21 février 2013
Kannon, c'est la Déesse de la Miséricorde, celle que certaines imploraient à bord du bateau qui les amenait vers l'Amérique... Et celle qu'elles ont continué à prier après leur arrivée, très certainement, mais quelle faute auraient commise ces Japonaises, pour à ce point demander pardon, à part celle d'avoir souhaité une vie meilleure ?
"Certaines n'avaient jamais vu la mer", c'est un pan de l'histoire que j'ignorais totalement, et ce livre m'a permis de découvrir l'histoire dramatique de ces femmes et leur condition.
Toutes ensemble, elles racontent leur vie, leur travail, leur mariage, le regard des autres, la naissance de leurs enfants, leur éducation, par une succession de phrases saccadées, des pensées intimes, des secrets bien gardés. Au fil des ans, elles subissent leur sort, car retourner au pays ne se fait pas, il n'est pas bon d'être "divorcée", et leur famille les rejetterait... Alors...
Alors elles s'accommodent comme elles peuvent de ce cauchemar américain, espérant toujours un mieux-être qui n'arrive jamais.
La dernière partie est des plus sombres, on ne sait pas ce qu'elles sont devenues, des rumeurs, seulement, circulent, mais ne restent que rumeurs...
C'est un joli hommage que rend Julie Otsuka à toutes ces femmes qui méritaient de ne pas sombrer dans l'oubli...
Boat people
Critique de BMR & MAM (Paris, Inscrit le 27 avril 2007, 64 ans) - 22 janvier 2013
Voici dans la rubrique Étranger le retour de Julie Otsuka dont on avait déjà beaucoup apprécié Quand l'empereur était un dieu.
L'empereur racontait, après Pearl Harbor, la déportation dans les camps US des familles japonaises immigrées avant guerre : ces japs n'étaient soudain plus les bienvenus.
Ce roman-ci, Certaines n'avaient jamais vu la mer, est en quelque sorte l'épisode précédent : lorsque les vagues d'immigration étaient accueillies à bras ouverts pour peupler l'ouest et dynamiser à bas prix l'économie américaine.
C'est l'histoire d'un bateau de jeunes femmes venues du pays du soleil levant : mariages arrangés, photos des futurs maris au courrier postal, rêve occidental pour échapper aux rizières, ...
Évidemment la déception sera grande ... brutalité conjugale, racisme latent, labeur difficile et pauvreté persistante, rien ne leur sera épargné ... Le rêve américain n'est pas pour tout le monde.
Jusqu'à Pearl Harbor, la crainte de la dénonciation pour complicité avec l'ennemi, la déportation inévitable. La boucle est bouclée.
Mais revenons à ces jeunes femmes qui n'avaient pas encore vu la mer avant de traverser le Pacifique.
Comme avec son précédent roman paru dix ans plus tôt (celui qui est la suite, vous avez compris ?), Julie Otsuka confirme qu'elle a une plume très sûre. L'émotion est là, à fleur de mots et l'auteure déploie tous ses efforts pour maintenir la distance réglementaire.
Cette fois-ci, c'est en racontant l'histoire de toutes les femmes embarquées sur le bateau, simultanément, et comme dans un choeur antique les voix de ces femmes s'élèvent pour dire ce qui devait être dit.
Le procédé répétitif finit par composer une sorte de tableau impressionniste qui habilement, donne la vision d'ensemble de la vie de ces jeunes femmes perdues dans les profondeurs de l'Amérique naissante.
Non contente de ce coup de maître, Julie Otsuka clôt son bouquin par un dernier chapitre très émouvant dont on vous laisse découvrir le procédé : avec la déportation dans les camps US du middle-west il suffira de quelques saisons pour que ces japonaises soient oubliées, parties aussi discrètement qu'elles étaient arrivées.
Seule Julie Otsuka poursuit son travail de mémoire.
La complainte des disparues de l’histoire
Critique de Alma (, Inscrite le 22 novembre 2006, - ans) - 12 janvier 2013
Cinq des 7 chapitres sont constituées de phrases dont le verbe a pour unique sujet la première personne du pluriel NOUS . Jamais de JE, jamais de 1e personne du singulier comme si chacune se noyait dans le NOUS collectif , comme si chacune avait subi en elle le malheur des autres .
Ce NOUS est toujours lié à des phrases brèves, juxtaposées, qui donnent au texte un rythme rapide et nerveux. Elles relatent des faits , parfois même d’une manière presque clinique et sont autant d’images qui défilent dans notre esprit , un peu comme si des diapositives étaient projetées à vitesse rapide sur un écran . Ce NOUS produit aussi un effet d’écho sonore , de litanie, un effet envoûtant . Le lecteur se sent enfermé dans une sorte de huis clos , où il ne voit que des images où sont présentes ces Japonaises , où il n’ entend que leurs voix.
Dans le chapitre 2 : La première nuit , « Ils nous ont …… » le nous a laissé la place à ILS : les hommes, les maris, laissant au NOUS la charge de représenter l’objet sexuel que ces femmes sont alors devenues . Dans le dernier chapitre : Disparition, plus de NOUS ; les femmes ont disparu, il ne reste que leur souvenir, qu’on évoque parfois ……
Un livre bref, d’une rare intensité, qui prend à la gorge mais évite le pathos. Les images de ces femmes s’impriment en nous , leurs voix résonnent en nos oreilles .
Quand j’ai lu cette oeuvre, j’ai eu l’impression d’un chœur en mouvement sur une scène d’opéra, un chœur dont les interprètes nous regardaient dans les yeux , dont le chant incantatoire nous prenait à témoin.
"Bienvenue, mesdemoiselles japonaises!"
Critique de Sissi (Besançon, Inscrite le 29 novembre 2010, 54 ans) - 14 décembre 2012
Toutes ces femmes ne parlent pas d'une seule voix, elles parlent toutes en même temps pour raconter ce périple qui les a menées, pleines d'espérance, vers une terre promise qui ne leur a finalement apporté que de la souffrance et de la désillusion.
De la "Première nuit" sur le bateau, jusqu'au "Dernier jour", les chapitres décomposent les différents aspects de leur rude vie: la terrible nuit de noce, les enfants, les Blancs, le travail, la guerre et ses conséquences.
Et puis un jour, tous ces japonaises ont dû partir, elle ont déserté tous les quartiers et les endroits où elles avaient vécu de nombreuses années, et on a fini par les oublier; ce chapitre "Disparition" laisse la parole aux Américains, et ainsi la chorale se tait.... ou meurt.
"Ce roman s'inspire de la vie d'immigrants japonais qui arrivèrent au Etats-Unis au début du XXème siècle Je me suis servie d'un grand nombre de sources historiques [...]" confie Julie Otsuka dans les Remerciements de fin d'ouvrage.
On ne peut que saluer ce gros travail de recherche qu'elle a réussi à transposer de manière originale et plus qu'élégante dans un projet littéraire réussi.
Poème ?
Critique de Saperlipop (, Inscrite le 8 mars 2006, 42 ans) - 13 novembre 2012
Comme si la vie n'était pas assez difficile entre leur rustre mari, le racisme latent et les travaux physiques, la guerre arrive et les familles sont déportées.
C'est un roman très grave et très beau. Il a également le mérite de nous dévoiler un pan de l'Histoire complètement occulté.
Roman ?
Critique de Idelette (, Inscrite le 11 mars 2005, 61 ans) - 16 septembre 2012
Dans "quand l"empereur était un dieu", seul l'aspect post Pearl Harbour était traité, via une fillette, ici, c'est plus large. C''est l'émigration japonaise, en Californie au début du XXe siècle, leurs conditions de vie, leurs difficultés à s'insérer, la façon dont ils ont été considérés : ostracisme, incompréhension des 2 pans de la société, puis dans le couple et les familles entre les parents et les enfants, puis rejet, bouc émissaire arbitraire et facile... Seul le dernier chapitre est la vision américaine d'une période et d'une histoire rarement traitées. J'ai trouvé que c’était un livre qu'on porte en soi bien après l'avoir terminé.
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