Les immortelles de Makenzy Orcel

Les immortelles de Makenzy Orcel

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Anonyme3, le 16 septembre 2012 (Inscrit le 6 septembre 2011, - ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 15 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (1 638ème position).
Visites : 5 886 

Les prostituées "immortelles" de Port-au-Prince(Haïti), décrites par l'une d'entre elles au travers d'une discussion hédoniste avec un écrivain.

Biographie:

Makenzy Orcel est un écrivain haïtien, né le 18 septembre 1983 à Port-au-Prince en Haïti. Il participe en 2011, puis en 2012, au Festival des Étonnants voyageurs, à Saint-Malo. Du 8 janvier au 9 mars 2012, il bénéficie d'une bourse de résidence d'écriture à l'IMEC, en Normandie. Suite au tremblement de terre qui a meurtri Port-au-Prince, le jeune auteur écrit son premier roman : les Immortelles. Un témoignage insolent, envoûtant, où Orcel choisit de donner la parole à une prostituée, sans pathos.

"Les Immortelles" publié chez Mémoire d’Encrier, 2010 pour le canada et chez Zulma, en 2012 pour la France est son 1er roman, il est suivi de son roman "Les latrines" publié chez Mémoire d’Encrier, 2010 pour le canada. Il aussi écrit un recueil de poèmes appelé "A l’Aube des traversées et autres poèmes" toujours au Mémoire d’Encrier, en 2010.

Quatrième de couverture:

Les Immortelles, ce sont les prostituées de Port-au-Prince. L’une d’elles, la narratrice qui ravale son nom, prend à parti l’inconnu monté la voir au bordel. Apprenant qu'il est écrivain, elle lui propose un marché : contre son corps, écrire l’histoire des putains défuntes, emportées par le séisme sous les décombres de béton de Port-au-Prince. D’une surtout : la Petite, la fugueuse Shakira venue sous son aile un jour dans la haine de sa bigote de mère. De la belle et orgueilleuse Shakira toute pénétrée d’une passion dévorante pour les livres, pour Jacques Stephen Alexis surtout, l’immense écrivain qui fait battre le coeur d’Haïti. « La Petite. Elle aimait les livres d’un amour fou. D’un amour du jamais vu… » Shakira la révoltée devenue la plus convoitée des putains de la Grand-Rue.

Avec ce roman de feu, qui marie le Ciel et l’Enfer, la transgression par le sexe et la mort atteint à la plus authentique humanité, la plus bouleversante, celle qu’aucune morale ne contrefait. Avec une liberté absolue de ton, Makenzy Orcel prête voix à tout un monde. « La Petite. Elle le disait souvent. Les personnages dans les livres ne meurent jamais. Sont les maîtres du temps ».

Aux lendemains du tremblement de terre qui a secoué Port-au-Prince avec la même force destructrice que la bombe d'Hiroshima, Makenzy Orcel a écrit les Immortelles pour dire la folie de vivre malgré l’épouvante autant que pour livrer le plus insolent témoignage face à l’apocalypse.

Mon avis:

+: Roman, très court(134 pages,très courte), très bien écrit (le français utilisé est compréhensible par tous) et qui se lit vite (1h30). Histoire splendide, superbement racontée, et sans fausse note (le sentimentalisme habituel à ce genre de roman n'est pas ressenti à la lecture). Les chapitres à la fois courts et intensifs dynamisent l'histoire et surtout enjôlent le lecteur. Quatrième de couverture intérieure splendide et qui donne envie de lire ce court roman. Première de couverture, belle et sobre, ce qui est rare pour être précisé.

-: Rien à dire.

En conclusion:

Makenzy Orcel, en nous écrivant un mini roman Haïtien de grande classe, "Les Immortelles", réussit un tour de force exceptionnel et rare, ne jamais tomber dans la vulgarité, dans les clichés et surtout dans le voyeurisme à l'occidentale d'après séisme, grâce à ses courts chapitres, à son histoire splendide et gracieuse, émouvante et sans fausse notes et à son écriture classique avec un français impeccable et facile d'accès.

Quelle histoire!, quelle écriture splendide!, bref à lire absolument.

Merci et encore merci pour ce moment de grâce littéraire.

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Remercier l'écrivain

5 étoiles

Critique de Marvic (Normandie, Inscrite le 23 novembre 2008, 66 ans) - 8 septembre 2013

Avant même de commencer la lecture, la dédicace m'a immédiatement interpellée. Citer Grisélidis Réal , m'a renvoyé 8 ans en arrière à la lecture de son très marquant "Le noir est une couleur". Un livre qui avait en commun de nous emmener dans l'univers des prostituées, et qui "frappe par le mélange singulier des tons : violence lyrique, scatologique, hyperréalisme et onirisme"  (Source Wikipédia)
Pas de doute, ces deux auteurs ont des points communs même si des milliers de kilomètres les séparent.

C'est avec beaucoup d'attention que l'on "écoute" cette Immortelle nous raconter la courte vie de Shakira ; comme si M. Orcel était un interviewer qui ne retranscrirait que les réponses aux questions ou aux relances. (De nombreuses critiques ont déjà, et très bien, expliqué les thèmes de ce roman)
On retrouve la langue haïtienne si riche et si imaginée, avec autant de poésie que d'expressions triviales, des expressions riches mais plus ou moins évidentes comme "les lèvres de viens-mange-moi" ou "un caca-sans-savon".

Sensible à l'écriture, à la poésie des expressions côtoyant d'autres plus crues, j'avoue malgré tout être restée sur "les bords" de ce roman, probablement déstabilisée par ces très (trop) brefs chapitres.

Entre drame et horreur

5 étoiles

Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 68 ans) - 4 septembre 2013

J’ai toujours eu quelques soucis avec les œuvres qui magnifiaient le quotidien des prostituées. Dans « Les immortelles », non seulement on veut nous faire passer ce genre de situation pour quelque chose de somme toute normal et presque héroïque, mais en outre c’est pour mettre en évidence le drame de Haïti au lendemain du grand séisme qui a ravagé la ville de Port Aux Princes.
Pauvre Haïti à qui rien ne sera épargné et qui assurément ne mérite pas ces avalanches de catastrophes, soit dit en passant …
En outre, l’ouvrage, court, se présente sous une forme inusitée, plutôt elliptique ; de courts paragraphes relatant la vision ou les pensées de certains des intervenants qui parfois ne font qu’un quart de page. Ca en fait un ouvrage dont on tourne très vite les pages et que j’ai eu du mal à trouver réellement passionnant.
Le séisme et l’après-séisme, la vie courante à Haïti, sont traités du point de vue de prostituées, notamment de la narratrice principale qui a demandé à un client, écrivain de son état, de la payer en écrivant ce qu'elle va lui raconter de son quotidien avant et après séisme. On a donc droit à sa voix à elle, à celle de l’écrivain-client, à celle d’autres prostituées dont notamment celle de Shakira, la jeune protégée de notre narratrice, au curriculum vitae qui sort de l’ordinaire et sur la tête de qui s’est écroulé un immeuble.
J’avoue : j’ai eu du mal. Mais en une heure trente –deux heures chrono, c’était terminé. C’est moins que les douze jours que la pauvre Shakira a passé à expirer sous les décombres de l’immeuble …

« Il fallait à tout prix raconter quelque chose, n’importe quoi, pour ne pas piquer une crise. Une attaque foudroyante qui m’exploserait la cervelle. Ce n’est pas encore la fin de l’histoire. Mais il faut qu’on s’arrête ici. Toutefois, je tiens à te remercier, l’écrivain, d’avoir accepté de l’écrire, alors que moi je la racontais. Je sais que j’ai été d’une telle idiotie en me levant de temps en temps pour aller pisser, pleurer, me moucher ou refaire mon maquillage – tu sais, vieux trucs de pute -, mais surtout en empiétant parfois, presque de façon méchante, sur ta liberté d’écrivain. »

La voix des décombres !

7 étoiles

Critique de Pieronnelle (Dans le nord et le sud...Belgique/France, Inscrite le 7 mai 2010, 76 ans) - 4 août 2013

Oui, on l’entend bien cette voix qui devient multiple ; confession, témoignage de celle qui les représente toutes, ces « immortelles ». L’idée est belle, les textes sont souvent beaux, crus sans vulgarité, sans chercher à apitoyer ; La «chose» a écrasé cette misère humaine qui cherche cependant à rehausser la tête, à donner une sorte de dignité à ces femmes, ces « Putes » qui cherchent désespérément à justifier leurs statuts comme dans une sorte de rédemption. Car il y en a de la culpabilité dans cette confession ! La rédemption elle se recherche avec l’enfant, l’enfant perdu… une vie, des vies, perdues…
J’ai eu cependant du mal à croire à cette « Petite » qui lit des livres et discute avec un professeur… Fantasme de «l’Ecrivain» ? Pour sublimer un peu ces femmes au service de ces hommes eux, sans dignité aucune ?
J’ai eu du mal aussi avec cette haine pour la mère, si forte et violente, pas suffisamment justifiable par un christianisme borné ; belle La petite ? Libre la petite ? Quelle liberté ! Portrait sans concession qui évite l’empathie et même la pitié. La grande botte s’est abattue sur ces vies sombres et lumineuses.
J’ai aimé la voix qui raconte pleine d’humanité mais j’ai trouvé que le « roman » ne rendait pas vraiment justice à cette voix ; la mise en page insuffisante pour lui rendre honneur ; l’auteur à mon avis aurait pu aller plus loin afin de donner une puissance à la hauteur de cette « chose » immonde destructrice dont on ne sent pas assez, à mon avis, l’impact.

Douleurs de femmes

9 étoiles

Critique de Shan_Ze (Lyon, Inscrite le 23 juillet 2004, 41 ans) - 19 juin 2013

C’est une immortelle, une prostituée de Port-au-Prince, que fait parler le narrateur par sa plume. Elle raconte le tremblement de terre. Elle raconte cette fille qui aimait les livres mais qui détestait sa mère. Elle raconte les hommes qui viennent soulager leurs corps. Elle raconte...

Par petites touches, l’auteur montre l’un des côtés cachés de la capitale haïtienne. J’ai beaucoup aimé le style poétique et parfois un peu cru d’Orcel qui fait parler des femmes pleines de douleur. Je me suis quelques fois perdue dans ces voix qui se mélangent et s’entremêlent mais on se laisse envoûter par le style puissant de l’auteur. Un récit terrible qui ne m’a laissé indemne.

p48 : "La ville est un triste tableau où les bêtes et les humains mangent et font leurs besoins dans le même plat."

p88 : "Je ne sais, il y a toujours une part d'injustices et d'hypocrisie presque inévitable quand on parler des autres."

p102 : "La liberté est le seul dieu qu'elle connait."

La Petite

8 étoiles

Critique de Koudoux (SART, Inscrite le 3 septembre 2009, 60 ans) - 10 juin 2013

Aux lendemains du tremblement de terre de Port-au-Prince, une putain demande à un écrivain d'écrire un livre sur l'histoire des "Immortelles".

"La petite. Elle le disait souvent. Les personnages dans les livres ne meurent jamais. Sont les maîtres du temps."

Un livre bouleversant avec son mélange de souffrance et de poésie.

Exutoire...

9 étoiles

Critique de Nathafi (SAINT-SOUPLET, Inscrite le 20 avril 2011, 57 ans) - 2 juin 2013


Ce livre nous plonge tout de suite dans une ambiance assez lourde. A l'instar de l'écrivain chargé de recueillir les révélations pour les retranscrire, il nous faut prêter l'oreille et ne rien laisser échapper.
Et on entend une succession de cris, cris de douleur, de rage, une avalanche de pensées, d'interpellations, de constats amers. La prostituée s'en veut, énormément, d'avoir conduit Shakira sur ses pas. Pourtant, elle n'avait voulu que l'aider, comme elle pouvait. Elle en veut à Dieu de déclencher ces catastrophes, aux secours de ne pas être arrivés à temps, à la mère d'avoir laissé fuir son enfant, au professeur d'avoir tourné la tête de sa protégée, à ses lectures qui, finalement, ne lui ont pas appris l'essentiel ...

Ce besoin de s'exprimer est retranscrit de manière poétique, puis le vocabulaire change et les termes sont plus crus, froids et réalistes.

Très bel exemple d'écriture exutoire, via la plume de celui qui écoute, qui soulage et permet de continuer sa route...

Viscéral

8 étoiles

Critique de Aaro-Benjamin G. (Montréal, Inscrit le 11 décembre 2003, 55 ans) - 5 mai 2013

C’est beaucoup le travail de l’écrivain de donner une voix à ceux qui n’en n’ont pas. Ici, les putes de la Grand-Rue à Haïti. Les petits chapitres sont un cri du cœur, un hommage, un constat cru d’une réalité incontournable. L’entreprise est réussie. Seul bémol, dans un livre aussi court, la répétition n’a pas sa place.

des fleurs sur le trottoir

7 étoiles

Critique de Fanou03 (*, Inscrit le 13 mars 2011, 49 ans) - 22 avril 2013

Je rejoins les très bonnes critiques précédentes. Dans une langue à la fois crue, élégante et très poétique, sous une forme peu courante (des paragraphes plus ou moins courts, excédant rarement plus d'une page, qui ressemblent à s'y méprendre effectivement à des strophes), Makenzy Orcel nous offre là un condensé de littérature. Il y a là du style, de la force, de la construction et du chaos. C'est une supplique, une mélopée dont on relit sans fin les strophes prises au hasard des pages, rien que pour la sonorité des mots et pour la force des évocations. Vous adorerez ou vous détesterez ce roman. En tout cas il ne vous laissera pas indifférent.

Monologue de comptoir

4 étoiles

Critique de Isad (, Inscrite le 3 avril 2011, - ans) - 23 mars 2013

Le livre met en scène un écrivain, une prostituée, une jeune fille et la mère de cette dernière. L’écrivain est le narrateur des premières pages. Ensuite alternent, sans que l’on sache dès les premiers mots qui parle, les trois femmes qui soliloquent sur la vie, les hommes, l’appétit pour la littérature, la condition de prostituée et les différentes manières de l’exercer.

L’ensemble est hétéroclite, constitué de fragments parfois isolés au sein d’une page presque vide, où se mêlent la rage devant la soumission bien-pensante, la compréhension devant des besoins naturels à satisfaire, la frustration, ...

IF-0313-4027

Court et puissant

7 étoiles

Critique de Aliénor (, Inscrite le 14 avril 2005, 56 ans) - 2 mars 2013

Ces immortelles sont les prostituées de Port au Prince, auxquelles Makenzy Orcel donne la parole par le biais du client d’une d’entre elles, qui s’avère être écrivain. Il leur donne la parole pour rendre hommage à ces femmes emportées par le terrible tremblement de terre de janvier 2010. Un cataclysme qui faucha notamment la vie de « la petite », que la narratrice avait pris sous son aile à l’âge de douze ans.

C’est à la faveur d’une rencontre chez mon formidable libraire que j’ai découvert Makenzy Orcel, lors d’un moment de temps suspendu où la grâce de cet auteur poète est venue surprendre les lecteurs présents. Une rencontre au cours de laquelle il nous a offert des phrases pépites comme celle-ci : « j’aime la phrase qui n’a pas besoin de sa voisine pour exister ».

Son roman est très bref et d’une grande puissance. Il ravira particulièrement les amateurs de poésie, les lecteurs qui aiment lire à haute voix les phrases dont la sonorité est un régal pour l’oreille. Et ces femmes bouleversantes accompagneront longtemps ceux qui auront fait leur connaissance dans cette histoire.

« Editer à compte de sexe »

7 étoiles

Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans) - 18 décembre 2012

La putain, elle voulait témoigner, elle voulait raconter les prostituées de la Grande-Rue de Port-au-Prince, la petite ; l’écrivain écouterait, écrirait l’histoire, elle, elle paierait, elle paierait avec la seule chose qu’elle possédait son corps. « Editer à compte de sexe ». Elle dit le drame, « la chose, la chose qu’on ne peut pas nommer, la chose qu’on ne veut pas connaître », comment ses consœurs ont été foudroyées. Elle veut surtout témoigner pour la petite ; cette gamine, à douze ans, a quitté sa mère pour prendre la liberté qu’elle gagnait sur le trottoir ; elle est morte sous les décombres après douze jours de souffrance ; douze ans pour quitter sa mère, douze jours pour quitter ce monde. Les secours sont arrivés trop tard, n’ont pas pu la dégager. La petite, elle aimait les livres, Jacques Stephen Alexis, faisait des rêves prémonitoires, séduisait tous les clients de la rue. Elle était la reine du quartier.

La petite a quitté sa mère pour ne pas devenir, comme elle, l’esclave qu’elle haïssait ; la petite, elle l’a formée pour qu’elle ne se fasse pas rouler – « On est de l’ordre du mirage et de l’insignifiance, ton corps est ton unique instrument, petite » -, pour qu’elle ne soit pas exploitée encore davantage, pour qu’elle garde sa dignité ; les putes ça a toujours existé, ça existera toujours et ça a une fonction, un rôle dans la société, « une ville sans pute est une ville morte. »

Une suite de textes courts, pleins de poésie, au début surtout, « les autres commencent toujours par la prière. Moi je veux qu’on commence par la poésie. Elle aimait la poésie ». Une façon de raconter l’impossible, de dire l’indicible, de mettre des mots sur l’impensable, de matérialiser l’inimaginable mais aussi d’évoquer celles qui ne comptent pas, celles qui ne devraient pas avoir de sentiments ni d’émotions, celles qui subissent sans jamais rien dire. A travers l’histoire des putes foudroyées au cœur du séisme, à travers le drame de la petite souffrant le martyr sous les décombres, quand l’amour et la mort fusionnent dans une même éteinte, c’est toute la tragédie du tremblement de terre d’Haïti que Makenzy Orcel met en scène dans ces bouts de textes que la prostituée rabâche comme pour évacuer un trop plein de douleur. « Tous les mots de mon corps ne sauraient suffire pour dire la douleur de la terre. »

Mais le drame n’a pas commencé avec « la chose », Le cycle infernal de la prostitution : la fuite pour ne pas subir l’esclavage de l’homme, la liberté illusoire gagnée sur le trottoir, le succès quand la chair est fraîche, la déchéance quand l’âge avance, est vieux comme le monde haïtien. Quand « la chose » répand l’horreur, La petite, elle a déjà qui quitté sa mère depuis longtemps avec seulement son corps pour gagner sa liberté et sa vie ; et le drame n’est pas mort avec « la chose », l’enfant que la petite a laissé, le trésor qu’il faudra retrouver un jour, ne sera que l’héritier d’une longue suite de drames. Le drame c’est toujours, à Haïti, aujourd’hui, hier, demain, une véritable fatalité que même les dieux vaudous ne savent pas vaincre.

« Mais nous on ne mourra jamais. Nous, les putains de la Grande-Rue. Nous sommes les immortelles. »

Un roman où l'écrivain tente de mettre de l'ordre dans le désordre haïtien

8 étoiles

Critique de Pucksimberg (Toulon, Inscrit le 14 août 2011, 44 ans) - 12 décembre 2012

Le narrateur, qui est écrivain, est sollicité par une prostituée pour coucher sur papier les confidences qu'elle lui fera sur la vie de ces "immortelles", après le tremblement de terre à Port-au-Prince. En échange de ce service, elle lui offre son corps. Elle veut surtout parler de Shakira cette jeune prostituée qu'elle a prise sous son aile et qui est décédée après avoir été prisonnière des décombres durant douze jours.

De la même manière que la ville a été détruite par cette "chose", le roman est morcelé en courts textes qui sont autant de cris poussés pour témoigner sur "l'irréparable", "l'inénarrable". Dans ces paragraphes, il est question de destruction matérielle, du quotidien de ces femmes qui offrent du plaisir, de clients attitrés, de l'impossibilité d'avoir une vie de famille, de la relation mère/fille ... Ce roman, qui se lit rapidement, ne laisse pas insensible. Les témoignages sont forts et brûlants d'humanité.

Une fois le livre fermé, il reste à l'esprit ces voix que l'on a écoutées durant ce roman, ces témoignages d'une extrême franchise qui s'unissent pour faire entendre une seule voix, celle de l'Homme qui a mal.

La pute et l'écrivain.

10 étoiles

Critique de Sissi (Besançon, Inscrite le 29 novembre 2010, 54 ans) - 14 octobre 2012

C’est un livre sur les ravages. Les ravages du temps, les ravages du monde qui un jour tremble puis s’écroule, les ravages provoqués par les êtres chers qui s’en vont, disparaissent ou meurent.
A Port-au-Prince, la Grand Rue est restée, après que soit arrivée cette chose, avec ses éternelles putes qu’on appelle les Immortelles.
L’une d’entre elles demande à un écrivain d’écrire ce qu’elle relate…ou pas :
« As-tu bien noté tous les mots, l’écrivain, tous les silences, tous les non-dits ?… ?

C’est surtout un livre sur l’alternance.
Une alternance des narrateurs, déjà, qui se répondent, se complètent, se défilent ou se croisent.
Alternance aussi entre séisme et ritualité, alternance entre la dépravation et la grandeur de la littérature salvatrice, alternance entre l’insécurité et le réconfort, alternance entre la madone et la putain (qui se confondent, finalement), alternance entre celle qui part et celle qui demeure, dépositaire de la mémoire collective. Immortelle.
"La petite. Elle le disait souvent. Les personnages dans les livres ne meurent jamais. Sont les maîtres du temps."

"Une heure plus tard, la terre a tremblé."

10 étoiles

Critique de EveDM (, Inscrite le 8 octobre 2012, 73 ans) - 8 octobre 2012

Ma critique est parue sur BibliObs et dans Haute-Provence info, à titre de contribution.
La terre a tremblé à Port-au-Prince ce 12 janvier 2010, et « la ville ressemblait à un théâtre de revenants », écrit Makenzy Orcel, jeune auteur haïtien. Le festival est souvent l’occasion de découvertes : ce premier roman d’un poète, Les Immortelles, en est une ! Coup de cœur ? Plutôt coup au coeur ! Un texte « écrit très vite, parce que c’était très urgent » dit l’auteur. Après le séisme du 12 janvier 2010, « il n’y avait pas de mots, des cris seulement ». Et lui « au milieu du chaos », avec le besoin de « se sauver la vie », de « continuer à espérer, à être donc dans le partage ». La construction en très courts chapitres, dont Maya Michalon animatrice de la rencontre, disait qu’ils lui rappelaient « les blocs effondrés », sont en effet des éclats de vie et de mort, des échos que le personnage du roman, un écrivain, écoute de la bouche d’une prostituée : elle lui a demandé d’écrire, il écoute ces histoires, celle de « la petite » passionnée de littérature, qu’elle a initiée au métier, et qui est morte sous les décombres après douze jours. Prostitution et littérature. Les voix de ces femmes, vives entre sexe et mort, Makenzy Orcel les fait entendre, mais dans une langue à la fois réaliste, crue et poétique : c’est là qu’est la force explosive du texte. Il ne s’agit pas d’un document, d’un témoignage à propos de « la chose », - c’est ainsi qu’il désigne le tremblement de terre, car cela relève de « l’impensable, de l’indicible » -, un témoignage qui pourrait nous émouvoir certes, il s’agit bien plutôt d’un travail sur la langue qui rend le réel infiniment plus présent : l’émotion s’en approfondit d’autant, suscitée et décuplée par le verbe. L’auteur est en effet avant tout poète, la langue, il « la caresse, la viole, la kidnappe ». Certains « chapitres » - on aurait presque envie de parler de « strophes », comme dans un poème - sont saisissants et se suffisent à eux-mêmes, dans un souffle qui laisse le lecteur pantelant. Roman, oui, mais porté par une langue charnelle et puissante.

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