La vie heureuse de Nina Bouraoui

La vie heureuse de Nina Bouraoui

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Bluewitch, le 7 novembre 2002 (Charleroi, Inscrite le 20 février 2001, 44 ans)
La note : 7 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (12 610ème position).
Visites : 5 364  (depuis Novembre 2007)

Un jour, ma princesse viendra...

Marie, 16 ans. Pas encore une femme, plus vraiment une enfant. C’est la découverte, la chrysalide qui se rompt. Elle vit depuis peu à Zurich, et passe toutes ses vacances à Saint-Malo, au milieu de sa famille, cousins et amis dont Marge, l'amie ambiguë.
Marie, c’est une fille qui découvre ce qu'est aimer une autre fille, au début de sa vie d'adulte. « Il n'y a aucun choix à aimer une fille. C'est violent. C'est l'instinct. C'est la peau qui parle. C'est le sang qui s'exprime (.) C'est une loi physique. C'est une attraction. C'est comme la Lune et le Soleil. C'est comme la pierre dans l'eau. C'est comme l'été et la neige. C'est de l'histoire naturelle. «a reste longtemps dans le corps. C'est inoubliable. » Et l'autre cette Diane, affriolante, insouciante, égoïste, possessive mais vraiment belle. Elle sent Opium et ressemble à Jennifer Beals, l’actrice de « Flashdance ».
Marie, c’est la vie avant et après Diane. Avant, l’insouciance, la liberté. Après, les meurtrissures, le désir, le changement. « Quelque chose va arriver. Quelque chose à l'intérieur de moi. C'est une vision. C'est un avertissement. Je crois changer. Ca se brise sous ma peau. Ca se révèle. » Se sentir à part, apprendre qu’on est « homosexuelle ». Mais c’est quoi, homosexuelle ? Un mot, il ne veut rien dire, il n’a pas de poids, il ne parle pas d’amour. On ne choisit pas d'aimer une fille mais on choisit de s’aimer soi…
On passe en courts chapitres de la vie à Zurich, de la vie « avec » Diane, à celle des vacances, de l’après, à Saint-Malo, quand les souvenirs sont là, que la barrière du silence a été franchie, l'enfance disparue, que Diane s'éloigne, au même rythme qu’une tante de Marie, Carol, meurt d'un cancer. Elles restent belles, aimées mais irréelles.
Ce roman, c'est l'adolescence, avec ses sorties, ses angoisses, ses flirts sans amour, sa crainte du premier contact avec le corps de l'autre, c’est aussi les années 80 avec ses films et ses musiques inaltérables. C'est perdre le rêve à vouloir le toucher du doigt.
« Avant je regardais le rocher du Davier. Il était trop loin à la nage. Avant je regardais l'île de Cézembre. Il fallait un bateau à moteur pour y aller. Avant je regardais loin, après la mer. On prenait l'hydroglisseur jusqu'à Jersey. Avant je n’avais pas le droit de faire certaines choses. Avant j’avais hâte de devenir adulte pour être libre. Diane m’a trahie. J’ai perdu Marge. Carol est partie. J’aimerais revenir en arrière. Ne pas aller au Davier, ni sur l’île de Cézembre. Je voudrais encore rêver des côtes anglaises. Ce n’est pas l’interdiction que je regrette. C’est la force de mes rêves. Avant, je croyais. Avant, j'avais de l’imagination. Avant, j’espérais. Avant il suffisait de fermer les yeux pour voler dans le ciel ».

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Les éditions

  • La vie heureuse [Texte imprimé], roman Nina Bouraoui
    de Bouraoui, Nina
    Stock
    ISBN : 9782234055049 ; 22,50 € ; 21/08/2002 ; 339 p. ; Broché
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Bouleversant!

9 étoiles

Critique de MEloVi (, Inscrite le 6 juillet 2011, 39 ans) - 30 novembre 2011

Ce roman est très éclairant et toujours écrit avec la même plume sublime dont nous a habituée Nina Bouraoui. La vie et les pensées de cette jeune fille sont décrites de façon magistrale. L'écriture, comme à chaque fois, est ébouissante!

A lire absolument

10 étoiles

Critique de Gaelle06 (, Inscrite le 2 mai 2006, 42 ans) - 19 novembre 2006

Chaque chapitre, pour la plupart très court, est comme un tableau où se bouscule images furtives, angoisses, peurs mais aussi joies et incompréhensions.
Le style est particulier, haché, comme écrit dans l’urgence, urgence des sentiments, urgence devant cette enfance qui s’enfuit et ce monde adulte, l’inconnu, qui arrive : seize ans c’est une période charnière, période durant laquelle Marie, l’héroïne, se découvre. Elle est homosexuelle ? Non, elle ne le dira jamais. Comme si ce mot, trop résonnant de réalité, était un appel à la condamnation.
Chaque chapitre, chaque phrase presque, est scandée par un rythme où s’entremêle répétitions et anaphores, comme si Marie voulait elle même se convaincre de quelque chose car convaincre les autres elle y a renoncé depuis longtemps. De toute façon, elle est seule et ne cesse de le répéter.
Elle est enfermée dans sa singularité ce qui rend difficile toute identification à autrui, surtout à ses copines qui ont des histoires, même si elles restent éphémères, avec les garçons. Marie n’est pas de celles-ci, elle ne vibre pas au toucher, aux caresses, à l’odeur des hommes. Elle rêve à la douceur, le mystère, la séduction d’une femme…les corps ne la repousse alors plus, elle prend conscience de l’amour.
Mais Marie est un être en devenir…ses sentiments, tout comme ses points de repères changent, évoluent, la plongeant dans un perpétuel chaos. Elle évolue dans un monde mêlé de passé et de présent, dans lequel le futur à du mal à trouver sa place. D’ailleurs, bien rares sont ses formulations tournées vers l’avenir… ou alors c’est un avenir qui reste rêveur, où l’ancrage dans le réel est inexistant. Au contraire même, l’imparfait domine, envahie les pensées, le monde de Marie. Elle veut retenir ce qui lui échappe, elle veut avoir un pouvoir sur ce qu’elle sait qu’elle n’a plus d’influence, comme une lutte qu’elle sait inégale et qu’elle transfert de terrain, celui de ses pensées pour se donne une chance, l’illusion de pouvoir combattre.
Mais ses pensées, où s’entremêlent rêve, espoir désespoir et autres sentiments troubles, la trahissent et l’entraînent dans un tourbillon. Le tourbillon frénétique d’un amour fou, Diane, mais aussi le tourbillon de la vie, de la mort comme une valse qu’elle a peur de danser et dont elle ignore les pas. Marie lutte en permanence contre ces différentes entités, elle est à la charnière d’un monde, de son monde, qui se délace : sa tante Carole est atteinte d’un cancer mais avec sa mort, qui plane sur une bonne partie de l’histoire, ce sont les souvenirs de Marie qui meurent, son enfance, ses points de repère, son insouciance. Elle se trouve projeter, catapulter dans un monde d’adulte dont elle ne connaît rien et dans lequel elle entre en se sachant déjà différente.
Et c’est là que précisément réside toute la richesse de l’œuvre. Marie est un personnage complexe que l’on a du mal et qui a du mal à se saisir. Elle entre dans un monde qu’elle ne connaît pas, celui de l’age adulte et, pourtant elle se sent différente puisqu’elle est consciente de son attirance pour les filles. C’est donc une double lutte qu’elle doit mener.
A mon sens, ce livre est alors comme un voyage initiatique où la quête finale est l’acceptation de soi. Et c’est précisément le chemin que poursuit Marie. En effet au début, elle se refuse à admettre directement la situation, les mots ne sortent pas, ne se matérialisent pas sur la feuille, elle passe par des périphrases, des sous entendus, le chemin est tortueux mais le lecteur devine, se doute sans jamais que Marie ne confirme.
Elle aime bien son amie d’enfance Marge, c’est de l’amitié... tout au moins Marie essaye de s’en convaincre en évitant de soulever des questions qui la rendrait mal à l’aise. Mais, progressivement, elle va poser des mots sur ce qu’elle ressent non seulement pour Marge mais aussi pour Diane. Cette chasseresse qu’elle fuit comme un animal traqué et qui sait pourtant qu’il ne pourra résister à son poursuivant. Elle sait qu’elle va succomber, Diane est belle et use et abuse de sa séduction. Mais s’abandonner à Diane c’est comme reconnaître, crier haut et fort ce que Marie cache et chuchote.
Ce qui m’a aussi beaucoup plut dans ce livre c’est la rapidité avec laquelle tout s’enchaîne, tout se mêle et se perd : amour, haine, envie, peur, souvenir, passé, présent autant de mots qui résonnent en permanence dans l’esprit de Marie, qui tisse son monde.
Les phrases sont courtes, les articulations absentes. Il n’y a pas de lien logique. Tout va vite, trop vite… pour Marie.

Ce livre est donc le récit d’une lutte interne, lutte des sentiments, amour, haine, confusion, lutte avec l’entrée brutale dans le monde adulte mais aussi lutte avec soi même, s’accepter, se comprendre.

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