Les choses : une histoire des années soixante de Georges Perec

Les choses : une histoire des années soixante de Georges Perec

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Lucien, le 6 novembre 2002 (Inscrit le 13 mars 2001, 69 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 11 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (1 228ème position).
Visites : 11 551  (depuis Novembre 2007)

Golden Sixties?

Au beau milieu des années soixante, un jeune homme inconnu du grand public, Georges Perec, publie chez Julliard, dans la collection «Lettres Nouvelles» dirigée par ce découvreur qu’est Maurice Nadeau, un petit roman de cent trente pages, «Les choses», modestement sous-titré «Une histoire des années soixante». Résultat : le Renaudot, et Perec devient célèbre. Et l'étiquette de «sociologue» restera longtemps accrochée à ses basques avant d'être détrônée, beaucoup plus tard, par celle d’«oulipien ». Comme si «écrivain» ne suffisait pas.
«Une histoire des années soixante». Sous-titre ambigu.
Une histoire, une parmi tant d’autres – celle de Sylvie et Jérôme –, une histoire qui se déroule pendant les années soixante. Ou alors une oeuvre d’historien (d'autres seraient bien entendu possibles) qui trace, à travers ce court récit exemplaire, l'histoire de ces années-là, de ces années qui, bien plus tard, on ne sait trop pourquoi, seront qualifiées de «golden», comme les pommes ou les chiens de chasse. Car dorées, elles ne le sont pas pour tout le monde, les Sixties. Elles ne le sont pas vraiment pour Sylvie et Jérôme, même si c'est loin d’être la misère. Mais voilà : il y a «les choses». Les choses que l'on posséderait si.
Le roman s’ouvre au conditionnel présent, dans une profusion descriptive qui s’avère vite fausse. «L’oeil, d'abord, glisserait sur la moquette grise d'un long corridor, haut et étroit.»
L'œil est trompé, déjà, comme si souvent chez Perec. Et nous basculons dans le terrible conditionnel passé : «Ils auraient aimé être riches. Ils auraient aimé vivre. » Mais ils ne le sont pas. Mais ils ne vivent pas. Et nous sombrons avec eux dans le monotone imparfait : «Ils attendaient de vivre, ils attendaient l’argent.» «Ils étaient de leur temps.» Alors, pour meubler, en attendant (Godot ?), ils s'inventent des amis avec qui, tels les «paumés du petit matin» de Brel, ils refont le monde : «ils parlaient, interminablement, de la vie qu'ils auraient aimé mener, des livres qu’ils écriraient un jour, des travaux qu'ils aimeraient entreprendre, des films qu'ils avaient vus ou qu'ils allaient voir, de l'avenir de l'humanité, de la situation politique, de leurs vacances prochaines, de leurs vacances passées… » Leur passion, c'est le cinéma, bien sûr, même si, souvent, ils sortent déçus de la salle : « Ce n'était pas le film dont ils avaient rêvé. […] Ce film qu'ils auraient voulu faire. Ou, plus secrètement sans doute, qu'ils auraient voulu vivre.» Jérôme et Sylvie, qui rêvent de chemises Van Heusen, de divans Chesterfield et de platines Clément, se sentent bientôt les dindons de la farce : «Ils étaient enfoncés jusqu'au cou dans un gâteau dont ils n’auraient jamais que les miettes.» Jérôme et Sylvie, imbéciles heureux, rêvent d’héritages, de gros lot, de tiercé. «Petit îlot de pauvreté sur la grande mer d'abondance», «ils se sentaient écrasés.»
Ils essaieront l'évasion, l’exotisme, trouveront – du moins Sylvie – un emploi en Tunisie. Mais leur solitude alors sera totale. C'est qu’ils se seront privés des habitudes qui secouent l’hébétude, des petits riens qui meublent un peu le rien, des sorties, des amis, de Paris. Ils seront alors «au cœur du vide». Au cœur d'un monde «sans souvenirs, sans mémoire».
Un livre parfait où éclatent déjà, prélude de l’oeuvre à venir, ce désespoir serein, cette ironie noire et glacée, ce vide surtout, ce vide qui se nourrit de listes, d'énumérations, de profusion, de choses enfin ; ce vide absolu qui se goinfre de plein.

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Les éditions

  • Les Choses : une histoire des années soixante de Georges Perec
    de Perec, Georges
    10-18 / Domaine français
    ISBN : 9782264024879 ; 2,98 € ; 12/08/1996 ; 130 p. ; Poche
  • Les choses : Une histoire des années soixante
    de Perec, Georges
    Pocket
    ISBN : 9782266170123 ; 5,95 € ; 17/10/2006 ; 157 p. ; Poche
  • Les choses : Une histoire des années soixante suivi de Conférence à Warwick
    de Perec, Georges
    10-18
    ISBN : 9782264041289 ; 6,10 € ; 21/01/2005 ; 170 p. ; Poche
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Mais pourquoi ressasser les mêmes idées ?

6 étoiles

Critique de Mimi62 (Plaisance-du-Touch (31), Inscrit le 20 décembre 2013, 71 ans) - 18 novembre 2022

L'intention de l'auteur apparaît clairement, l'écriture, malgré un style dépouillé, décrit bien le milieu et l'esprit dans lequel évoluent les personnages principaux.
Dans l'ensemble le propos est intéressant mais j'avoue avoir été assez dérangé par les répétitions des mêmes idées.
J'ai par contre apprécié cette description se présentant comme une observation et non pas une interprétation.
Je suis surpris de l'attribution d'un prix à ce roman. Roman plutôt bon mais qui ne m'est pas apparu exceptionnel. Peut-être est-ce le parti pris de faire de l'observation et non la narration d'une vie qui lui a valu cette reconnaissance.
L'ouvrage ne m'a pas déplu, je le trouve même intéressant par sa forme de compte-rendu d'observation, les descriptions ne m'ont pas ennuyé mais je reste sur mon incompréhension concernant les redites.
Je serais presque tenté de dire "tout ça pour ça"... alors que l'ouvrage n'est pas très épais.
J'ai été bien plus séduit par La vie mode d'emploi.

La mort des idéaux par la société de consommation

10 étoiles

Critique de JEANLEBLEU (Orange, Inscrit le 6 mars 2005, 56 ans) - 30 décembre 2011

Je partage globalement les avis des autres lecteurs sur cette critiques (puissante car non manichéenne) de notre société de consommation.
J’ai d’ailleurs vu (sur le site de l’INA) une interview télévisée de George Perec au moment de la sortie de son roman dans laquelle il avouait que les sentiments de ses personnages étaient les siens et qu’il avait justement écrit ce roman pour prendre du recul avec cette société de consommation (d’ailleurs, il est significatif de constater que George Perec à environ 30 ans quand il écrit ce livre – l’âge de ses personnages à la fin du livre…).

Selon moi, la vraie difficulté de ce couple ce n’est pas tant de ne pas arriver à se payer ces fameuses « choses » ni de devoir, à la fin, accepter de « rentrer dans le rang » en prenant des métiers salariés (et en renonçant ainsi à sa liberté) qui leur permettent de pouvoir se payer une petite partie de ce bonheur promis.
Leur vraie difficulté (contradiction) c’est de ne pas assumer vraiment leur choix d’une vie « libre ».
L’épisode sur la guerre d’Algérie est vraiment révélateur à ce niveau. On voit que le couple renonce assez rapidement à contester sur ce sujet (par confort ? par peur ? par paresse ? …).
Ce couple aurait certainement été plus heureux s’il avait accepté de vivre son désir de liberté jusqu’au bout en en assumant toutes les conditions (délaisser le matérialisme, le confort, les tentations de la société de consommation) et en vivant ainsi au présent (même dépouillé) plutôt que dans un futur « conditionnel ».
C’est, peut-être, aussi le constat qu’a fait George Perec de la « mort » des idéaux « contestataires » amenée de façon pernicieuse par la société de consommation (puisque les mêmes contestataires sont habités dans le même temps du désir de posséder ces images légendaires du bonheur proposées par la publicité).
La meilleure métaphore de tout ceci étant la profession de ce jeune couple qui revendique la liberté tout en travaillant dans la publicité (publicité à laquelle ils n’échappent d’ailleurs pas bien qu’ils en connaissent l’envers du décor...).

intemporel

9 étoiles

Critique de Badzu (versailles, Inscrite le 6 novembre 2005, 49 ans) - 18 mars 2009

Je ne vais pas reprendre ce qui a déjà été très bien dit précédemment (par ceux qui ont aimé!) Ce livre délicieux est toujours d'actualité, comme cette critique de "l'authentoc" que j'ai trouvé très pertinente. Mais mon plus grand plaisir a été ces descriptions d'objets, qu'on lit à voix haute presque comme de la poésie... une révélation que ce petit livre.

Triste loi du désir matériel

8 étoiles

Critique de Veneziano (Paris, Inscrit le 4 mai 2005, 47 ans) - 25 décembre 2005

Le charme de ce livre est justement dans l'énumération, égrenant autant de désirs et de frustrations, agitant l'excitation de la consommation et du luxe et le refoulement de ce qu'on n'est pas, ou pas encore. Le non-dit est aussi important que la narration : j'ai apprécié ce mélange de résignation de désirs matériels et de leur réminiscence.

L'épilogue résume tout : après le rêve de grandeur à Paris et la nomination-exil à Sfax, au beau milieu du dénuement du désert tunisien, l'envie du retour et de la société de consommation devient inévitable.

"Une histoire des années soixante" : elle prend en effet tout son sens dans une époque où le consumérisme règne en roi ; aujourd'hui, c'est un peu décalé, et ça a un peu vieilli.

Un roman sociologique qui vaut le coup. Ca m'a un peu rappelé la chanson "La Complainte du progrès" de Boris Vian.

Choses, bonheur et liberté

8 étoiles

Critique de Krystelle (Région Parisienne, Inscrite le 10 juin 2004, 45 ans) - 11 juillet 2005

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt cette œuvre de Perec. La réflexion sur le poids des « choses » dans la vie des protagonistes et sur leur personnalité même est particulièrement bien menée et reste d’actualité malgré le sous-titre ("Une histoire des années soixante").

La liberté et le bonheur sont au cœur de ce roman qui ne cesse d’amener le lecteur à s’interroger non pas seulement sur la société dans laquelle il vit mais aussi sur lui-même et la manière dont il appréhende les « choses » de ce monde.

Un seul bémol: forcément pour parler des "choses" et de leur influence, Perec use et abuse des descriptions ce qui fait que j'ai trouvé le style narratif parfois peu accrocheur.

Tant de choses pour si peu de gens

6 étoiles

Critique de Heyrike (Eure, Inscrit le 19 septembre 2002, 57 ans) - 22 mars 2005

Un récit très court qui se déploie sous forme d'une longue litanie pour dépeindre le rêve, puis la détresse et pour finir la chute d'un jeune couple en proie aux contradictions de leur époque. Aliéner aux diktats de la nouvelle société de consommation naissante, les aspirants au bonheur louvoient sans répit pour résister à la pression permanente des discours pernicieux, les exhortant à désirer plus qu'ils ne pourront avoir. Difficile pour eux de concilier l'envie des choses susceptibles de faire d'eux des êtres vivants, et la conviction qu'ils doivent lutter pour préserver leur liberté, loin des modèles édictés par les tenant d'un système moutonnier. A bout de souffle, laminés par une existence passée à effleurer tant de choses, sans jamais réussir à les saisir tant dans leurs formes que dans leurs concepts, ils réaliseront trop tard l'ineptie récurrente contenue dans les promesses régénérées à chaque nouvelle génération, perdue dans les cauchemars de la précédente.

Ce roman nous parle d'une société au sein de laquelle l'individu en tant que citoyen se résume uniquement à la multitude de choses qu'il est parvenu à accumuler. Plutôt que de se limiter à une critique acerbe de ce système, l'auteur a préféré décrire la détresse d'un couple ayant vainement tenter de modéliser leur existence suivant les figures imposées par une société conformiste et consumériste.

je suis un contre-exemple

5 étoiles

Critique de Drclic (Paris, Inscrit le 13 mars 2004, 48 ans) - 11 septembre 2004

Un livre que j'attendais plus percutant.
Il est marqué par des énumérations sans fin ... qui nous font bien ressentir l'aspect matériel et surabondant du monde mais c'est un peu long, avec peu de sens et peu de réflexions.

Bon j'y peux rien, je suis un grand fan de kundera et j’attends souvent plus qu'une impression pour un livre. De la matière, du fond.
je ne suis pas rentré dedans pourtant je l'ai lu d'une traite pour pas en sortir mais rien n'y a fait.

Voila, juste pour dire qu'on peut ne pas accrocher.

Roman actuel.

10 étoiles

Critique de Le petit K.V.Q. (Paris, Inscrit le 8 juillet 2004, 32 ans) - 8 août 2004

Je ne suis pas très fort pour exprimer des critiques. Donc : très bien.

Mais ce roman est en même temps actuel : tous ces jeunes gens qui croient que quand on a les choses, on est heureux, que l'argent fait le bonheur, insatisfaits perpétuels de leur sort, ils sont à Paris, ils étouffent, ils vont en Tunisie, ils sont dans la solitude la plus complète, ils retournent à Paris, ils re-étouffent, ils vont à Bordeaux... Sylvie et Jérôme et leurs amis me font penser à tout ces jeunes qui veulent à tout prix faire la Star ac' : ils pensent qu'ils vont avoir de l'argent, que ça va être le bonheur, ils ont une célébrité éphémère, et retomberont dans leur vie d'avant avec, en plus : la nostalgie des tournées, des shows, de la télé, ce qui ne fait qu'accentuer encore leur désespoir.

Je ne sais pas si je m'exprime bien.
KIM

Un style sec et froid

10 étoiles

Critique de Lucien (, Inscrit le 13 mars 2001, 69 ans) - 27 août 2003

Un style sec et froid, oui. Une épure. Une épure glacée. Moi aussi, j'ai abordé l'oeuvre de Perec avec ce Renaudot dont on avait tellement parlé. J'avais à peu près ton âge, Tophiv. Peut-être un peu plus jeune. Je n'ai pas été déçu, mais ma lecture actuelle des "Choses", alors que je connais mieux les autres pans de l'oeuvre, est plus tendre, plus empathique. Je crois que je conseillerais plutôt, à un néophyte, de lire "W ou le souvenir d'enfance". C'est là que Perec livre le plus sensiblement les clés de son oeuvre.

"L'argent ... suscitait des besoins nouveaux."

8 étoiles

Critique de Tophiv (Reignier (Fr), Inscrit le 13 juillet 2001, 49 ans) - 25 août 2003

Après avoir parcouru avec attention tous les écrits de Lucien sur Perec , l'envie de découvrir cet auteur vient naturellement et inévitablement. En comparaison à cette si complète étude, j’espère ne pas trop écrire de bêtises dans ces courtes lignes …
Dans ce récit distancié, sans aucun dialogue, Perec ne nous raconte pas vraiment une histoire, il nous expose plutôt un état de fait. Plus qu'une critique de notre société de consommation capitaliste, c’est aussi une réflexion sur le bonheur et sur les moyens d'y accéder qui ont tristement déviés vers des idées fausses d’argent et de possession.
Perec, dans ce livre qui fit son succès, laisse libre cours à son écriture brillante , fluide et juste. D’un regard perçant et ironique, il nous décrit cette dérive du bonheur, gâché par l'envie.
Ayant un peu moins le goût des mots que Lucien, la présence d'une réelle intrigue m'a un peu manqué mais le style personnel et riche me l'a fait oublier. On pressent dans ce livre son talent pour les mots, les sonorités.
Je n’ai pas trouvé ici le côté poétique et plus personnel que j'avais pu effleurer dans les extraits d'autres livres, cités par Lucien. Le style est ici plus sec et froid qu’il semble l’être dans d’autres de ses oeuvres.

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