Ondine de Friedrich Heinrich Karl de La Motte Fouqué
(Undine : eine Erzählung)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone , Littérature => Fantasy, Horreur, SF et Fantastique

Critiqué par Gregory mion, le 6 juin 2012 (Inscrit le 15 janvier 2011, 41 ans)
La note : 10 étoiles
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De chair et de coeur, d'amour et d'eau fraîche.

Parmi les œuvres de La Motte-Fouqué, il n’est guère qu’Ondine qu’on lise encore malgré les lointains souvenirs de L’Anneau Magique (Der Zauberring) et de Sigurd, Tueur du Dragon (Sigurd, der Schlangentöter). Ce petit texte se déploie à travers les codes féériques du conte ; il n’oublie pas de raconter des événements merveilleux, de divertir le lecteur, d’avoir pour personnage principal un être surnaturel, bref tous les ingrédients littéraires propices à la forme « contée ». Ondine, par ailleurs, s’inscrit dans la mouvance d’un romantisme allemand en plein essor au début du XIXème siècle, ce qui accentue la postérité du texte. On recense à cette époque de nombreux recueils de contes, comme les Contes de l’Enfance et du Foyer des frères Grimm, qui s’attachent à restituer dans une forme littéraire intrépide la spontanéité d’une tradition orale communément affiliée au génie des peuples. En ce qui concerne La Motte-Fouqué, c’est surtout dans la tradition nordique que ses œuvres ont exercé un droit d’emprunt. Au reste, l’élément fondateur du conte se révèle à travers l’échange incessant entre un discours littéraire maîtrisé et une expression populaire accessible, ce qui produit des situations à la fois enfantines et subtiles, favorables à l’élargissement du public qui ne se sentira pas à court d’appréciations selon les hauteurs de vue qu’il voudra privilégier. Ainsi le conte énonce des motivations parfois morales même si on doit le distinguer de la fable qui, elle, entretient toujours un objectif pédagogique.

S’appuyant sur les fondations du romantisme allemand thématisé en grande partie par Friedrich von Schlegel dans son Cours de Littérature Dramatique (1809-1811), Ondine se veut un texte libre de ses mouvements, affranchi des règles classiques de la composition littéraire, puisant son inspiration dans les sources médiévales et chrétiennes en lieu et place du monument gréco-latin. La Motte-Fouqué, en donnant à la forêt une dimension typiquement merveilleuse, marque déjà la bifurcation en matière d’inspiration médiévale, à quoi l’on juxtapose une place narrative déterminante pour la prêtrise. Quant aux personnages centraux, c’est d’abord un chevalier prénommé Huldbrand, puis une amoureuse à l’ossature liquide conçue chez le peuple des Ondins, à savoir la ravissante Ondine, dont l’amour fantastique pour Huldbrand va fonctionner comme le moyen de perpétuer l’épanouissement du chevalier au-delà de son affection pour Bertalda, une femme bien de ce monde, sans pouvoirs singuliers. C’est d’ailleurs l’une des forces du romantisme que de retranscrire l’individu dans toutes ses particularités, et l’évolution accidentée d’Huldbrand est idéalement traitée par le biais de ses relations avec deux types d’être : l’un merveilleux, l’autre terrestre. Il en va quelque part d’Huldbrand comme de Julien Sorel, lui qui comprendra l’intégrité de sa personnalité après avoir expérimenté l’amour rural et l’amour urbain.

Notons encore, quoique de manière patente, que la nature liquide d’Ondine constitue le pivot formel d’un texte qui semble s’écouler librement, avec la force tranquille d’un fleuve intarissable de surprises et de prolepses, comme son héroïne se remplit des courants qui la font vivre après être vidée de temps à autre par la violence des émotions humaines. Bien sûr, cet enchevêtrement de l’élément merveilleux avec le matériau humain des émotions ruine l’emprise du tout-rationnel qui caractérisait le XVIIème siècle et que l’on devait, à certains égards, voir redistribué dans la pensée des Lumières malgré les redéfinitions salutaires du champ esthétique. Ce désordre des sentiments, parallèle à la volonté de refonder un nouvel ordre social, fait d’Ondine un bel exemplaire d’affirmation romantique. Qui plus est, l’amour de deux êtres radicalement distincts en nature souligne la possibilité d’une différence infinie qui ne doit plus être chassée par la pensée des hommes. Car ce que veut élucider le romantisme, par-delà des extériorités apparemment impraticables dans la relation, c’est la force réelle de l’intériorité en tant qu’elle se met immédiatement au contact du monde, chair contre chair pour ainsi dire, transmettant de la sorte le compte-rendu d’un esprit qui devient incapable de penser une quelconque « organisation » rationnelle sans en référer à l’organisation propre de la nature. Puisque le sujet est de ce point de vue irréductible à sa raison exclusive, il doit accueillir les messages de la sensation, enjamber les parapets de la finitude et se réconcilier avec l’irrationnel. L’amour que le cœur d’Huldbrand porte pour Ondine procède de cette réconciliation, aussi n’est-il pas surprenant que le conte devienne l’espace des contradictions et des contrastes, le lieu des tentatives imaginaires et des repères ordinaires.

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