Les indifférents de Alberto Moravia
(Gli indifferenti)
Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone
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"Il faut feindre."
Cinq personnes et deux jours et Le marécage ont été des titres envisagés par Moravia pour ce roman qui au final s’intitulera donc Les indifférents.
Et ils auraient fort bien convenu l’un et l’autre, étant donné le huis clos dans lequel vont évoluer durant quarante-huit heures Marie-Grâce Ardengo, son amant Léo, ses enfants Carla et Michel, et son amie et rivale Lisa.
Le marécage aurait été également un titre bien approprié, si l’on considère le bourbier dans lequel chaque personnage va s’enliser au fil des heures.
Dans une quasi unité de lieu, la villa des Ardengo, les intrigues vont se nouer autour des cinq personnages, presque comme dans une tragédie classique (on notera d’ailleurs l’aspect très théâtral du récit avec les allées et venues dans les pièces, les personnages qui surgissent inopinément etc..) autour de ces cinq personnages dominés par des désirs et des passions gravitant autour de deux axes essentiels et récurrents : l’argent et le sexe.
Thèmes chers à l’auteur, qui n’a eu de cesse dans ses œuvres de démontrer que l’argent, tout comme le sexe, pervertit la société, avilit l’homme, condamne toute possible sincérité dans les relations et relègue nécessairement l’amour au rang d’une mesquine lutte de pouvoir.
Mais Les indifférents, titre finalement choisi, prend toute sa dimension à la lecture du texte, on peut même dire ses dimensions à partir du moment où l’indifférence se situe à deux niveaux : l’indifférence éprouvée à l’égard de ce qui se passe autour de soi, au sens de "désintérêt", et l’indifférence ressentie intérieurement, au sens "d’insensibilité".
Les cinq personnages sont effectivement résolument centrés sur leurs petits problèmes personnels, rien de ce qui provient de l’extérieur se semble avoir d’importance pour eux, et c’est tout juste si l’on devine que l’action se déroule à Rome.
Léo ne pense qu’à garder la mainmise sur la villa de sa maîtresse Marie-Grâce, et à « posséder » la fille de cette dernière, Carla, à qui il fait des avances appuyées. Marie-Grâce ne pense qu’à garder son amant et à l’écarter de Lisa, l’ex-maîtresse de Léo dont elle se méfie plus que tout. Carla, brisée par l’ennui, n’aspire qu’à démarrer une « nouvelle vie », Lisa veut s’offrir une seconde jeunesse sensuelle dans les bras de Michel, et ce dernier veut plus que tout gagner de l’argent.
Oisifs, superficiels, ennuyés et ennuyants, ils ont tous un côté pathétique dans leur quête vaine et sans profondeur.
Foncièrement égoïstes, ils sont indifférents à tout ce qui n’est pas eux-mêmes.
Mais seuls Carla et Michel ressentent de l’indifférence quand des évènements les concernant surgissent. Carla est passive, blasée, sans envergure, plate et creuse, elle pense que tout est « immuable, dominé par une mesquine fatalité », et se donne à Léo sans trop savoir pourquoi.
Michel est un personnage à part, le personnage central du livre : c’est lui qui ressent le plus d’indifférence quand il contemple tout ce qui se passe autour de lui, mais paradoxalement c’est lui que cette indifférence dérange le plus : cynique et extrêmement lucide, il se livre néanmoins à des réflexions plus approfondies que sa sœur, ne ressent pas mais aimerait ressentir, est incapable d’agir mais aimerait agir. Il a envie de « croire », même s’il ne croit en rien : « Quand on n’est pas sincère, il faut feindre, et à force de feindre on finit par croire ; c’est le principe de toute foi . »
Le point de vue omniscient (le narrateur sait tout sur tout) permet de sonder l’intériorité de chaque personnage, mais surtout de mettre en évidence l’important décalage qu’il peut y avoir entre le ressenti et les paroles et les actes.
On voit à quel point les malentendus, les faux semblants et l’hypocrisie règnent en maître.
Les descriptions soignées, mais révélatrices d’un monde où derrière les façades se cachent les fissures (les objets sont abîmés, les murs craquelés etc…), les jeux de lumière, le temps pluvieux et imprévisible, contribuent à créer une atmosphère factice et sombre, et en plus du théâtre apporte une petite touche cinématographique.
Cette œuvre, la première de l’auteur, commencée du fond de son lit (il sera alité huit ans) quand il avait dix-huit ans, éditée à compte d’auteur, avant d’être rééditée par la suite (avec tant d’autres), a fait scandale lors de sa sortie en 1929.
On y vit un brûlot contre la société fasciste. Moravia s’est défendu d’avoir écrit une satire sociale, même si tout au long de sa vie d’écrivain il dépeindra de manière négative la bourgeoisie italienne.
Disons qu’il s’engageait timidement dans une voie, celle du regard sans concession sur la société moderne, voie qu’il ne quittera plus et qui lui faisait déjà écrire dans ce premier livre « Nous sommes tous pareils : entre les mille façons de faire une chose, d’instinct nous choisissons la pire. »
Les éditions
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Les indifférents [Texte imprimé] Alberto Moravia trad. de l'italien par Paul-Henri Michel préf., bibliogr. et chronologie par Gilles de Van
de Moravia, Alberto Van, Gilles de (Editeur scientifique) Michel, Paul-Henri (Traducteur)
Flammarion / G.F..
ISBN : 9782080706621 ; 9,00 € ; 04/01/1999 ; 379 p. ; Poche -
Les indifférents [Texte imprimé] Alberto Moravia trad. de l'italien par Paul-Henri Michel
de Moravia, Alberto Michel, Paul-Henri (Traducteur)
Flammarion
ISBN : 9782080684394 ; 15,30 € ; 15/11/2002 ; 355 p. ; Broché -
Les indifférents de Moravia, Alberto
de Moravia, Alberto
J'ai lu
ISBN : SANS000031455 ; 01/01/1971 ; 384 p. ; pochr
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Les critiques éclairs (3)
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Vies de vides...
Critique de Provisette1 (, Inscrite le 7 mai 2013, 12 ans) - 16 janvier 2014
Peinture impitoyable, en huis clos, de vies- pseudo-vies, plutôt...- d’êtres vains, indifférents aux autres qu'ils leur soient liés par le sang ou le sexe, profondément égoïstes, nageant dans l'ennui le plus profond tel un néant existentiel- ce qui nous renvoie, une fois encore, à cet existentialisme, élément récurrent dans les oeuvres de Moravia- fondement de leur quotidien qu'à titre personnel, j'ai trouvé éprouvant tant il est nauséabond, écoeurant de veulerie, de vanité, de vacuité, de cynisme.
Et, malgré ces côtés insupportables des personnages, nous laissant, souvent, interloqués face à tant de noirceur intime, ce livre n'en demeure pas moins, paradoxalement, presqu'hypnotisant!
Désespérant, parfois, tant, au fond, Moravia décrit avec son habituel brio stylistique les tréfonds celés et si noirs de l’âme humaine.
Etre ou ne pas être, vouloir ou non
Critique de Veneziano (Paris, Inscrit le 4 mai 2005, 47 ans) - 9 août 2013
Malgré cette trame, ce roman est loin d'être poussif : il s'avère même assez démonstratif, par l'assaut de velléités inabouties, d'analyses dénuées de suite. Et il sert ainsi de condamnation cynique forte de l'esprit superficiel et désabusé d'une époque, de la crise sociale et morale de la bourgeoisie, favorable au régime politique en place, omniprésent et omnipotent. C'est ce que rappelle, par ailleurs, la préface de Gilles de Van. Ce marasme est donc porteur d'un sens lourd, fort évocateur. Les personnages sont conditionnés pour se trouver des raisons à ne pas agir, à se laisser aller à la solution la plus simple, toute tentative de révolte avorte, presque mollement.
L'ambiance est lourde, le ton actif malgré le terme, via un style alerte. Il fait réfléchir sur le sens de la vie et la volonté.
Un pessimisme absolu
Critique de Monito (, Inscrit le 22 juin 2004, 52 ans) - 20 mars 2013
Marie-Grâce est une veuve, bourgeoise désargentée à qui il ne reste que la propriété hypothéquée que convoite son amant Léo, caricature de sale type à la démarche uniquement intéressée.
La mère est quant à elle une jalouse maladive au cerveau débile et égocentré ne trouvant d’intérêt que dans la futilité des choses de la vie.
Clara, jeune femme de 24 ans porte en elle une « non-vie », un sentiment de culpabilité et un besoin de souffrance et de repentance dont les fondements restent obscurs. La relation qu’elle entretient au fil du roman avec Léo qui fournit toutes occasions de satisfaire une morbidité relationnelle troublante.
Michel, son frère plus jeune, se désole quant à lui, au fil des pages de son manque de ressenti réel sur ce et ceux qui l’entourent. Agrémenté d’une couardise confondante ce sentiment en fait un quasi non-être qui voudrait sortir de son rôle d’observateur passif et inutile.
Lisa dans tout cela fait office de révélateur. Pleine de défauts elle aussi c’est malgré tout le personnage qui semble vivre le plus normalement cet imbroglio bourgeois et sentimental de peu d’intérêt.
Ce qui reste et rend ces Indifférents remarquables c’est finalement que le pire décrit n’est pas celui que l’on imagine et que le pire qui se produit n’est pas celui que l’on redoute.
Sans être particulièrement noir, ce roman donne à voir tellement peu de qualités humaines, tant de lâcheté et de faiblesse cumulées, qu’à à peine 22 ans, Moravia si bien mises au jour, comme si tout de la vie, au-delà d’un pseudo scandale de mœurs, lui était déjà connu.
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