Boissière de Pierre Benoit, Philippe Poncet de la Grave (Dessin)

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Shelton, le 18 mai 2012 (Chalon-sur-Saône, Inscrit le 15 février 2005, 68 ans)
La note : 10 étoiles
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Un grand roman

Au vingtième siècle, il y eu de nombreuses éditions spéciales illustrées pour la plupart des grands romans. Une telle chose était réalisable car il y avait d’une part des artistes qui prenaient le temps d’illustrer des textes et d’autres part une quantité de lecteurs qui prenaient beaucoup de plaisir à lire ces textes et regarder ces illustrations. L’affaire était donc à la fois artistique, littéraire et commerciale… Malheureusement, aujourd’hui, les lecteurs, les acheteurs et amateurs d’art sont de moins en moins nombreux, du moins à ce qu’il semble… Heureuse période où Pierre Benoît a pu ainsi voir certains de ses romans en version illustrée et quel bonheur pour ceux qui ont pu se procurer des collections de tous ses romans avec de magnifiques dessins, comme c’est le cas de ces Œuvres complètes de Pierre Benoît vendues après sa mort par le cercle du bibliophile. Je n’ai pas cette collection entière, mais seulement trois volumes. Il y a deux romans par livre, les deux illustrés par le même artiste. Boissière est apparié avec Bethsabée et c’est Philippe Poncet de la Grave qui a réalisé les travaux graphiques, 6 pleines pages pour Boissière.

Avant de revenir plus précisément à ce roman que j’ai trouvé excellent, il est bon de rappeler que l’illustration est importante aux yeux de Pierre Benoît qui, de son vivant, s’est appliqué à adapter ses romans au cinéma pour en offrir une version vivante, visuelle et dramatique à ses lecteurs et à ceux qui n’avaient pas eu le courage de le lire… Boissière a été adapté au cinéma en 1937 par Fernand Rivers, avec une actrice qui a beaucoup compté pour Pierre Benoît, la Spinelly comme on disait et qui fut longtemps sa maitresse…

Mais quel rôle jouait la Spinelly ? Elle jouait le rôle phare du film, le personnage capital et fatal du roman, encore une femme qui porte un nom commençant par un A, Adlonne ! Une belle femme, du moins à ses débuts, une femme qui fut la maitresse du père d’un certain Jean Le Barois, ami de jeunesse du narrateur du roman. Souvent on dit que Pierre Benoît écrit des romans partiellement autobiographiques, ce dernier doit en faire partie puisque le narrateur vient d’être élu à l’Académie Française… L‘auteur est élu à l’Académie en 1931, il y est reçu en 1932, écrit son roman en 1934 et celui-ci est publié en 1935.

Donc ce roman est surtout l’histoire de Jean dont le père, un jour, s’est suicidé ruiné par sa maitresse Adlonne. Mais comment Jean se retrouve-t-il propriétaire de la Boissière, propriété qui appartenait à Adlonne ? Pourquoi notre narrateur passe-t-il quelques jours chez Jean, à la Boissière alors que les deux ne s’étaient jamais revus depuis la guerre ? D’ailleurs cette dernière fois était pleine de mystère, peut-être même de culpabilité, voire de trahison ?

Ce roman est très fort, dramatique et noir, et je vous avoue que je trouve que c’est un des meilleurs romans de Pierre Benoît. Ce texte fait partie de ceux qui ont été écrits à Saint-Céré comme Le Roi lépreux, l’Ile verte ou Le soleil de minuit… C’était sa ville d’adoption, dans le Quercy, un des lieux du monde, lui qui voyageait tant, où il se sentait le mieux… Un de ses grands lieux d’écriture, une terre qui va aider à engendrer de très bons romans…

Le narrateur est uniquement spectateur, il ne peut rien faire, tout s’est déjà produit il y a quelques années et il est condamné à écouter Jean lui parler de ses parents, de cette Adlonne, de ce qu’il a vécu, surtout, de ce qu’il doit encore vivre depuis que tous ces êtres se sont éloignés de lui pour des raisons ou d’autres, parfois des évènements lourds de conséquences. Et l’amour, me direz-vous ? Ne cherchez pas à nous dire que pour une fois il n’y aurait aucun sentiment entre ce jeune Jean et la maitresse de son père ?

Et vous pensiez que j’allais vous raconter tout ce que contient Boissière ? Je vous rappelle que si Pierre Benoît a écrit des romans c’est parce qu’il aimait vous raconter directement ces destins et je ne voudrais pas vous ôter ce plaisir !

C’est aussi un roman de la fatalité, du destin que l’on ne maitrise pas, de l’amour même quand il est impossible, de l’amitié, de la fierté, de l’esprit de fidélité… Je serais tenté de vous dire que c’est tout simplement un roman de l’humanité avec ce qu’elle a de plus grand, de plus petit, de plus vil… c’est aussi un roman sur la guerre, celle de 14-18, mais assez original car on n’y parle pas des tranchées ni de Verdun…

Quand on arrive à l’avant dernière page et que les choses se précipitent… on se demande quoi penser. Jean, Adlonne et tous ceux qu’ils ont rencontrés étaient-ils de grands hommes, de grandes femmes ? Où étaient-ils comme nous-mêmes, de petits humains qui tentent par tous les moyens de trouver sur cette terre une once de bonheur, qui essaient de survivre…

Et s’il fallait lire ce roman à tout prix pour comprendre Pierre Benoît ? Quand le roman est sorti, Paul Léautaud écrivait : « Toujours grand talent qui conquiert et retient tout de suite. Quelle merveille aussi ce don d’invention romanesque… » Oui, pour ceux qui ne connaissent pas ce romancier, voilà peut-être la pierre initiale à dévorer…

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