Le pain des fossoyeurs de Frédéric Dard

Le pain des fossoyeurs de Frédéric Dard

Catégorie(s) : Littérature => Policiers et thrillers

Critiqué par Gregory mion, le 1 mai 2012 (Inscrit le 15 janvier 2011, 41 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (3 748ème position).
Visites : 4 391 

Le roman noir : une éminence du tragique.

Nous avons là un roman noir qui fonctionne comme une tragédie : les personnages transportent en eux une fin inexorable et ne sont pas nombreux, les événements sont noyautés dans un microcosme et les actions décisives nous suggèrent une purification morale tant elles excèdent les codes de bonne conduite. L’effet cathartique justifie donc notre comparaison avec le phénomène tragique, ce qui montre que la réclusion formelle de la tragédie en un lieu confiné impose malgré tout un intéressement plus large, c’est-à-dire une sédimentation des émotions dans le macrocosme du monde « normal ». On a ainsi une modeste ville de province dans laquelle se déroule un ruban fatal, lequel s’enroule autour de trois personnages principaux : Blaise, Germaine et Achille.
Blaise est le modèle de l’homme banal, incapable de se placer dans la machine sociale, ce qui fait de lui un personnage poreux du point de vue du destin – son caractère peut se révéler plein de ressources verbales, mais le temps des mots est moins vigoureux que le temps pratique d’une action que l’on maîtrise. L’intrigue décrira au lecteur le lent processus de malléabilité de Blaise, déporté à droite et à gauche de la fatalité, nanti seulement d’un faux-semblant de contenance.
Germaine est une jolie femme perdue dans le monde rural. Sa vie se juxtapose au rythme mortifère d’une entreprise de pompes funèbres tenue par Achille, son mari. La perversité du processus tragique débute lorsque Blaise entre dans la vie (et en même temps dans la mort) du couple Castain. Très habilement, l’auteur exécute son récit de sorte à ce que l’on se figure le caractère irréversible de ce qui est commis. Autrement dit, les personnages endossent des actions qui déterminent leur identité, et chacun d’eux, en dépit des apparences, se révèle incommunicable à l’autre sinon dans la communauté du destin tragique.
Achille Castain, le patron des pompes funèbres, ne porte peut-être pas son prénom par hasard. Dans L’Iliade, le premier chant nous renseigne sur la colère d’Achille. L’homme fort des Achéens refuse le combat dès qu’il apprend qu’Agamemnon, selon toute vraisemblance, a eu des relations de couche avec Briséis, une belle Troyenne qu’Achille avait enlevée aux siens. Pour ce qui concerne Achille Castain, même s’il n’a rien d’un héros grec de la mythologie, on peut cependant effectuer un parallèle entre certains des éléments de son existence et certains traits d’Achille. D’abord, il y a l’arrivée de Blaise au cœur de la cellule « Castain », perturbant la mécanique de ces vies trop appareillées. Au sujet de la colère, on verra qu’Achille Castain n’en est pas dépourvu, d’autant plus que ses accès de brutalité sont motivés par des arguments essentiellement colorés de jalousie. Enfin, et contrairement au héros de L’Iliade, Frédéric Dard ne choisit pas de faire revenir Achille, il opte plutôt pour une disparition. Toutefois, et c’est ce qui fait la réussite incontestable de ce petit roman, la disparition d’Achille fonctionne comme une affirmation de la fatalité, voire comme le réveil définitif de cette dernière. Absent, Achille Castain devient plus omnipotent que lorsqu’il était présent, et bien que cela nous fournisse un paradoxe héraclitéen, il faut avant toute chose considérer ce personnage à l’aune de ce qu’il est habitué à faire : traiter de la mort. Par conséquent, l'évacuation narrative d’Achille rappelle au premier plan le thème de la mort, et finalement l’implacable mouvance du destin auquel il est nécessaire de croire lorsqu’on s’embarque dans une histoire tragique.

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Un Dard bien dur et bien noir.

9 étoiles

Critique de Hexagone (, Inscrit le 22 juillet 2006, 53 ans) - 16 mai 2013

De l'œuvre de Frédéric Dard, je ne connais que les San-Antonio.
Commissaire aux manières atypiques entourés d'une bande de pieds nickelés
C'est aussi tordant que jubilatoire.
Je savais que Dard avait eu d'autres productions littéraires, sous différents pseudos et qu'il avait écrit des polars noirs.
Je ne me m'étais pas laissé convaincre, pensant qu'il s'agissait d'œuvres marginales, alimentaires, écrites au kilomètre avant le succès et la reconnaissance.
Erreur capitale que je m'impute à présent.
Le Pain des Fossoyeurs terrasse en quelques pages tout ce que je pensais ou imaginais penser.
Il y a du Simenon dans ce livre, une habileté incontestable à créer une ambiance servie par une littérature exquise.
Blaise cherche du travail en province, il rate une embauche dans une manufacture de caoutchouc et se retrouve croque-mort.
C'est avec grand art que Dard nous fait passer du latex au cercueil.
Blaise va se jouer de son destin, provoquer des catastrophes en chaîne par amour et jalousie.
180 pages qui percutent, on est dans un polar des années 50, ambiance de province ennuyeuse, on entend le balancier de l'horloge comtoise les après-midi de dimanches pluvieux.
Bien sûr il y a un mort, une enquête, une course contre la mort et une sublime enquête.
Bizarrement j'ai pensé à Coluche en lisant ce livre.
C'était l'amuseur number one et il nous a tous époustouflés dans Ciao Pantin.
Il y a de ça avec Dard, un amuseur qui m'a fait rire avec Sana et qui là, m'a ému.
Je me suis même demandé si d'une certaine manière, Dard n'avait pas choisi une certaine facilité ( toute relative) avec sa série des Sana.
Une machinerie bien huilée qui roule toute seule, un écrivain en écriture automatique qui pendant ce temps lorgne les hôtesses.
Un Monsieur qui peut-être se foutait de devenir un des auteurs majeurs de son époque, un dilettante qui ne s'est jamais pris au sérieux et qui se souciait peu du qu'en dira-t-on !!!
On ne le saura jamais, ce qui est certain c'est que Dard était un bon et grand écrivain.

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