L'homme de la Saskatchewan de Jacques Poulin

L'homme de la Saskatchewan de Jacques Poulin

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Libris québécis, le 27 avril 2012 (Montréal, Inscrit(e) le 22 novembre 2002, 82 ans)
La note : 9 étoiles
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À la défense du français

La tendance au Québec vise l’anglicisation, même au sein du gouvernement de la province. On a choisi un unilingue anglais au conseil d’administration d’Hydro Québec, une entreprise d’État qui produit de l’électricité. La Banque nationale, seul fleuron francophone parmi les institutions bancaires, s’est donné un directeur unilingue anglais. Et le club de hockey des Canadiens de Montréal s’est débarrassé de son entraîneur bilingue pour le remplacer par un anglophone unilingue, qui a conduit l’équipe au dernier rang de la Ligue nationale. Jadis, les francophones projetaient sur les joueurs leur fierté de véhiculer la culture française. « Quand bien même tous les chiens du Québec japperaient », comme l’écrit l’auteur en citant les paroles prononcées en 1885 par le Premier ministre John A. MacDonald, la situation s’accentue à un rythme effarant à Montréal.

C’est dans cette foulée que le Beauceron Jacques Poulin marque le pas avec son roman attaché à un jeune homme de la Saskatchewan, Isidore Dumont, devenu le gardien de but des Canadiens de Montréal. L’auteur renoue ainsi avec son roman précédent, qui soulignait l’apport des frères Richard, (Maurice et Henri), de célèbres hockeyeurs en qui on voyait les artisans de la force des francophones au Québec. Cette fois-ci, l’auteur élargit le cadre de la francophonie en l’étendant jusqu’aux provinces de l’Ouest, en l’occurrence la Saskatchewan, explorée au début de la colonie par les explorateurs français. Exploration qui a produit un métissage amérindien. Des communautés de métis francophones ont fondé des villages que la milice canadienne s’est empressée de décimer par les armes, voire de pendre leur chef Louis Riel.

Isidore Dumont, le héros du roman, est un descendant des habitants de Batoche, dont a tué l’ancêtre pour son appartenance à la minorité métis. Par courrier, le jeune hockeyeur s’adresse à Jack Waterman pour écrire sa biographie. Comme matériel de base, il reçoit des cassettes, qui racontent le rêve d’un hockeyeur désireux de jouer à Montréal. Un jeune marqué par l’histoire de son peuple réprimé, dont il voudrait venger l’affront subi par les colonisateurs anglais.

Ce nationalisme, connu dans les milieux sportifs, ennuie les dirigeants de la Ligue. On mandate des sbires pour kidnapper l’auteur avant qu’il n’envoie son manuscrit à l’éditeur. Mal leur en prit. Ce dernier a confié à son petit frère Francis d’être son nègre, trop occupé qu’il était à écrire son prochain roman. Le cadet se sent obligé de débusquer les kidnappeurs, dont il devine l’identité pour avoir vu deux individus louches dans la tour que les Waterman habitent à Québec. La recherche lui semble facile parce que l’un d’eux ressemble à Mag Dog Vachon, un catcher francophone apprécié de tout le Québec. Pour son enquête, il reçoit l’aide de la Grande Sauterelle, la Montagnaise qui a fait le voyage à San Francisco avec Jack dans Volkswagen Blues.

Il s’agit d’un thriller nationaliste, qui se porte à la défense du français au Québec, voire en Amérique. Une langue que l’on devrait respecter au Centre Bell, où joue le club montréalais, en chantant l’hymne national uniquement en français. En fait, l’auteur s’immisce dans la querelle linguistique touchant l’avenir de notre langue dans les sports.

Même si Jacques Poulin est un miniaturiste, ses œuvres sont d’une très grande richesse. Ses projets d’écriture englobent tout ce qu’il a écrit. Il traîne ses personnages comme une chatte ses petits. On les retrouve avec bonheur d’une œuvre à l’autre. Ça donne l’impression de lire une suite, qui se renouvelle sous l’angle du sujet abordé, en l’occurrence, dans L’Homme de la Saskatchewan, le fait français en Amérique du Nord.

Et chaque œuvre creuse un peu plus la personnalité du seul héros en fait, le romancier Jack Waterman. Qui est-il ? La réponse est de plus en plus claire si l’on comprend qu’il se cache dans tous les personnages. Avec ce roman, il manifeste son nationalisme à travers un jeune hockeyeur. À travers la Grande Sauterelle, qui revient au Québec avec la célèbre Westfalia (Volkswagen Blues), il projette son désir de liberté sans amarres. Les deux Jack, Kerouac et celui de Poulin, sont sur la même longueur d’onde. C’est en quoi l’œuvre de notre Beauceron se démarque par son américanité. Derrière ces personnages forts se profile Francis « le petit frère », homme en mal d’assurance, surtout depuis qu’il a subi une orchidectomie. Ce n’est pas l’ablation d’un testicule qui va l’empêcher de lorgner les longues cuisses de la Montagnaise. Et de la cuisse à la coupe, il n’y a qu’un pas, disons une main pour attraper le vase qui déborde de concupiscence. Fait rare chez le pudique Poulin, qui procure à ses personnages des libidos de carême.

Ce « texticule » enferme une tonne de richesse malgré ses 120 pages, format Acte Sud. Jacques Poulin donne un cours magistral d’écriture avec son roman, cours inspiré par les bons écrivains, en particulier Ernest Hemingway, dont il cite les meilleurs passages sur l’art d’écrire. Bref, amour de la langue, amour de l’écriture, amour de la vie, amour tout court se côtoient en toute amabilité.

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