Elisée Reclus : Géographe, anarchiste, écologiste de Jean-Didier Vincent

Elisée Reclus : Géographe, anarchiste, écologiste de Jean-Didier Vincent

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Essais

Critiqué par Pieronnelle, le 21 avril 2012 (Dans le nord et le sud...Belgique/France, Inscrite le 7 mai 2010, 77 ans)
La note : 10 étoiles
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Elisée un "doux entêté de vertu"

C’est un essai qui se lit comme un roman. Pas vraiment étonnant quand il s’agit d’un être comme Elisée Reclus « Ce doux entêté de vertu » comme l’affirmait son ami Nadar; mais c’est surtout l’écriture de Jean-Didier Vincent, dont il est clair qu’il a été subjugué par l’homme, qui rend ce livre passionnant. Ici on n’est pas dans la froideur d’un essai qui au demeurant a obtenu le prix Fémina dans cette catégorie.
Elisée, le « doux anarchiste », savant devenu le plus grand géographe français, écologiste avant l’heure,végétarien, journaliste, ethnologue, aventurier, révolté communard, et j’en passe détient un pouvoir de séduction assez rare.
Né en 1830, ce fils de pasteur élevé dans la rigueur et l’austérité mais avec une instruction ouverte sur le monde grâce à des études approfondies en Allemagne, aura un parcours axé sur la liberté, l’amour des hommes, la justice, le désir d’égalité, la solidarité et la passion de la nature.

Jean Didier Vincent n’a pas construit son livre comme une biographie classique. S’il a bien évoqué tous les aspects du personnage il a fait ressortir un géographe qui restera unique dans l’histoire puisqu’il a été le père de la géopolitique française.
L’histoire des peuples s’inscrit pour lui au même titre que la géographie pure. Au cours de ses aventures en Louisiane il découvrira l’esclavage ; en Colombie où il a réellement eu l’intention de devenir agriculteur, il aura un vrai regard d’ethnologue sur les tribus avec lesquelles il travaillera. Il en reviendra malade mais cela n’entamera en rien son désir de parcourir le monde et de découvrir les peuples qui pourra se réaliser grâce à son métier de géographe….
Jean Didier Vincent a divisé son livre en trois chapitres dont les titres poétiques correspondent bien à la personnalité de Reclus :

- « Le ruisseau » qui retrace son enfance et son départ dans cette vie intimement liée à la nature, vrai « roman d'apprentissage » comme le précise l’auteur.

- « la rivière » qui sera l’entrée dans le monde adulte où se développera cet esprit libre ; il deviendra journaliste et rédacteur de guides touristiques. Ce sera aussi son union, libre, avec Clarisse la belle métisse qui mourra bien trop tôt le laissant avec deux petites filles. Toute sa vie il restera, malgré ses nombreux voyages, très proche de sa famille particulièrement de son frère Elie avec lequel il créera même une banque... de solidarité!
La rivière l’emportera aussi vers un engagement politique et social qui le conduira à devenir communard en 1870. Il sera condamné à la prison et la déportation et grâce à de nombreuses interventions, dont Darwin, sa peine sera transformée en bannissement.

- « Le fleuve » où il naviguera vers sa grande « Nouvelle géographie universelle » et sa véritable entrée dans l’anarchisme par ses rencontres avec Bakounine et Kropotkine.
Comme l’écrit J.D.Vincent « Reclus sera le premier à avoir utilisé le mot anarchie dans un sens positif » :
« Notre destinée, c’est d’arriver à cet état de perfection idéale où les nations n’auront plus besoin de la tutelle d’un gouvernement, c’est l’anarchie la plus haute expression de l’ordre ».
Reclus et Kropotkine devinrent des amis intimes tout en étant différents. Ce dernier disait de lui :
« Le type du vrai puritain dans sa manière de vivre et, au point de vue intellectuel, le type même du philosophe encyclopédiste français du XVIIIè siècle : l’homme qui inspire les autres, mais n’a jamais gouverné et ne gouvernera jamais personne ; l’anarchiste dont l’anarchisme n’est que l’abrégé de sa vaste et profonde connaissance des manifestations de la vie humaine, sous tous les climats et à tous les âges de la civilisation ; dont les livres comptent parmi les meilleurs du siècle ; dont le style, d’une beauté saisissante , émeut l’âme et la conscience… ».

Mais Il est temps d’évoquer l’œuvre d’Elisée .
Elle consistera principalement en:
- l’« l’Histoire d’un ruisseau » :
« L’histoire d’un ruisseau, même de celui qui nait et se perd dans la mousse, est l’histoire de l’infini. Ces gouttelettes qui scintillent ont traversé le granit, le calcaire et l’argile ; elles ont été neige sur la froide montagne, molécule de vapeur dans la nuée, blanche écume sur la crête des flots… »
- « La Terre » et « L’Homme et la Terre » véritables odes à la nature qu’il aimera et respectera toute sa vie en véritable humaniste :
« Le Bonheur, tel que nous le comprenons, n’est donc pas une simple jouissance personnelle. Certes, il est individuel en ce sens que « chacun est le propre artisan de son bonheur », mais il n’est vrai, profond, complet, qu'en s’étendant sur l’humanité entière… ».
- Et surtout cette « Nouvelle Géographie universelle » qui fera de lui le plus grand géographe français et qu’il mit dix neuf ans à rédiger.
Mais il a également écrit d’autres livres dont « Volcans de la terre » sa dernière œuvre, et divers textes dont « L’Evolution, la Révolution et l’idéal Anarchique » est une synthèse de ses théories et dans laquelle, selon J.D Vincent, on retrouve l’influence de Darwin et Spencer.

Jean Didier Vincent, neurobiologiste, auteur de nombreux livres scientifiques se comporte dans celui-ci en vrai romancier captivé par Elisée Reclus et avoue avoir écrit « une histoire d’amour ».
Il parvient avec un style très littéraire et poétique à transmettre, avec néanmoins une rigueur concernant ses recherches, son attachement pour cette personnalité brillante, pétrie de modestie, parfois pleine de contradiction mais d’une sincérité qui ne peut être contestée et dont cette critique ne parvient malheureusement qu’à donner un trop petit aspect.
Que tous ceux, à priori rebutés par les essais, entrent sans aucune réticence dans ce très beau livre réservé à un homme d’exception.

« Elisée géographe se comportait à la fois comme un enfant et comme un homme des origines. Il y avait de la durée dans ce que lui apportait l’instant d’un regard. Le sentiment de beauté qui parfois s’en dégageait lui faisait toucher de l’âme l’ « éternité » qui était un instant éclaté et l’ « universel » qui étendait le local au-delà des clôtures. Il n’y avait aucune métaphysique là-dedans, mais le sensible à l’état pur, une forme renversée de transcendance qui excluait Dieu »

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