Grenouilles de Mo Yan

Grenouilles de Mo Yan
(Wa)

Catégorie(s) : Littérature => Asiatique

Critiqué par Myrco, le 1 avril 2012 (village de l'Orne, Inscrite le 11 juin 2011, 75 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 6 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 4 étoiles (50 731ème position).
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Quand le génie littéraire s'empare du thème de l'enfant unique...

Dernière traduction française d'un roman de Mo Yan, l'un des plus grands auteurs chinois continentaux actuels, je n'ai pu résister à l'envie de la lire avant sa parution en poche. J'avais en effet été conquise (avis confirmé sur C.L jusqu'ici) par les deux romans que j'avais lus jusqu'à ce jour:"La dure loi du karma" et"Le chantier".

"Grenouilles" adopte pour thème central la politique de l'enfant unique, au travers de la vie et de l'expérience d'une tante du narrateur, gynécologue-obstétricienne très douée, une personnalité hors du commun, personnage fort en gueule et haut en couleur. Celle-ci se verra tour à tour adulée puis haïe, adulée comme bienfaitrice lorsqu'au début de sa carrière, elle introduit dans cette campagne chinoise des années 50 son savoir et ses méthodes, sécurisant l'accouchement des femmes jusqu'alors livrées à des pratiques souvent obscurantistes, plus tard haïe lorsqu'elle deviendra le bras zélé du planning familial.
Le roman couvre la seconde moitié du XXéme siècle jusqu'à nos jours en se focalisant sur cet aspect de la politique, depuis son émergence jusqu'à son évolution actuelle.
Suite à la grande famine du début des années 60, la Chine connut un pic de natalité "les enfants patates douces" , inquiétant les autorités qui lancèrent en 1965 le slogan: "Un ce n'est pas peu, deux c'est ce qu'il faut, trois c'est un de trop." Bientôt,devant le risque alarmant de pouvoir faire de moins en moins face aux besoins de cette population, le gouvernement prit des mesures radicales. Au fur et à mesure qu'elles se heurtaient à des résistances dans les mentalités, au refus des méthodes contraceptives, la politique menée devint de plus en plus coercitive: vasectomie des hommes, avortement forcé des femmes, sanctions en cas de refus.
Concernant les avortements, il semble que cette politique ait parfois donné lieu à des épisodes dramatiques. S'agit-il de dérives réelles ou Mo Yan imagine-t-il que le radicalisme d'agents du planning familial trop zélés aurait pu engendrer de telles dérives? Sans doute un peu des deux.
L'auteur porte là-dessus un regard ambivalent. Si sa raison justifie la nécessité de cette politique et s'il se garde de criminaliser ses agents, il n'en stigmatise pas moins les dérives -il égratigne au passage les cadres vasectomisés qui, de ce fait,se permettaient d'abuser de jeunes filles sous leurs ordres - et son coeur déplore la souffrance et le gâchis qui ont pu résulter d'avortements imposés.
Aujourd'hui, la politique de l'enfant unique , toujours en vigueur, a connu bien des évolutions dans les faits:
"ceux qui ont de l'argent font des gosses et paient l'amende"
"ceux qui n'ont pas un sou font des gosses , mais en cachette"
"ceux qui sont dignitaires font faire les gosses par une "deuxième""
"seuls les petits fonctionnaires sans argent et timorés n'osent pas faire d'enfants"
Qui plus est, dans ce contexte de l'enfant unique, les chinois ont développé un véritable culte pour le petit enfant, choyé, adulé, objet de désir.
A la nécessité dictée par la raison, au niveau de l'état, de contrôler le développement de l'espèce s'oppose le besoin ancré depuis toujours en l'homme (comme en toute autre espèce d'ailleurs) de se reproduire, désir de s'assurer une descendance chez l'homme, désir d'enfant chez la femme. Petit Lion incarne cette dualité: totalement dévouée à seconder la tante dans la première partie de sa vie, elle se révèlera dans la suite totalement obsédée et souffrante, habitée presque jusqu'à la déraison par ce désir de réalisation maternelle - occasion, pour l'auteur d'évoquer le problème moderne et délicat des mères porteuses.
Commencée dans la négation, la partie roman pur de l'oeuvre s'achève à travers une sorte de mascarade par le triomphe de la vie.

Ceci dit, l'intérêt du roman réside moins, à mon sens, dans le sujet, certes intéressant, que dans la manière dont il est traité.
Mo Yan confirme là une imagination débordante capable de s'emparer du réel pour le transcender, avec brio, en une création littéraire foisonnante, un peu débridée, un peu surréaliste, émanation fantasmée du réel, mais ô combien expressive et chargée de sens.
Au coeur de la narration, et de plus en plus présente , au fur et à mesure que l'on avance dans l'oeuvre, la figure du petit enfant s'enrichit en quelque sorte de son double: la figure symbolique de la grenouille, qui justifie le titre. Il faut savoir qu'en chinois, le mot "wa" se prononce de la même façon pour désigner "bébés" et "grenouilles".
Aussi, l'oeuvre est-elle conçue comme une variation autour de ce thème double, se démultipliant à l'infini, se déclinant en multiples facettes, qui se renvoient les unes aux autres, entre lesquelles l'auteur s'amuse à nous promener et à nous perdre:
-les statuettes d'argile, représentations enfantines inspirées de Hao Grandes Mains et Quin He;
-l'élevage de grenouilles-taureau de Wan la joue et du cousin du narrateur;
-les grenouilles qui assaillent la tante dans le marécage comme autant de réincarnations vengeresses de ces bébés qui n'ont jamais vu le jour;
etc, etc...
On retrouve ici cette patte personnelle de Mo Yan , qui consiste à traiter de sujets sérieux en mêlant naturellement réalité et fantaisie délirante, dimension épique parfois, comique et tragique, tendresse et gravité sans oublier humour.

Un petit bémol néanmoins ici, pour ce qui me concerne: Mo Yan, en véritable écrivain qu'il est, cherche sans cesse à se renouveler dans la forme, en explorant inlassablement le champ de la création littéraire. La forme de l'ensemble pourra paraître ici un peu alambiquée. En effet,la relation de l'épopée légendaire de la tante se veut d'abord "matériau", prétexte à exercice littéraire, et se présente d'abord sous forme de lettres adressées par un apprenti écrivain (le narrateur), Têtard de son nom de plume, à son maître, grand romancier japonais.
Elle se complète par "l'oeuvre" de Têtard, version théâtrale fantasmée de cette relation, nouvelle variation sur le même thème.
Ce parti pris reste en fait assez artificiel, de mon point de vue, car fort heureusement, à la lecture, on oublie vite que l'on est dans une soi-disant forme épistolaire, tant la prose reste fluide et l'art du conteur, vivant, se démarquant ainsi d'une forme épistolaire classique.
J'avoue ne pas avoir été convaincue par cette focalisation sur le traitement littéraire qui m'a semblé participer d'une mise à distance du récit et des personnages préjudiciable à l'empathie.

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Les éditions

  • Grenouilles [Texte imprimé], roman Mo Yan traduit du chinois par Chantal Chen-Andro
    de Mo Yan, Chen-Andro, Chantal (Traducteur)
    Seuil
    ISBN : 9782021024005 ; 25,00 € ; 18/08/2011 ; 408 p. ; Broché
  • Grenouilles [Texte imprimé], roman Mo Yan traduit du chinois par Chantal Chen-Andro
    de Mo Yan, Chen-Andro, Chantal (Traducteur)
    Points / Points (Paris)
    ISBN : 9782757831045 ; 8,50 € ; 04/10/2012 ; 525 p. ; Poche
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Ennuyeux. Dommage !

3 étoiles

Critique de Lectio (, Inscrit le 16 juin 2011, 75 ans) - 19 février 2014

Le narrateur se nomme Têtard. Il souhaite écrire une pièce de théâtre mettant en scène sa célèbre tante gynécologue dans la campagne chinoise. En militante convaincue et sectaire, elle met en oeuvre, via le planning familial, la politique de l'enfant unique initiée par Mao. Elle sera donc durant cette période une redoutable avorteuse poursuivant sans relâche les récalcitrantes. Repentie et honteuse, elle sera hantée sur ses vieux jours par ces milliers de bébés non nés et assassinés par ses soins qui lui apparaissent sous forme de grenouilles. Mes premières lectures de Mo yan m'avaient intéressé. Si dans ce livre je retrouve son style rabelaisien, tonitruant, son mélange entre réalité et fiction, entre rêve et poésie, je suis néanmoins déçu. On ne lit pas vraiment une histoire mais une série d'anecdotes redondantes sur la tante gynécologue et son assistante petit Lion. Un recueil de nouvelles, plus courtes, eut sans doute été préférable. La diversité des personnages est d'autant plus complexe à situer qu'ils sont nommés par leurs caractéristiques physiques (Wan le pied, Wan le coeur, Yuan la joue, Chen le sourcil, Chen le nez....), et c'est un peu brouillon. Le récit est basé sur l'homophonie chinoise à mainte reprise, par exemple entre bébé et grenouille, entre pleur et coassement, et malgré l'avertissement répété du traducteur, la traduction ne rend pas service à ces jeux de mots. Les personnages de ce livre sanguinolent sont loufoques et trop caricaturaux. Le mélange vécu, fictif, onirique est grotesque. Quant à la pièce de théâtre enfin écrite à la fin de l'ouvrage, elle est tout simplement longue, ennuyeuse, stupide et superfétatoire. Dommage pour un grand auteur comme Mo Yan d'avoir exagéré un style si unique et original.

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