Horreur et Fantasmes

J’ai beaucoup hésité à me lancer dans la critique d’Eden, Eden, Eden. Aurait-il déjà été répertorié dans la base de CritiquesLibres, je me serais très certainement abstenu. Autant le dire d’emblée : je n’ai pas pu finir le livre et n’en ai lu qu’un quart environ. Il m’est donc difficile d’en parler sans risquer de passer à côté du sujet, plus encore de lui attribuer un nombre d’étoiles.

Je m’abstiens en général de critiquer les livres que je n’ai pas pu finir (ils sont rares), mais si je le fais cette fois-ci, c’est que le livre de Guyotat n’a pas besoin d’être lu dans son intégralité pour marquer les esprits. Plongé au plus près de l’horreur de la guerre d’Algérie, on sent littéralement s’abattre sur soi la chape de plomb du soleil qui fait couler la sueur et exacerbe les passions. On ne suit pas très bien le fil de l’histoire (y en a-t-il un ? y en a-t-il une ?), mais on perçoit quand même qu’il est question d’un groupe de militaires et qu’il est question de sang, de sueur, de sperme et qu’au milieu de ces sucs humains, il est question de violence, d'humiliation, d’assassinat, de viol, le tout pratiqué indistinctement sur des hommes, des femmes et des enfants. Guyotat n’a pas besoin de 280 pages pour nous plonger dans l’horreur : une soixantaine suffiront. La claque est grandiose et servie par une écriture à la limite du lisible, sans paragraphes, sans points, comme un monologue ou un témoignage récité pêle-mêle, à bout de souffle et agonisant. Il y a à n’en pas douter un véritable travail sur la langue, d’une précision et d’un élan incroyables : malgré le dégoût, on reste pour ainsi dire pendu aux lèvres du narrateur quel qu’il soit.

Certains commentaires laissent entendre que Eden, Eden, Eden, plus qu’une description des horreurs de la guerre, serait une sorte de Cent vingt jours de Sodome, une frénésie de corps, de sexe et de fantasmes. Je ne connais pas suffisamment l’œuvre et son auteur pour me prononcer. Tout ce que je sais, c’est que dès les premières pages, l’écœurement guette et que je n’ai pas pu ni voulu pousser plus loin que je ne l’ai fait. Suffisamment pour me rendre compte qu’Eden, Eden, Eden est une œuvre forte, mais qu’elle n’est pas pour moi.

• 

  Éden, éden, éden [Texte imprimé] Pierre Guyotat

  de Guyotat, Pierre
  Gallimard / Collection L'Imaginaire
  ISBN : 9782070702787 ; 9,50 € ; 21/02/1985 ; 279 p. ; Poche

  Go Amazon