Jeux de rubans de Emna Belhaj Yahia

Jeux de rubans de Emna Belhaj Yahia

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par CHALOT, le 22 février 2012 (Vaux le Pénil, Inscrit le 5 novembre 2009, 76 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 6 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (26 631ème position).
Discussion(s) : 1 (Voir »)
Visites : 4 140 

Une balade tunisienne

«  Jeux de rubans »
roman de Belhaj Yahia
Editions Elyzad
211 pages
4ème trimestre 2011
18,90 €

le grand balancier

L'auteure, avec une finesse d'écriture indiscutable nous invite à un concert à plusieurs voix.
Frida, universitaire et femme moderne se construit une vie de couple avec un nouveau compagnon, tout en élevant son fils adolescent et en soignant sa vieille mère.
Après sa mère qui a fini par abandonner il y a longtemps le voile de la soumission, Frida rejette la Tunisie d'antan avec les mariages forcés, la polygamie, les femmes dont on cache le corps et qu'on répudie....
Les femmes « ne se cacheront pas sous un voile le jour où elles seront les égales des hommes ; voilà une vérité très simple, d'une totale transparente.... » Pour beaucoup de croyants et de croyantes, le voile n'a strictement aucun rapport avec la religion.
Comment se fait-il qu'aujourd'hui dans une Tunisie moderne, de plus en plus de jeunes filles se cachent derrière un voile ? S'agit-il là d'une ironie mordante de l'histoire ?
Voici là des réflexions philosophiques, politiques et sociales qui du jour au lendemain deviennent d' une actualité brûlante pour cette famille.
Tofayl, le fils adoré, étudiant s'éprend d'une jeune femme qui a choisi le voile pour se protéger des regards et des remarques.....
Frida ne comprend pas sa future belle fille et surtout la « tolérance » de son propre fils.
Aurait-elle raté quelque chose ?
Chaque personnage expose son point de vue et la question du voile est abordée ici avec finesse...
Chacun a son propre point de vue mais chacun refuse que la société tunisienne soit plongée dans la confusion et livrée à des forces rétrogrades.
La foi religieuse et son expression doivent être basées sur le respect de la liberté des autres et tout formatage des cerveaux et des gestes doit être combattu....
Ce livre a été écrit au moment de la déferlante de la révolution tunisienne .
L'auteure est à la fois lucide et à la fois confiante dans l'avenir...Ce sont les femmes et les hommes d'aujourd'hui qui construiront une société moderne, égalitaire et sociale....
Réussiront-ils à marginaliser les forces rétrogrades qui aimeraient replonger la Tunisie dans l'obscurantisme ?

Jean-François Chalot

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Généreux, mais confus …

4 étoiles

Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 67 ans) - 7 octobre 2014

Généreux dans ses intentions mais confus dans sa réalisation, voilà ce qu’il m’a semblé.
Emna Belhaj Yahia, tunisienne, traite par le biais de ce roman le malaise que peuvent dégager les femmes voilées, enveloppées d’un drap pour sortir, cheveux cachés sous un foulard. Ce n’est pas une occidentale qui fait part de son malaise mais celui-ci est traité « de l’intérieur » en quelque sorte, par une Tunisienne qui a connu la « libération » de la femme sous l’ère Bourguiba – une réelle particularité dans le monde arabo-musulman – et qui voit avec effroi ces oripeaux regagner du terrain sur l’espace public. Ca m’a paru diantrement intéressant et actuel …
Hélas je n’ai pas trouvé la réalisation à la hauteur des intentions. Changement de narrateur d’un chapitre à l’autre qui n’apparaissait pas clairement et qui m’a fait douter de mon entendement, digressions longues et plutôt verbeuses, le genre à vouloir vous faire tourner la page plus vite pour y échapper … Et pourtant, à côté de ces passages « douloureux » il y a de beaux instants qui laissent à penser que ça aurait pu être une vraie réussite …
Frida, quinquagénaire tunisienne, a vécu l’abandon du voile, des vêtements féminins couvrant tout le corps via sa mère, Zubayda, qui largua ces éléments de soumission à trente-cinq ans (merci Bourguiba !). Elle ne comprend pas ce qu’il se passe lorsqu’au détour d’une promenade elle tombe nez à nez avec Tofayl, son fils, au bras d’une jeune femme portant voile. S’ensuivent brouilles, débats intérieurs, incompréhensions … C’est ceci que nous raconte Emna Belhaj Yahia. Mais il me semble que ça aurait gagné à être moins confus …

Famille et société

7 étoiles

Critique de Aaro-Benjamin G. (Montréal, Inscrit le 11 décembre 2003, 54 ans) - 27 juillet 2014

Même si la question du voile est au centre de roman, elle n’est pas abordée de manière agressive. Les personnages aux opinions divergentes ne sont aucunement des radicaux. Ils tentent de comprendre. L’utilisation de plusieurs voix apporte des nuances et donne une ampleur au récit. Pour ma part, le sujet ne m’a pas fasciné, c’est plutôt l’histoire de cette famille décrite toute en douceur et en nuance qui m’a séduite. A noter, l’écriture est très féminine donc très élégante et fluide, presque suave.

« Lorsque je vais ainsi avec Frida, en pensée, jusqu’au bout de notre impuissance face au tourbillon des choses, nous éprouvons en général, en même temps et dans l’urgence, comme deux enfants dans le noir, le besoin de sentir l’intensité du lien qui nous unit. C’est juste ça notre amour, se donner l’un à l’autre de la force, alors même qu’aucun de nous n’en a. »

Plus que des rubans...

7 étoiles

Critique de Marvic (Normandie, Inscrite le 23 novembre 2008, 65 ans) - 3 mai 2014

La vie de Frida se déroule tranquillement entre sa maman Zubayda, très âgée, son fils unique Tofayl et son compagnon Zaydun dans une Tunisie qui semble calme.
Jusqu'au jour où elle croise Tofayl, accompagné d'une jeune fille voilée. Cette rencontre va provoquer en elle, un véritable choc sismique, remettant en cause ses idéaux, ceux qu'elle croyait avoir transmis à son fils, ses valeurs fondamentales, la façon qu'elle a élevé son fils.
Mêlant remords, culpabilité, colère, agressivité, on assiste à la prise de conscience d'une mère qui voit partir son fils dans une autre direction, d'une femme, qui voit les autres femmes revenir au port du voile, d'une tunisienne qui refuse d'admettre ce qu'implique ce retour en arrière; choix ou imposition.
"Les parents ont souvent du mal à admette que leur progéniture puisse ne pas leur ressembler. Surtout s'ils ont l'impression que les choix de leurs enfants sont une régression par rapport aux leurs."

Et il faudra quelques années pour que Frida par amour et respect accepte le choix du jeune couple.
"Il est vrai que l'allure de Chokrane avançant aux côtés de mon fils avec ses métrages supplémentaires m'avait choquée. Mais c'est quoi une allure ?"

Si les premiers chapitres ne m'ont pas passionnée, la rencontre de Frida et sa belle-fille marque le tournant de ce roman, lui apportant force et empathie pour le tourment d'une mère dans un pays au bord de la crise.

Lu dans le cadre du prix CL2014

6 étoiles

Critique de Yotoga (, Inscrite le 14 mai 2012, - ans) - 16 avril 2014

Ce livre ne peut pas être lu entre deux cafés, il demande une attention de concentration intense. La lecture est dense, fouillée et fouillis. Plusieurs fois, j’ai dû reprendre des pages plus tôt pour retrouver qui parle et comprendre le point de vue actuel.

Le fil conducteur, le port du voile, est donc vu par Frida, cette femme divorcée, Zaydun, son compagnon, Tofayl, son fils, Zubayda, sa mère et à travers les femmes qui s’occupent de Zubayda ou les femmes croisées sur le marché.

Zubayda, la grand-mère touchante qui veut comprendre « ces nouvelles méthodes de l’ordinateur » qui permettent de trouver un homme à sa convenance, perd la mémoire et sa vision est retranscrite au travers de sa fille Frida. Le lecteur apprendra qu’elle ne porte plus le voile depuis les 20 ans de Frida.

Le point de vue de Zaydun est assez intéressant. Il refuse dans sa jeunesse de se marier avec sa cousine, qui deviendra avocate pour les droits des femmes et ressent régulièrement la peur de sa mère : il ne faut surtout pas qu’il se marie avec une étrangère et cette pression sociale le pèse, il ne se mariera jamais. Il juge le port de vêtement de façon esthétique. Pour lui, la djellaba masculine rend le corps long et effilé, « elle donne une incroyable maigreur, une allure d’ascète » (page 57). Page 58 « Frida, quant à elle, s’habille comme une femme sportive, préférant les tenues confortables qui ne donnent pas un air endimanché ou apprêté et ça lui va très bien. Mais a-t-elle l’esprit aussi sportif que son allure ?». Il ne reflète pas toute la symbolique qui en découle.

Frida, elle, marque ostensiblement le voile comme signe entre le présent et le passé. Mais chaque tunisienne n’a pas la même vision des choses : dans les propos de Frida page 85, on peut comprendre que certaines femmes portent le voile non pas pour le symbole mais simplement pour ne pas se sentir différente et être comme les autres. Ou, comme certaines femmes de ménage le confie page 89, pour « clouer le bec » à leur mari : le voile les rend honorables et tient les hommes à distance. On est loin du cliché de la femme forcée voilée, elles sont libres de leur choix.

Chokrane, elle, pense page 147 que le voile lui sert de bouclier parce qu'un jour "elle en a eu assez de la vulgarité des propos des mecs dans la rue, sur son passage". Elle affirme aussi page 154 qu'au temps où les femmes ont laissé le voile, "C'était le temps de la réserve, du regard furtif. Ca ne leur traversait pas à l'esprit d'importuner les femmes. Ils étaient plus respectueux que les hommes d'aujourd'hui."

La question du livre n’est pas « porter le voile ou pas » ou « comment évolue la Tunisie actuellement », même si il se réfère à l’actualité. La thématique est plutôt : comment affronter des visions différentes au sein même d’une famille, quand une conviction fait face à une mode sans arrière-pensées. Parce que finalement, il n’y a pas de séparation claire entre les positions.
La liberté et la tolérance dans les deux sens sont les centres d’intérêt du livre : le lecteur ne sortira pas sans changer une vision « occidentale » ou « orientale ».

A voile ou au vent

7 étoiles

Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans) - 14 octobre 2012

Dans une petite ville tunisienne, à quarante-cinq ans, Frida, femme divorcée, élève seule un fils de quatorze ans partageant sa vie sentimentale avec un homme qui n’est pas son mari, comme une femme moderne. Elle veille sur sa mère très âgée et se souvient de ce que fût celle-ci : une belle femme courageuse qui a enlevé son voile à trente-cinq ans, à l’époque où les femmes se libéraient du carcan religieux et social pour étudier, travailler, aimer … vivre, vivre hors de la soumission qu’elles avaient supportée jusque là.

Le temps s’évapore peu à peu dans le récit où l’amant, le fils et la mère prennent le relais de Frida pour explorer toutes les facettes de la situation : le passé, le présent et le futur qui se conjugue peu à peu au présent pour que la narratrice nous raconte comment, à soixante ans, elle reçoit un choc violent en voyant, au bras de son fils une belle fille voilée. C’est le rejet immédiat, la brouille avec le fils, la rupture, le malaise, … et enfin l’effort pour comprendre les raisons qui poussent la nouvelle génération à reprendre le voile.

Au moment où le monde arabe secoue le joug des dictatures, la narratrice condense la vie qu’elle a eu entre le jour où elle a vu sa mère sortir tête nue et le jour où elle a rencontré cette fille voilée au bras de son fils pour accepter ce qu’elle ne peut admette : le refus de la négation des luttes antérieures. Elle s’interroge sur la définition identitaire d’une femme avec ou sans un voile, sur les raisons qui peuvent la pousser à revenir au statut de sa grand-mère en se dissimulant sous le voile pour échapper aux regards des hommes qui ont, certainement, perdu la réserve qu’ils avaient avant.

Comme la femme tunisienne qui peut être double, voilée ou cheveux au vent, elle se dédouble pour se regarder vivre. « De la même façon que je me lis un livre, je me vois passer dans celui qui avance à quelques mètres de moi. » et en prolongeant son délire, elle voit les générations de femmes tunisiennes défilant les unes derrières les autres, «elles se suivent dans un ordre régulier : une rangée où les femmes ont des foulards sur les cheveux, suivie d’une autre où elles ont les cheveux au vent, et ainsi de suite à l’infini, … comme si pour s’affirmer, elle avait décidé de marquer son opposition en reniant la tenue de celle qui l’a précédée. »

En pleine ébullition émeutière, Emna Belhaj Yahia a écrit ce roman pour évoquer, évidemment, la question du voile islamique et ce qu’il représente pour les femmes qui s’en couvrent. Mais, au-delà, c’est le statut de ces femmes, coincées dans un dédoublement schizophrénique entre libération sociale et rigueur religieuse, qu’elle essaie d’imaginer sans vraiment y parvenir, elle croirait plutôt en une alternance générationnelle, mais, à mon avis, la question reste en suspension, elle n’est pas définitivement tranchée …. les événements agitaient encore les rues.

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  Tunisie mais aussi Iran, Egypte... 3 Yotoga 16 avril 2014 @ 19:18

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