La foi du braconnier de Marc Séguin

La foi du braconnier de Marc Séguin

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Dirlandaise, le 10 février 2012 (Québec, Inscrite le 28 août 2004, 68 ans)
La note : 7 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (39 792ème position).
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Fuir toujours plus loin

Né à Ottawa, Marc Séguin est un artiste en arts visuels. Détenteur d’un baccalauréat en beaux-arts de l’Université Concordia, il vit et travaille entre Montréal et New-York où il possède son atelier. Il est considéré comme l’un des artistes les plus talentueux de sa génération. Ses toiles sont étranges, dérangeantes et d’une originalité surprenante. J’aime beaucoup ce qu’il peint, plus que ce qu’il écrit mais bon…

Mark S. Morris est un homme dans le milieu de la trentaine. Il est métis car sa mère appartient au peuple Mohawk. Morris est un homme tourmenté, qui cherche un sens à sa vie et qui ne peut rester en place bien longtemps. C’est un nomade dans l’âme. Il sillonne un grand territoire englobant le Québec et une partie des États-Unis, à la recherche de lui-même. Il aime la chasse et il affirme que donner la mort est plus fort qu’un orgasme en ce qui le concerne. Son périple n’est pas effectué au hasard. Mark a un jour tracé les mots « fuck you » sur une carte de l’Amérique afin de rompre avec une petite amie dont il n’appréciait pas le caractère sérieux et rangé aux antipodes de ce qu’il est lui-même. Depuis ce temps, il s’amuse à arpenter chacune des lettres de la carte en vrai ce qui l’oblige à avaler un grand nombre de kilomètres dans une année. Pendant qu’il conduit, il réfléchit à sa vie et surtout, à son avenir. Il aimerait épouser une femme qu’il aime et avoir des enfants comme tout le monde. Mais son goût du voyage reprend sans cesse le dessus et il ne peut s’empêcher de fuir toujours plus loin en avant pour trouver le bonheur, ce mirage qu’il n’arrive pas à saisir et encore moins à retenir.

C’est un roman à ranger dans le style « road movie » littéraire. Toujours sur la route, notre héros s’arrête rarement et jamais pour bien longtemps. Le style ne va pas sans rappeler celui de Réjean Ducharme. Mark est un paumé, un être qui jamais ne trouvera le repos. Il est hanté par l’idée du suicide mais hésite à passer à l’acte. Sans cesse il se remet en question, il s’autoanalyse constamment et n’arrive pas à avoir de contrôle sur sa vie. Les séances de baise alternent avec les séances de chasse et de dépeçage de carcasse assez répugnantes. J’ai aimé quelques réflexions philosophiques assez pertinentes et originales. Il faut souligner que l’auteur a lu un peu, il cite saint Thomas d’Aquin et saint Augustin. Son héros écoute Léonard Cohen en boucle.

Ce récit est sans nul doute autobiographique car on reconnaît sans peine l’auteur à travers le personnage tourmenté de Mark. C’est bien pour un premier roman mais il y a un petit côté agaçant dans la rédaction qui m’a déplu. Cette façon de jeter en vrac ses idées et réflexions devient un peu lassant pour le lecteur mais l’écriture est de grande qualité et la description de la faune du Québec de même que certaines régions abitibiennes que je connais bien ont su toucher une corde sensible chez moi.

« C’est dans la soustraction du véritable Soi, de ce que l’on voudrait être, que se trouve l’identité humaine. Son Identité. Plus la valeur tend vers le zéro, plus on est en voie d’être heureux. Je ne suis pas un braconnier par souci de vengeance ou par désir de faire le mal, mais parce que ma nature m’oblige à ne pas respecter les règles des autres. En vieillissant, je le saurai plus tard, on ne change pas : on devient de plus en plus ce que l’on est vraiment. »

« Devant, les arbres s’enfoncent. Ils deviennent de plus en plus petits, rachitiques. Les collines s’aplatissent, usées par des millions d’années de vents arctiques et par les glaciations. Des milliers de pylônes électriques se tiennent entre eux comme des moulins à vent modernes de Cervantès. À chaque tournant, à chaque plateau, l’infini réapparaît. Et au bout d’un moment, il devient encore plus infini. La taïga laisse place à la toundra, et cette dernière devient peu à peu un sentiment amoureux. Lent et extraordinaire. Repoussé, rude, immobile et grandiose. »

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Les éditions

  • La foi du braconnier [Texte imprimé] Marc Séguin
    de Séguin, Marc
    Leméac
    ISBN : 9782760933088 ; CDN$ 19.95 ; 01/01/2009 ; 149 p. ; Paperback
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En quête de la beauté de l'Amérique

8 étoiles

Critique de Libris québécis (Montréal, Inscrit(e) le 22 novembre 2002, 82 ans) - 10 février 2012

Issu d’un métissage blanc et mohawk, Marc S. Morris cherche sa voie dans une Amérique qui le déçoit tant. Sans cesse éperonné par ses pensées identitaires, il mène, pendant dix ans, une quête épuisante, qui le décide à rendre l’âme. Son acte manqué l’oblige à s’accrocher à l’amour.

Quête amoureuse, précédée d’une quête spirituelle menée au séminaire de Montréal afin de se consacrer à la prêtrise sous le patronage d’un évêque avec lequel il entretient des liens amoureux. Avoir la foi du charbonnier, en l’occurrence du braconnier, mettrait fin à ses tourments. C’est ce qu’il croit. Le chasseur en lui l’amène ailleurs « pour ne pas tuer des hommes ». La chair des caribous (rennes) et des canards mijotera dans les chaudrons du restaurant qu’il ouvre pour subvenir aux besoins de sa femme et de sa fille. La cynégétique sert d’ailleurs de toile de fond à ce roman instructif sur l’art de dépecer le gibier et de l’apprêter. Quel délice que « les tripes de chevreuil mijotées avec des bébés choux de Bruxelles à la menthe » !

Homme entier, il répond à ses impulsions primaires, qui le conduisent aux quatre coins de l’Amérique. Road novel qui s’effectue au rythme de la musique de Cohen et de réminiscences littéraires. Cette course calme sa conscience devant le combat de la vie qu’on ne peut livrer sans aimer. Aimer une femme « comme une prière qui se serait réalisée. ». Aimer pour éviter d’être le fruit replet d’un continent corrompu. En somme, le héros veut se construire un pont entre son monde intérieur et son américanité. Comme Joe Dassin il veut l’Amérique, mais une Amérique débarrassée de sa crasse.

Ce discours, lyrique, est frappé à l’effigie de la testostérone. Sans la puissance évocatrice d’une langue crue et d’une écriture vive, le roman serait un buffet gargantuesque. Mais il gagne en crédibilité à cause de la révolte authentique d’un homme conscientisé, qui développe sa résilience parce qu’il a entrevu la beauté du monde à travers une toile de Titien.

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  Merci Libris 30 Dirlandaise 12 février 2012 @ 13:10

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