L'évasion de Adam Thirlwell

L'évasion de Adam Thirlwell
(The escape)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Véranne, le 22 janvier 2012 (Inscrite le 6 août 2011, 64 ans)
La note : 9 étoiles
Visites : 3 213 

Insolent et émouvant...

Entre Woody Allen et Philip Roth, Alan Thirlwell nous présente Haffner, un homme vieillissant en proie aux mêmes affres d’une quête de sens que Nathan Zuckerman ou le Boris Yelnikoff de "Whatever Works", oscillant entre désespoir et dérision, en équilibre précaire, cocasse et miraculeux.
Le qui-où-quand-comment-pourquoi de l’intrigue se résume assez vite : Haffner séjourne dans un palace d’Europe centrale, où il est venu réclamer ses droits sur un domaine dont la famille de sa défunte épouse a été expropriée par les Nazis pendant la guerre.
Ce fil assez ténu n’apparaît cependant que de temps à autre, factuel, net et tendu sous la plume du narrateur, emmêlé, bouloché dans les pensées du héros. Haffner est sans cesse troublé par une confusion de souvenirs et d’associations d’idées en conflit avec ses actes du quotidien, où il n’arrive plus à se prendre au sérieux. Acteur improbable d’un vaudeville un peu graveleux, il cherche en profiteur à grappiller, à mendier encore un peu de jeunesse, abdiquant une forme de dignité consciemment et dans la dérision. Par le sexe, mystère obsessionnel qui le relie au monde des vivants, il se raccroche laborieusement à la chaîne effilochée d’une toile de vie rêche et feutrée au lavage des regrets, dont il cherche à déchiffrer un motif, une signification. Père, époux, juif, trois axes qu’il explore sans amertume, sans illusion non plus.
Parfois le narrateur diverge vers son petit-fils Benjamin qui commence tout juste à défricher son parcours, Zinka qui rêve à d’autres vies, son amant qui cherche à vain à se persuader qu’il est heureux. Des contrepoints qui posent les repères de ce portrait, comme autant de lignes de fuite dans un tableau.
Ce roman déroutant m’a paru d’une grande séduction : le style nerveux économe de son vocabulaire, les mille et une touches qui traduisent les petites trahisons dont notre vraie nature piège nos meilleures résolutions, la lâcheté existentielle à se chercher de menues compensations, à préserver son amour-propre d’un examen honnête, la tricherie avec le réel. Mais aussi la résilience, l’humour, et une forme d’acceptation de soi, de quête charmeuse d’un pardon pour des fautes prudemment à demi-reconnues, sans jamais virer à la haine et au dégoût de soi. J’ai aimé ce passage où Haffner n’arrive qu’à se concentrer sur Ella Fitzgerald chantant Cole Porter alors que le directeur de l’hôtel lui parle sérieusement, ou encore Haffner tâchant de démontrer la beauté d’un moment de cricket à un ami agonisant. Et le bilan de sa vie amoureuse, qui traduit à la fois des faits qu’on pouvait lui reprocher et sa manière de les vivre : « Il n’avait aimé que deux femmes dans sa vie, Livia et toutes les autres. »
J’imagine malgré tout que L’Evasion ne peut être au goût de chacun. C’est un roman provocant, un brin insolent à projeter une image peu flatteuse mais assumée. En même temps il s’inscrit dans une tradition romanesque bien ancrée… Peut-être trop ancrée du reste puisqu'apparemment nombre de bons mots ou expressions heureuses sont inspirés d'autres auteurs, dont la liste figure en fin d'ouvrage..
A chacun de voir.

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Les éditions

  • L'évasion [Texte imprimé], roman en cinq parties Adam Thirlwell traduit de l'anglais par Anne-Laure Tissut
    de Thirlwell, Adam Tissut, Anne-Laure (Traducteur)
    Points / Points (Paris)
    ISBN : 9782757821657 ; 3,30 € ; 20/01/2011 ; 379 p. ; Poche
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