Bruges-la-Morte de Georges Rodenbach
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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une ambiance crépusculaire
Après la mort de son épouse, un homme décide de s’installer à Bruges pour y porter le deuil. L’atmosphère de piété et de recueillement de la ville (mélancolie des canaux, grisaille du ciel, lenteur des heures rythmées par les cloches des églises, etc.) et l’aménagement de sa demeure, où sont conservés comme des reliques les souvenirs de la défunte (notamment une longue mèche de cheveux), entretiennent la vivacité de son amour pour celle qu’il attend de retrouver dans la mort. Seule la crainte du péché le retient du suicide.
Un soir, au cours d’une promenade, il croise une jeune femme qui ressemble tant à son épouse disparue qu’il la suit, hypnotisé, jusqu’à un théâtre où elle joue le rôle d’une ressuscitée dans Robert le diable. Peu à peu, l’homme devient comme possédé par la jeune actrice, une Lilloise, qu’il entretient à ses frais, dans une maison qu’il loue à Bruges, pour la conserver près de lui. Il lui prodigue des conseils, fait des dépenses somptuaires dans le seul but d’accentuer toujours davantage la ressemblance avec la morte. Bruges se met à jaser, et sa servante, fidèle et dévouée mais très pieuse, s’inquiète de servir un maître dévoyé. Un jour, il fait porter à l’actrice des toilettes appartenant à la morte mais le comportement frivole de la jeune femme, qui rit de ses excentricités, lui semble un blasphème. Outré, il se met à la mépriser. Pour reconquérir son protecteur, et s’assurer un héritage, l’actrice s’introduit chez lui sous le prétexte d’assister au passage, devant sa maison, de la procession du Saint Sang. Scandalisée, la servante quitte son maître, non sans compassion pour sa faiblesse, et le laisse seul avec l’actrice qui, ayant découvert les souvenirs de la morte, se met à les manipuler comme des bibelots. Excédé par l’actrice, énervé par la fièvre mystique de la foule et les injonctions des cloches, il étrangle l’actrice avec la mèche de cheveux.
Ce court roman est l'oeuvre la plus connue de Rodenbach. Elle est marquante par, outre une certaine préciosité du style et de l'écriture, la présence oppressante de la ville et le sentiment de progression inéluctable vers le drame final. Comme dans d'autres livres de Rodenbach, on ressent profondément la solitude du personnage principal, incompris de la foule.
Les éditions
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Bruges-la-Morte [Texte imprimé] Georges Rodenbach présentation, notes et dossier documentaire par Jean-Pierre Bertrand et Daniel Grojnowski
de Rodenbach, Georges Bertrand, Jean-Pierre (Editeur scientifique) Grojnowski, Daniel (Editeur scientifique)
Flammarion / G.F.
ISBN : 9782080710116 ; 6,80 € ; 31/12/1998 ; 343 p. ; Poche -
Bruges-la-morte [Texte imprimé], roman Georges Rodenbach
de Rodenbach, Georges
Flammarion / 26 rue Racine
ISBN : 9782080640604 ; 7,10 € ; 19/11/1992 ; 114 p. ; Poche -
Bruges-la-Morte [Texte imprimé] Georges Rodenbach préface de Marc-Vincent Howlett
de Rodenbach, Georges Howlett, Marc-Vincent (Préfacier)
Gallimard / Folio. 2 euros
ISBN : 9782072877551 ; 2,00 € ; 03/09/2020 ; 128 p. ; Poche
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Les critiques éclairs (5)
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Bruges, allégorie du deuil sous la plume de Rodenbach
Critique de Pucksimberg (Toulon, Inscrit le 14 août 2011, 44 ans) - 9 octobre 2022
Ce roman est assez troublant car le personnage principal perd le sens des réalités face à l'absence de la femme aimée. Il garde comme une relique une mèche de la disparue, en vient à la voir en une autre femme pourtant bien différente mais le besoin irrépressible de retrouver l'aimée est plus fort. L'on voit comment son esprit transfigure la réalité. Le personnage semble vivre dans un univers qu'il ne partage plus avec les autres. Les habitants de Bruges le regardent avec bizarrerie et les rumeurs vont bon train quand il se rapprochera d'une danseuse qui lui rappelle grandement la disparue. La mélancolie prédomine dans ce roman sans être pour autant étouffante pour le lecteur.
Les chapitres sont courts, assez descriptifs parfois. L'écriture est poétique, belle et rappelle certains poèmes symbolistes. L'atmosphère est parfaitement rendue et le lecteur a véritablement l'impression de déambuler dans la ville de Bruges avec ses canaux et son béguinage. Elle devient quasiment onirique et métamorphosée par le regard du veuf qui projette son paysage intérieur sur le paysage extérieur qu'est la ville de Bruges.
Une œuvre unique. Un classique.
Nécromantique
Critique de Bookivore (MENUCOURT, Inscrit le 25 juin 2006, 42 ans) - 30 juin 2021
Une lente et hypnotique descente dans les abîmes tourmentés d'un veuf au bord de la folie, dans une ville qui semble aussi vide que lui...
Un chef d'oeuvre qui ne laisse pas indemne, il y a quelque chose de putride dans ce roman, qui prend au tripes. C'est vraiment pas joyeux, autant le préciser.
Le deuil impossible.
Critique de Sotelo (Sèvres, Inscrit le 25 mars 2013, 41 ans) - 27 mars 2021
"Le pari Illusionniste"
Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans) - 28 novembre 2012
Bruges-la-morte, ville éteinte coincée entre son opulence médiévale que j’ai fantasmée longtemps après mes études d’histoire médiévale et l’agitation touristique que j’y ai trouvée quand je l’ai enfin découverte. Bruges-la-morte, peut-être la Bruges évoquée par Baudelaire dans « La Belgique déshabillée » : « Ville fantôme, ville momie, à peu près conservée. Cela sent la mort, le Moyen Age, Venise, les spectres, les tombeaux. Une grande œuvre attribuée à Michel Ange – Grand Béguinage. Carillon. Cependant Bruges s’en va, elle aussi ». Un cadre idéal pour planter le décor du drame qu’il se proposait d’écrire, une ville qui pouvait s’identifier à l’être adoré qu’Hugues Viane avait perdu cinq ans avant de s’installer dans ce décor. L’auteur prévient le lecteur dans on avertissement, il a choisi cette ville : « …afin que ceux qui nous liront subissent aussi la présence et l’influence de la Ville, éprouvent la contagion des eaux mieux voisines, sentent à leur tour l’ombre des hautes tours allongée sur le texte».
Un jour, au hasard de l’une de ses promenade vespérales, Viane rencontre une femme en tous points semblable à son épouse décédée, il la suit jusqu’au théâtre où elle est danseuse, l’installe dans un appartement et l’admire comme il admirait son amour disparu. « Et c’est si bien la morte qu’il continuait à honorer dans le simulacre de cette ressemblance, qu’il n’avait jamais cru un instant manquer de fidélité à son culte ou à sa mémoire. » Mais l’habitude érode les apparences de la ressemblance, l’admiration s’étiole peu à peu… La Vivante n’était destinée qu’à faire survivre la Morte, tant qu’elle était à distance, mais quand elle avait voulu se confondre avec elle, sans même le savoir, elle l'avait détruite définitivement car elle ne pouvait pas prendre sa place. « La ressemblance est la ligne d’horizon de l’habitude et de la nouveauté ». La résurrection, la réincarnation, la pérennité sont impossibles, elles sont du seul domaine de Dieu qui est l'unique maître dans ce roman empreint de religiosité ; et l’illusion s’est évanouie quand le double a voulu se fondre dans son original comme quand « l’Eve future » de Villiers de l’Isle-Adam a voulu suppléer son modèle.
Roman d’une grande sensualité qui donne un visage humain à la ville pour l’identifier à la femme perdue qu’« Il (l’)avait mieux revue, mieux entendue, retrouvant au fil des canaux son visage d’Ophélie en allée, écoutant sa voix dans la chanson grêle et lointaine des carillons », dans une écriture élégante, poétique, lyrique qui soutient le drame et accompagne sa montée, bien représentative de son époque au contour du XIX° et du XX° siècles.
Même si la « mélancolie de ce gris des rues de Bruges où tous les jours ont l’air de Toussaint. » inonde ce roman d’une brume chère aux auteurs de ce mouvement littéraire, Bruges restera toujours, pour moi, une ville magique aux charmes comparables seulement à ceux qui parèrent la belle que Viane cherchait dans son double. Et avec Pierre Selos je me souviens :
« Et j'entendais le carillon de Bruges
Le carillon de Bruges
Monter dans le matin
Et j'entendais le carillon de Bruges
Le carillon de Bruges
Au lointain »
Frappée...
Critique de Nathafi (SAINT-SOUPLET, Inscrite le 20 avril 2011, 57 ans) - 7 juin 2012
Frappée par la noirceur de ce drame... Et par la pesanteur de la ville, de son emprise sur cet homme perdu, incapable de faire le deuil de sa chère épouse disparue, qui s'éprend d'une autre femme lui ressemblant tant...
Cet ouvrage est véritablement poignant, on y retrouve les thèmes dominant l'oeuvre de Rodenbach, la mort, la religion, la solitude.
Et Bruges qui domine l'ensemble par sa façon d'être, aux yeux d'Hugues, à laquelle il s'identifie, avec laquelle il se confond... Et qui finit par lui reprocher ce qu'il est, ses agissements, sa faiblesse, écartant finalement toute similitude.
"Pourtant la Ville, avec son visage de Croyante, reprochait, insistait. Elle opposait le modèle de sa propre chasteté, de sa foi sévère…
Et les cloches étaient de connivence, tandis que maintenant il errait tous les soirs dans une angoisse accrue, avec la souffrance de l’amour de Jane, le regret de la morte, la peur de son péché et de la damnation possible… Les cloches persuadaient, d’abord amicales, de bon conseil ; mais bientôt inapitoyées, le gourmandant — visibles et sensibles pour ainsi dire autour de lui, comme les corneilles autour des tours — le bousculant, lui entrant dans la tête, le violant et le violentant pour lui ôter son misérable amour, pour lui arracher son péché !"
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