Une belle mort de Gil Courtemanche

Une belle mort de Gil Courtemanche

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Libris québécis, le 30 décembre 2011 (Montréal, Inscrit(e) le 22 novembre 2002, 82 ans)
La note : 8 étoiles
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Le Père, ce mal aimé

La figure paternelle représente une énigme que Gil Courtemanche décortique avec une sincérité qui en décoiffera plus d'un. Il s'emploie à descendre de son socle ce père que nous devrions aimer, mais qui personnifie la source de nos frustrations. En Occident, il apparaît comme l'obstacle majeur auquel il faut se mesurer pour devenir adulte. L'amour qu'il devrait susciter se transforme souvent en haine chez le rejeton qui se sent victime de son despotisme. D'ailleurs, l'auteur le compare à tous ces prétendus pères du peuple, de Staline à Kadhafi, qui ont dirigé au doigt et à l'œil. Ils incarnent les hommes à abattre, tel que Freud l'a démontré avec son fameux complexe d'Oedipe.

Souvent sans l'avouer, leur mort est attendue avec impatience pour que s'accomplisse la suite du monde. C'est le canevas qui soutient le drame d'André, l'aîné d'une famille de dix enfants. Réunis chez leurs parents à Noël et au Jour de l'An, chacun se sent concerné par la fin prochaine du chef de la meute, atteint par la maladie de Parkinson. Contrairement aux héritiers du laboureur de La Fontaine, ils veulent régir son départ sans l'avis du principal intéressé, encore lucide. Divisés en deux clans à ce sujet, les « bouddhistes » aimeraient qu'on laisse la vie suivre son cours tandis que les « médicaux » voudraient qu'on l'endigue pour la prolonger.

Quant au héros, il s'exprime en faveur d'une fin en harmonie avec ce que son père a toujours aimé : manger, boire, pêcher et diriger. Malgré son aversion pour lui à cause des injustices dont il fut victime, il envisage un départ qui respecte ses volontés au risque de réduire son espérance de vie. Avec la complicité tacite de la mère, il entreprend d'abréger l'existence dérisoire de son père en le gavant de pâtés de foie gras, de fromages et de bons vins. Sous forme déguisée, cette apparente compassion cache une mort assistée sans le consentement du moribond. Ce choix pose la question controversée de l'euthanasie, d'autant plus que c'est celui d'un fils révolté.

Pour atteindre son objectif, André doit fréquenter davantage l'homme qu'il hait. Ce rapprochement favorise un approfondissement de ses relations filiales. Sa réflexion l'amène à être finalement heureux de cette descendance parce qu'il réalise qu'il a hérité de la fierté et de l'indépendance d'esprit de son père. Si, par ailleurs, la mère a toléré la violence d'un mari despote, c'est que derrière les apparences se cachait un véritable amour. En bonne catholique, elle a arrondi les angles pour que son rêve de jeunesse demeure une réalité, même dans la tourmente.

Telle la philosophie de Heidegger, ce roman renvoie à notre finalité. L'occulter soulage l'angoisse, mais le silence n'a rien d'éloquent quand il sert de refoulement aux sentiments. En somme, il s'agit d'une méditation infiniment triste et touchante, qui démasque les craintes, les préjugés et les clichés que nous entretenons à l'égard des conséquences funestes de la maladie. Cependant il ne faut pas être dupes de l'argutie de l'auteur pour défendre une thèse de casuiste, qui veut justifier un acte que d'aucuns jugeront répréhensible.

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