Confession d'un masque de Yukio Mishima
( Kamon no Kokuhaku)
Catégorie(s) : Littérature => Asiatique
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Un écorché vif ou comment on fabrique un homo...
Le plus connu des écrivains japonais dont le suicide a frappé le monde entier nous conte ici ses années d'enfance et d’adolescence. A la lecture de ce récit, je ne résiste pas à la tentation de vous citer cette phrase de Simone de Beauvoir "On ne naît pas femme, on le devient" tout en l'appliquant à Mishima dans une autre dimension, l’homosexualité.
Une telle éducation ne pouvait quasi conduire qu'à l'homosexualité, sinon la pédophilie...
A 49 jours, il est confié à sa grand-mère et relégué dans une chambre où "régnait d’étouffantes odeurs de maladie et de vieillesse".
De nourrisson mal nourri et mal aimé, il souffrira d’une auto intoxication mensuelle qui l’amènera à demeurer un gamin chétif et malingre.
Au cours de son adolescence, sa famille exigera qu’il puisse déroger à la règle exigeant que chaque élève vive en dortoir durant son séjour à l'école secondaire. Officiellement, ce sera pour préserver sa santé, mais en réalité, c'est pour l’empêcher d'apprendre de "vilaines choses".
Il ne sera autorisé qu'à jouer avec des filles alors qu'on exigera de lui qu'il se conduise comme un garçon.
Au cours des jeux avec ses cousines, on lui interdira tout ce qui ressemble à des déguisements féminins. "J'étais coupé de la vie du dortoir, je ne prenais aucune part aux sports athlétiques, et pour couronner le tout, j’étais extrêmement timide". "Pour toutes ces raisons, il m’était difficile de connaître la psychologie de mes camarades" "En observant les hommes qui m'entouraient, j’en vins à comprendre que je ne possédais pas un seul trait susceptible d'attirer une femme" "J'avais honte de ma poitrine maigre, de mes bras frêles et osseux" Coupé du monde masculin, il se prend à le rêver tout en contemplant "le martyre de saint Sébastien" un homme dont la poitrine bronzée et vigoureuse est transpercée de flèches.
Sa jalousie devant les corps musclés l’amènera à rêver que ces corps se transforment en "victimes".
Ses rêves seront peuplés de camarades de classe, nageurs habiles, remarquablement bien bâtis, le teint hâlé par le soleil du bord de mer... Ces corps magnifiques lui seront offert pour qu’il puisse les transpercer, les découper, faire jaillir le sang de ces corps trop beaux, lui, le chétif au teint blanc par absence de soleil, aux bras osseux et à la poitrine maigre par manque de sport et d’aliments reconstituants.
Il tombera vaguement amoureux d'une fille, mais pressé par les parents de conclure par un mariage, il la perdra, ce qui le confortera dans ses rêves de l'idéal masculin..
Les relents de son suicide vingt ans plus tard, peuvent déjà se sentir dans certaines de ses réflexions : "Je ne voulais pas manquer une seule occasion de me tourmenter. C’est là un expédient banal, souvent adopté par des personnes qui, privées de tout autre moyen d'évasion, se réfugient dans le havre sûr qui consiste à se considérer comme un personnage de tragédie".
Cette "confession" est admirablement soutenue par une écriture raffinée dont on ne se lasse pas et à mon avis, supérieure à un Kawabata qui était pourtant son maître...
Les éditions
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Confession d'un masque [Texte imprimé] Yukio Mishima trad. de... [la version anglaise] par Renée Villoteau
de Mishima, Yukio Villoteau, Renée (Traducteur)
Gallimard / Collection Folio
ISBN : 9782070374557 ; 5,11 € ; 01/03/1983 ; 247 p. ; Poche -
Confessions d'un masque [Texte imprimé] Yukio Mishima nouvelle traduction du japonais par Dominique Palmé
de Mishima, Yukio Palmé, Dominique (Traducteur)
Gallimard / Folio
ISBN : 9782072883798 ; 8,30 € ; 05/11/2020 ; 288 p. ; Poche
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Être et paraître
Critique de Lafcadio_ (, Inscrit le 13 septembre 2014, 35 ans) - 29 octobre 2014
Dans le Japon des années 30, un jeune garçon valétudinaire nous fait partager son mal-être lors de la découverte de ses penchants homosexuels. L'excitation produite par de simples images artistiques trouvées dans des magasines notamment le Saint Sébastien de Guido Reni (on peut facilement trouver sur internet des images de Mishima reproduisant l'oeuvre) le bouleverse. Par la suite, c'est un camarade de classe plus âgé, symbole de puissance et de virilité qui le fascinera. De là, il jouera un jeu comme au théâtre, fera semblant d'être normal, mimant les attitudes de ses amis, ayant peur d'être découvert. Il ira jusqu'à séduire une fille et envisager de se marier.
D'une très grande sensibilité, l'oeuvre passe de splendides descriptions et de moments tendres à des instants tragiques et des pensées morbides. Dans la société nippone si codifiée de l'époque et alors que les désastres de la seconde guerre mondiale hantent le récit, on se passionne pour ce combat intérieur personnel. Mais malgré la beauté du texte, le point fort réside dans l'analyse, l'introspection que le personnage principal s'applique à lui-même. La difficulté du personnage à accepter ce qu'il est, ainsi que la différence entre son être et son paraître sont très détaillées et fera écho à notre quant-à-soi sans forcément imposer les mêmes problématiques.
Ce jeune homme intelligent court à la catastrophe, se persuadant qu'il n'a pas d'avenir, espérant ne jamais avoir à retirer le masque par lequel il se définit, peu importe le temps qui passe. Confronté à la réalité, il faudra pourtant se résoudre à faire face.
« Cela signifiait que désormais, que je le voulusse ou non et en dépit de tout ce qui m'avait leurré et fait croire qu'un tel jour ne viendrait jamais, dès le lendemain il me faudrait commencer à mener la « vie quotidienne » d'un membre de la société humaine. Comme ces seuls mots me faisaient trembler ! »
Puissant
Critique de Nance (, Inscrite le 4 octobre 2007, - ans) - 19 décembre 2008
Impudeur derrière le masque
Critique de Mieke Maaike (Bruxelles, Inscrite le 26 juillet 2005, 51 ans) - 8 juillet 2007
Si certains passages relatent le quotidien d'un enfant puis d'un jeune homme qui tente de sauver les apparences dans son entourage, d'autres parties décrivent les détails les plus précis de ses attirances charnelles et de ses fantasmes sanguinolents. Pourtant ce livre ne tombe jamais dans le graveleux. Il se dégage par moment une odeur de sang, d’égouts et de sueur au fil des descriptions minutieuses de ses rêveries érotiques, mais le texte n'est jamais obscène tant il est porté par une écriture poétique, par un style qui sublime les scènes les plus crues. « Je ne savais absolument rien des autres garçons. Je ne savais pas que chaque nuit tous les garçons sauf moi faisaient des rêves où les femmes – des femmes entr'aperçues la veille à un coin de rue – étaient dépouillées de leurs vêtements et appelées l'une après l'autre à défiler sous les yeux du dormeur. Je ne savais pas que dans les rêves des garçons les seins d'une femme flottaient souvent comme de belles méduses surgies de l'océan de la nuit. Je ne savais pas que dans ces rêves la partie précieuse d'une femme ouvrait ses lèvres humides et chantait un chant de sirène, des dizaines de fois, des centaines de fois, des milliers de fois, éternellement. »
Bouversée
Critique de Tsukiyo (, Inscrite le 23 février 2006, 35 ans) - 23 février 2006
Déchiré
Critique de Duncan (Liège, Inscrit le 21 février 2004, 43 ans) - 29 juillet 2005
Dans ce livre, en grande partie autobiographique, l’auteur nous propose de suivre le destin d’un jeune garçon, de sa prime enfance jusqu’au début de l’âge adulte. Avec comme toile de fond la seconde guerre mondiale, c’est le parcours d’un individu déchiré entre l’apparence et son « vrai moi » qui est exposé avec une poésie sans égale.
Persuadé de se souvenir de sa naissance, "Kochan" narre comment dès sa tendre enfance rien plus que la mort, si possible violente et sanglante, d’un jeune Prince vigoureux ne l’émouvait. De constitution fragile, sujet à des évanouissements fréquents, il sera confié très tôt à sa grand-mère qui le couvera comme on couve un oisillon tombé d’un nid. Surprotégé et couvert d’attentions maladroites qui feront de lui un être anxieux, épris de liberté sans pouvoir la supporter, le jeune garçon se rendra rapidement compte qu’il n’est pas « comme les autres ». Attirance morbide pour le sang, amour des militaires et des marins en dehors de toutes considérations militaristes en vogue à l’époque…
A 12 ans, la vision d’un album d’art représentant l’exécution de St Sébastien confirmera ses doutes… Là, dans le bureau de son père, devant cette vision d’un corps viril transpercé de flèches, il connaîtra son premier émoi amoureux. Et de ce jour naîtront ses « mauvaises habitudes », séances d’onanisme régulières qui mèneront, le pense-t-il du moins, à l’anémie.
« Ce jour-là, à l'instant même où je jetais les yeux sur cette image, tout mon être se mit à trembler d'une joie pasïenne. Mon sang bouillonnait, mes reins se gonflaient comme sous l'effet de la colère. La partie monstrueuse de ma personne qui était prête à éclater attendait que j'en fisse usage, avec une ardeur jusqu'alors inconnue, me reprochant mon ignorance, haletante d'indignation. Mes mains, tout à fait inconsciemment, commencèrent un geste qu'on ne leur avait jamais enseigné. Je sentis un je ne sais quoi secret et radieux bondir rapidement à l'attaque, venu d'au-dedans de moi. Soudain la chose jaillit, apportant un enivrement aveuglant. »
Plus tard, il tombera amoureux d’un jeune garçon, de trois ans son aîné, Omi. Sorte de petite terreur de son lycée, cancre irrécupérable, ce jeune homme éveillera chez le héros un sentiment étrange qu’il refusera de prendre pour de l’amour bien qu’il en ait tous les signes.
Persuadé, comme en écho au Japon de la seconde Guerre mondiale, que l’esprit peut contraindre au corps, l’adolescent se persuadera de sa normalité : il fera tout pour tomber amoureux d’une femme, se forçant lors des ses « mauvaises habitudes » à imaginer « des femmes dans les poses les plus obscènes ». Il tombera « amoureux » de Sonoko, jeune fille douce et romantique mais l’histoire se terminera par une révélation éclatante de son « inversion ».
Roman magnifique, qui illustre, s’il fallait encore s’en convaincre, comment l’homosexualité à l’époque (et encore aujourd’hui ?) peut être un poids extrêmement lourd à porter au vue de la « normalité » qui s’impose à nous chaque jour ; Mishima montre par son témoignage que « l’inversion » (comme il l’appelle) n’est nullement un choix mais une donnée de l’être, une donnée qui le façonne et peut même le détruire. Le style de Mishima, ses descriptions éblouissantes, apporte au livre une touche poétique non négligeable…
L' autobiographie d'un génie
Critique de Saule (Bruxelles, Inscrit le 13 avril 2001, 59 ans) - 6 septembre 2002
Dans ce roman, Mishima met en scène l'enfance et l'adolescence d'un jeune homme obligé de porter un masque afin de cacher aux autres et à lui-même son attirance pour les garçons. Cela à une époque et dans une culture où l'homosexualité est mal accueillie.
Le jeune protagoniste du roman, personnage par ailleurs très intelligent et lucide, met différents mécanismes en place afin de nier sa différence et refouler ses désirs. Il va jusqu'à se persuader qu'il est amoureux de la jolie soeur de son meilleur ami, et frôler le mariage avec cette jeune fille. Mais dans un dancing, il aperçoit un jeune voyou torse nu. Fasciné par cette vision, il en oublie complètement sa compagne et il doit bien tomber le masque: "A cet instant, quelque chose au-dedans de moi fut déchiré en deux avec une force brutale. Comme si un coup de foudre avait fendu un arbre vivant. J'entendais l'édifice que j'avais construit pierre par pierre s'effondre lamentablement. Il me semblait assister à l'instant où mon existence était transformée en une sorte d'effroyable non-être". Ce coup dur fait suite à un autre, lorsque la guerre prend fin et que le jeune homme se rend compte qu'il devra vivre. Enfant fragile, adolescent lors des attaques aériennes sur Tokyo de 45, il s'était en effet persuadé qu'il ne survivrait pas au-delà de vingt ans.
C'est un livre profond et universel, qui exprime avec puissance la déchirure d'un jeune homme différent des autres, qui se croit seul dans son cas et qui en développe une attirance pour la mort. Le livre est bourré d'anecdotes sur l'enfance de l'auteur, d'épisodes passionnants pour celui qui s'intéresse à Mishima. Il se lit facilement et avec plaisir malgré les côtés parfois sombre du génial écrivain : goût de la mort, attirance morbide pour le sang, obsession pour la destruction de la beauté, sublimée par le suicide. Ce n'est peut-être pas le roman idéal pour découvrir Mishima, mais il est incontournable si on apprécie l'auteur.
C'est écrit de manière superbe, dans le style habituel de Mishima, avec des descriptions flamboyantes et évocatrices. Ainsi l'extrait suivant, la scène célèbre de la première éjaculation, dans laquelle l'adolescent tombe en arrêt sur une reproduction de Saint Sébastien, un martyre chrétien, représenté torse nu et le corps criblés de flèches :
"Ce jour-là, à l'instant même où je jetais les yeux sur cette image, tout mon être se mit à trembler d'une joie païenne. Mon sang bouillonnait, mes reins se gonflaient comme sous l'effet de la colère. La partie monstrueuse de ma personne qui était prête à éclater attendait que j'en fisse usage, avec une ardeur jusqu'alors inconnue, me reprochant mon ignorance, haletante d'indignation. Mes mains, tout à fait inconsciemment, commencèrent un geste qu'on ne leur avait jamais enseigné. Je sentis un je ne sais quoi secret et radieux bondir rapidement à l'attaque, venu d'au-dedans de moi. Soudain la chose jaillit, apportant un enivrement aveuglant. Un moment s'écoula, puis, en proie à des sentiments de profonde tristesse, je portais mes regards autour du pupitre devant lequel j'étais assis.[...]"
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