Storytelling : La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits de Christian Salmon

Storytelling : La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits de Christian Salmon

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités , Sciences humaines et exactes => Psychologie , Sciences humaines et exactes => Philosophie

Critiqué par Radetsky, le 7 décembre 2011 (Inscrit le 13 août 2009, 81 ans)
La note : 10 étoiles
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Communication piège à c...

Christian Salmon, journaliste et chroniqueur, entreprend le démontage d'une technique vieille comme le monde : l'art de raconter une histoire, des histoires, des bobards...
Cet ouvrage est recommandé pour une utile mise à jour, a quiconque est familier du célèbre "traité" produit par le sinistre Bernays sur l'art de berner les peuples

http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/28360 .

L'existence entière est en passe de subir sa mise en forme sous l'aspect d'un conte, dont il apparaît au fil des analyses de C. Salmon, que sa structure obéit à des canons assez ordinaires, pour ne pas dire infantiles, tout à fait adaptés à l'espèce de réceptivité ahurie que cultivent la radio, la presse, la télévision, la "musique", la "culture" en général, et la "culture powerpoint" en particulier.

Chacun se voit traité comme le bambin qui se pelotonne contre ses parents, avant d'aller se coucher, et auquel ceux-ci racontent une belle histoire à dormir debout, afin justement de l'endormir une fois rassuré sur le fait que tout va bien et qu'il vit dans le meilleur des mondes possibles.

Bien sûr l'évidence, la légitimité hors de tout soupçon, que tous ces récits semblent véhiculer reposent sur des simplifications, des omissions, des sophismes, des déformations, habilement disposés dans le corps de l'histoire, comme un faux-nez malencontreusement oublié sur le masque de l'acteur peut passer pour un artifice anodin négligeable quant au signifié qu'il véhicule.
Qui plus est, la Loi (le conte) tombe d'en-haut, des Maîtres, de "ceux-qui-savent", avec l'autorité prêtée aux choses sacrées ou vis à vis desquelles la pensée critique est affaiblie ; en outre le processus narcissique allié au désir de protection et d'intégration à l'affût en chacun de nous, portent le sujet à s'identifier facilement à tel ou tel protagoniste, dans les schémas imaginaires que des rapports sociaux schématisés à l'extrême lui proposent, surtout si ces derniers déroulent leur trame avec la fluidité des situations où nul effort d'analyse ou de négation ne s'impose en apparence. La réduction des conflits ou des antagonismes essentiels, loin de se développer librement, est recouverte et dissimulée par le masque d'évidences cousues de câbles blancs, chez lesquelles règnent le lieu commun, le ragot de café du commerce, la bonne grosse logique de trottoir, en somme le logos de la commère et de la concierge.
Plus c'est gros, mieux ça passe, plus le propos se rapproche du caniveau, mieux il se fond dans le brouillard des ignorances ordinaires, des candeurs calculées, des roublardises du stéréotype.
On peut TOUT faire avaler à quiconque, à condition de donner aux instructions, injonctions, directives, des plus arbitraires aux plus monstrueuses ou aux plus stupides, la forme d'un récit plus ou moins habilement troussé, où les protagonistes seront choisis non pas en fonction d'une cohérence liée à la légitimité dialectiquement définie d'une fin et des moyens pour l'obtenir, mais en établissant un réseau de signes susceptibles de marquer la sensibilité, de convoquer (d'embrigader peut-on dire) les affects de l'auditeur, de la "cible", afin d'obtenir de la part de cette dernière et le consentement et les comportements utiles et profitables aux organisateurs du discours.
Vendre un produit, légitimer l'action des dirigeants d'une entreprise (séduire l'actionnaire, l'investisseur, licencier, faire avaler au personnel n'importe quelle mesure injustifiée ou scandaleuse, déposer un bilan, etc.), faire passer pour une évidence politique l'arbitraire d'une mesure économique provoquée par l'erreur ou la malhonnêteté, entraîner des soldats à aborder des situations de stress, de danger, de guerre, à abattre sans état d'âme le "méchant" de la fable, ou encore permettre à un parasite de la classe politique de convaincre, d'embobiner son auditoire par une belle histoire personnelle (totalement insignifiante au besoin) où il apparaîtra avec l'évidence magique du conte comme porteur d'une communauté de sentiments et de destins avec son public : les possibilités sont infinies des manipulations que permet cette technique tout particulièrement utilisée depuis une vingtaine d'années. Qu'on songe aux campagnes électorales, tant en France que chez les Etatsuniens, ces derniers temps.
N'importe quel aspect de la réalité peut se trouver parasité de cette manière, le zèle des cuistres de la communication n'ayant pas de limite. Même les sciences sont progressivement polluées par l'intrusion d'historiettes destinées à séduire bien plus qu'à expliquer : comme la stupidité définitivement installée des documentaires animaliers, où le lion, la marmotte ou le raton laveur sont affublés de noms, enrôlés dans des scénarios abracadabrants, invités à l'élaboration d'un dessein, sinon d'un destin...
La raison n'est plus convoquée (si tant est qu'elle le fut jamais) dans le discours (éducatif, économique, politique, militaire...), la thèse qu'affronte l'antithèse, vieilles lunes que cela ! L'interpellation sur l'Agora, la prise à témoin de l'orateur, la faculté de conspuer le menteur ou le démagogue, c'est fini !

Je me rappelle la réflexion d'un officier républicain pendant la guerre civile d'Espagne, rapportée par André Malraux dans "l'Espoir" : "...un chef ne doit pas séduire..." .
Pour une raison bien simple (c'est moi qui souligne) : par respect pour celui à qui il va ordonner d'aller se battre, par respect pour la cause qu'il défend, par respect pour la personne humaine qui ne saurait viser par l'artifice la sujétion d'une autre personne humaine.

Celui qui vous embobine ne fait pas que vous abuser : il vous méprise !

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Les éditions

  • Storytelling [Texte imprimé], la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits Christian Salmon postface inédite de l'auteur
    de Salmon, Christian
    la Découverte / La Découverte-poche (Paris)
    ISBN : 9782707156518 ; 10,00 € ; 13/11/2008 ; 247 p. ; Poche
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