Le Mineur de Natsume Sōseki
(Kôfu)
Catégorie(s) : Littérature => Asiatique
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Une véritable descente aux enfers
Impossible de retrancher des points à ce chef-d’œuvre de Sôseki qui était considéré de son vivant comme le plus grand écrivain japonais. Écrit en 1908, le roman semble autobiographique mais il semblerait que l’écrivain ait recueilli les propos d’un homme à qui cette histoire serait arrivée et Sôseki l’aurait récupérée pour en faire un roman. Il précise bien cependant à la toute fin que ce récit est véridique. Comment dans ce cas a-t-il pu décrire toutes les sensations et sentiments du jeune mineur avec autant de précision et d’authenticité ? Petit résumé de l’histoire : un jeune garçon de dix-neuf ans issu d’une famille aisée de Tôkyô a fui le domicile familial dans le but de trouver un endroit désert, loin de toute civilisation afin de mettre fin à ses jours. Il rencontre un homme qui lui offre de devenir mineur. Il accepte la proposition en se disant que la déchéance d’exercer un si vil métier si bas dans l’échelle sociale équivaut presque à mourir. Le jeune homme connaîtra donc ce qu’est la vie de mineur avec tous ses « désagréments » pour employer un euphémisme. Il est horrifié à la vue de ses compagnons de travail, de vraies brutes sans cœur et sans humanité. Mais pourtant, au cours de sa première visite dans la fosse en compagnie de son guide, il fera la rencontre d’un homme instruit et lettré qui influera sur son destin.
J’ai résumé bien succinctement l’histoire qui, à prime abord, peut sembler toute simple mais qui renferme un sens profond et une interrogation lancinante sur la vie et la mort. Le jeune homme, dans toute la naïveté de sa jeunesse, a décidé de fuir le monde des hommes et la mine sera pour lui une sorte de descente aux enfers dont il espère ne plus jamais revenir. Il veut se punir, se condamner, rongé par un étrange sentiment de culpabilité et par l’insignifiance de sa propre existence.
Le style de l’écrivain ne va pas sans rappeler celui de Dostoïevski car certains passages sont étrangement semblables à ceux de « Souvenirs de la maison des morts » surtout lorsque le narrateur décrit le dortoir des mineurs et la physionomie de ses compagnons d’infortune. Et cet enterrement qui passe sous les fenêtres et qui attire la curiosité des travailleurs qui s’agglutinent aux fenêtres pour ne rien manquer du spectacle. Ils vont même jusqu’à traîner de force un vieux mineur mourant afin qu’il puisse, lui aussi, jouir de la vue du cortège macabre. Et pour continuer sur le terrain des comparaisons, je pense aussi au style de Tolstoï, si proche du réel, si simple dans son expression. Sôseki possède la même simplicité de style pour raconter la dureté du réel et de la nature humaine dans toute sa bassesse. Notre héros expérimente les moqueries, les railleries de toutes sortes, les rebuffades et les humiliations. Il supporte tout sans broncher, comme pour faire pénitence et lorsqu’il rencontre enfin un peu de bonté, c’est pour lui d’immenses instants de bonheur. Et cette descente effroyable dans le ventre de la mine, ces souffrances extrêmes, cet épuisement et cette angoisse vécus par le jeune homme, tout cela est décrit avec une force narrative remarquable et imprime dans notre subconscient des images terriblement tenaces et d’une noirceur confondante. Comment ne pas faire le rapprochement avec Zola et son roman « Germinal » ?.
Mais ce qui importe le plus dans ce récit, c’est la philosophie, cette interrogation existentielle touchante et désespérée. Le roman relève de la mythologie de même que de la psychanalyse. Un écrivain à lire assurément.
« Aujourd’hui que je vis, que je bouge, je n’en sais pas plus. Tant que le monde suivra son cours sans interruption, sans halte, le rutilement d’innombrables couleurs l’accompagnera. J’avais toujours eu le sentiment que les mineurs étaient ce qui existait de plus vil au monde, mais si l’on considère toute chose dans son changement incessant de couleur, les notions de ce qui est vil et de ce qui ne l’est pas n’ont plus cours. À partir du moment où plus rien n’a d’importance, vous pouvez agir totalement à votre guise. Même si je me contente de rester les mains dans les poches, le destin se chargera de moi, d’une façon ou d’une autre. Je mourrais peut-être. Je vivrais peut-être. Qu’importe. »
Les éditions
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Le mineur [Texte imprimé], roman Natsume Sôseki trad. du japonais par Hélène Morita avec la collab. de Shizuko Bugnard postf. d'Hélène Morita
de Sōseki, Natsume Morita, Hélène (Traducteur)
le Serpent à plumes / Fiction étrangère
ISBN : 9782842611880 ; 13,91 € ; 13/04/2000 ; 304 p. ; Broché
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