Guyana de Élise Turcotte

Guyana de Élise Turcotte

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Libris québécis, le 1 décembre 2011 (Montréal, Inscrit(e) le 22 novembre 2002, 82 ans)
La note : 8 étoiles
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La Guyana propice aux suicides

La Guyana est le seul état anglophone de l’Amérique du Sud. Coincé entre le Brésil et le Venezuela, le pays a fait la une des journaux le 18 novembre 1978 alors que 914 disciples du Temple du peuple sous l’égide de Jim Jones se sont suicidés.

Kimi était adolescente à l’époque. Fortement marquée par cet événement, elle réalise toute la violence qui frappe son pays. L’égarement religieux forme un duo sanguinaire avec les gouvernants. Le frère de Kimi a péri sous les armes pour s’être opposé aux exactions des soldats, qui assujettissent le peuple en recourant aux viols et aux meurtres. La situation conduit la jeune femme à Ville Saint-Laurent (arrondissement de Montréal), où elle devient coiffeuse dans un salon, qui sert de diversion à des trafiquants. L’étau se resserre sur sa destinée au point d’entraîner son suicide pour fuir le guêpier dans lequel elle est tombée.

Cette donne déclenche les réactions d’Ana, une journaliste qui avait confié les cheveux de son fils aux ciseaux de Kimi. L’instinct du métier l’amène à croire qu’il s’agit plutôt d’un meurtre déguisé en suicide. Sous forme d’enquête policière à saveur poétique, le roman creuse le sillage qui mène à la mort. La grande faucheuse n’agit pas nécessairement comme une voleuse, contrairement à ce qu’affirme l’adage. L’auteure tente de le prouver à travers le suicide de la coiffeuse et des disciples de Jim Jones

La mort se prépare de longue main. L’icône nécrologique domine une longue chaîne d’enchevêtrements, qui suit la vie des personnages, comme le note Denise Desautels dans Ce fauve le bonheur. La gestation de la personnalité est soumise à des événements mortifères incalculables. Événements qui tuent d’abord l’âme comme le viol. Et le silence en cache l’agonie. Dans ce contexte, la mort n’apparaît plus comme la fin de la vie. C’est une délivrance à laquelle les personnages se soumettent pour échapper aux impératifs des dominateurs, tels les chefs sectaires, les violeurs, les « bullies », ces voyous, dont l’intimidation pousse des élèves à se suicider comme il arrive souvent au Québec. Toutes ces morts rejoignent les survivants au plus profond de leur être. C’est le cas d’Ana, qui voit dans Kimi une âme sœur. La Guyanienne et la Montréalaise sont soumises à de mauvais haruspices, qui défient les frontières et le temps.

Cette vision de l’existence est véhiculée par trois narrateurs, soit Ana, son fils et Kimi. Chacun éclaire la facette où le bât blesse. Élise Turcotte, une romancière au talent accompli, s’intéresse à ce sujet dans plusieurs de ses œuvres, toutes exemptes de pessimisme. Elle est plutôt en quête d’une vie
qui a fait dire à Daniel-Rops : « Mort, où est ta victoire ? »

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