Correspondance de Gustave Flaubert

Correspondance de Gustave Flaubert

Catégorie(s) : Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par AmauryWatremez, le 28 novembre 2011 (Evreux, Inscrit le 3 novembre 2011, 55 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (13 281ème position).
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Lire (la correspondance de) Flaubert dans les transports en commun

On se dira, quelle utilité de parler de Flaubert encore maintenant ? Est-il encore un auteur à lire ? Ce n'est pourtant pas un perdreau de l'année dans l'actualité pourra-t-on me rétorquer, ce à quoi on répondra que la plupart des écrivains actuels sont beaucoup moins vivants que lui, beaucoup plus tournés en contemplation vers leur nombril, et beaucoup plus engagés que lui qui était totalement dégagé des sottises à la mode de croisset_p.47.jpgson temps, y compris le positivisme. Et bien qu'il bouffât souvent du curé (on lui pardonne, après tout un de mes ancêtres pendaient les cons lors des « Guerres de Religions » ce qui faisait du monde), il devait espérer tout au fond des tréfonds de son âme en la possibilité de l'amour et la miséricorde divines. On trouve bien sûr la Correspondance en ligne, ici , (en toute immodestie, je l'ai trouvé pour le prix d'un paquet de « clous de cercueil » en version papier chez un bouquiniste de Rouen, ce qui est quand même incomparable pour le lecteur, et mon amour-propre, et un éditeur qui s'appelle Conard on ne résiste pas). Mais on trouve aussi un recueil des lettres les plus marquantes chez Gallimard en Folio, et la correspondance complète dans diverses éditions (des citations par thèmes à ce lien). On peut laisser la lecture de la Correspondance de Flaubert en version électronique à Michel Onfray et Bernard Werber (la Gràce du Très Haut les étreigne de son bras puissant), deux écrivains non sans talent de notre époque d'intelligence toute puissante (je plaisante).

Et pourtant, une phrase comme «La vie doit être une éducation incessante ; il faut tout apprendre, depuis parler jusqu'à mourir » qu'écrit Flaubert à Maupassantjustifie presque à elle seule la lecture de cette correspondance que Borgès qualifia de « virile ».

*

Je sais (comme dirait Jean Gabin au crépuscule de son existence). Je sais, c'est le genre de titre qui donne l'impression que l'écriveur de ce blog a un ego surdimensionné, ce qui est tout à fait exact il est vrai, il a parfois peur de n'être qu'un Homais de gouttière, un atrabilaire de sous-préfecture. Mais ce qui me rassure somme toute est que Flaubert lui-même ne quittait pas beaucoup sa Normandie durant les vingt dernières années de sa vie, excepté quelques séjours parisiens et les visites à ses diverses égéries.

Il ne devait pas regimber tellement à s'isoler progressivement et du milieu littéraire des « gendelettres », et du peuple docile quand il s'agit des pires bêtises. Il s'oppose à Hugo qui est quant à lui certain que la nature humaine est perfectible à coup de bons sentiments, de grandes déclarations fracassantes et de bonnes intentions. Comme il l'écrit «Tout le rêve de la démocratie est d'élever le prolétaire au niveau de bêtise du bourgeois. Le rêve est en partie accompli. » Il ne croyait pas si bien dire, en 2010 c'est toute la société qui est imprégnée des valeurs, si l'on peut dire, de la bourgeoisie matérialiste, amorale et libérale-libertaire.

Et «Le peuple est un éternel mineur » malgré toute l'éducation que les « phares de la pensée » ont cru lui donner.

Certains s'amusent à me comparer au chef de caravane du « Ringling and Ringley » Barnum Show, qui trimballait aussi quelques horreurs dans son sillage, tout comme le romancier exilé à Croisset, de la femme sirène authentique à un vrai technocrate avec un attaché case rempli de paperasses, en passant par une femme à barbe ou le véritable « homme singe du pays de Galles ».

*

Les djeuns pourraient le lui reprocher : « Ouah, l'ôt' hé, il a pas de portables tactiles, il lit des l-i-v-r-e-s, trop zarbi le keum, il est trop dar » (ce qui se traduit par : « Ce personnage engendre chez moi un sentiment d'incompréhension car il n'est pas à la pointe du progrès »). Une citation de la Correspondance pourrait être méditée par la plupart des blogueurs (note personnelle : moi le premier, moi le premier) : «Le difficile en littérature, c'est de savoir quoi ne pas dire? » mais «quand on a quelque chose dans le ventre on ne meurt pas avant d'avoir accouché.»

Les transports en commun sont, faut-il le rappeler, rarement les vecteurs de transports sensuels ou amoureux, bien qu'il se raconte des anecdotes prétendant le contraire mais enfin « la madone des sleepings » se sentirait à l'étroit dans les commodités des trains modernes et Emmanuelle serait bloquée au sol comme tout le monde en ce moment à cause d'un nuage volcanique islandais, il lui serait alors impossible d'avoir « le bas en haut » en « business class », ce qui me fait penser qu'Emmanuelle c'est un peu « la madone des sleepings » de l'âge de la Bourse triomphante.

Flaubert connaît nombre d'extases éthyliques, haschinines ou autre, en voyage, quand il est en Orient dont il ne fait pas qu'humer les parfums dans les souks. Ses lettres à Louis Bouilhet d'Égypte ou de Jérusalem démystifient grandement les journaus de tous les grands hommes qui ne vivraient que d'intelligence, de rafinnement et de cultures partagées. Flaubert est loin de se cantonner à l'intellect. Il prétend à Louis Bouilhet que «L'organe génital est le fond des tendresses humaines.». Il ne vas pas cependant jusqu'à se souiller et souiller une enfant comme Maxime du Camp qui souffre des mêmes instincts que Polanski ou un curé progressiste « dynamique avec les jeunes », Il succombera quant à lui à son vice en Syrie.

On y voyage certes en prenant moins de risques que par l'alcool, qui est une manière de voyager assez étourdissante, et on s'y fait moins mal aux yeux que par la lecture. En plus, la correspondance de Flaubert même dans l'édition « digeste »(comme disent nos amis de la Perfide Albion) de poche, c'est écrit trop petit, et il n'y a pas de dessins à colorier. Généralement on y trouve toute une brochette de névroses diverses, en particulier parmi les habitués, l'aristocratie du voyageur, que ce soit un car ou un train, ce qui revient presque au même, dans le train, les habitués se rangent par wagon, dans le car, on ne peut pas changer, de wagon. Et l'on n'y rencontrerait même pas de Madame Schlésinger, le modèle de Madame Arnoux dans « l'Éducation Sentimentale », qui finira dans la triste réalité folle à lier, écumante, dans un asile de l'est de la France. C'est pour cette raison que l'histoire d'amour de Frédéric est tellement bouleversante, malgré l'auteur lui-même qui jouant le cynisme jusqu'au bout, se demande dans une lettre à Louise Colet s'il faut que ses personnages « baisent ensemble » selon son terme très cru qui est aussi une manière de pudeur.

Malheureusement.

Cela, l'observateur attentif l'aura bien sûr remarqué (note personnelle : ici, il y a quelques graines de dérision ami lecteur, je ne pense pas réellement qu'il faille être si attentif que ça).

*

De temps à autres, dans le « tégévé », en classe confortable, on peut croiser des philosophes néo-nietzschéens (ils sont persuadés qu'être anti-cathos suffit), comme Michel Homais, pardon, comme Michel Onfray, qui lisent le journal, « Le Monde », un journal beaucoup plus drôle que « le Hérisson » à vrai dire, sur leur « ail-fône » car ils sont pour le progrès, merde, quoâ ? Flaubert l'aurait conchié ce genre de philosophes de comptoir soit dit en passant, ce pour quoi, un peu rapidement, on classerait bien Flaubert dans la catégorie des anarchistes de droite, catégorie dans laquelle on me classe souvent (mais pourquoi ? Grands dieux ! Pourquoi ? Moi qui suis d'une grande douceur et d'une parfaite tolérance), à savoir le genre d'individus qui déteste la sottise grégaire et la connerie du troupeau quand celui-ci quitte ne serait-ce qu'un instant ses pâturages.

Et il conchierait de même « le Monde ».

Il y a particulièrement dans les transports en commun les bureaucrates fiers d'être esclaves, contents d'être dévoués à un patron, ou un chef de service qui exploite sans vergogne leur candeur et leur crédulité. Cela va de la dame entre deux âges pomponnée et apprêtée selon les canons de la mode pompidolienne, avec choucroute décolorée en option, que l'on soupçonne d'être amoureuse de son supérieur hiérarchique qui, miracle de la technique peut la déranger à trois heures du mat', gràce à l'invention du téléphone cellulaire (le vocable « téléphone portable » étant, comme me le faisait remarquer judicieusement une camarade intelligente qui porte des minijupes très courtes, un pléonasme, c'était un peu ma propre Louise Colet), au névrosé raide comme un piquet sur son siège qui bout d'impatience car il ne supporte pas ses semblables et qui attend avec impatience de se planquer derrière son « box » au bureau, ce qui lui permet d'envoyer des messages vengeurs ou haineux, planqué derrière un pseudo judicieux, souvent suggèrant qu'il est doté d'une virilité étonnament triomphante. Ils valent bien les « monsieur Prudhomme » dont parle souvent Flaubert et les « ronds de cuir » de Courteline, qui ne s'est pas toujours appelé ainsi (puisqu'il s'appelait Courtepine).
Et puis il y a aussi un autre genre de sauvage, celui qui préfère s'abstraire dans les livres. Autour de lui, on ragote, on cancane, il s'en fiche, on « bouvarde », on « pecuchètise », ça l'indiffère, on « bovaryse », il ne s'en inquiète pas, on le suspecte aussi de temps à autre d'être un « prétenssieux » ou une sorte de tante non pratiquante, il préfère en rire. On enrichit ainsi le dictionnaire des idées reçues de nombreuses définitions ou re-définitions. A lire la correspondance de Flaubert, lui qui haissait non sans délectation la bêtise bureaucratique mais aussi la démocratique, « Je ne veux faire partie de rien, n'être membre d'aucune académie, d'aucune corporation, ni association quelconque. Je hais le troupeau, la règle et le niveau. Bédouin, tant qu'il vous plaira ; citoyen, jamais ». De toutes façons il rejette la bêtise moderne : « L'immense bêtise moderne me donne la rage. Je deviens comme Marat insociable ! attachez-moi ! je mords ! » (A Léonie Brainne. 14 juin 1872) . Il serait bien plus enragé en nos temps de délitement social total malgré le multiculturel et l'avènement prochain du nirvâna consumériste.

Il aurait certainement détesté mais ça n'aurait pas été perdu pour la littérature. En son temps, il était limité, l'abrutissement du troupeau, de nos jours, il n'a plus aucune borne gràce au sacré « Village Global ». C'est plutôt d'être en dehors de la horde qui pose problème même si, certes, comme lui « Ma volonté seule suit une ligne droite, mais tout le reste de mon individu se perd en arabesques infinies » (à Louise Colet, 13 mars 1854).

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Les éditions

  • Correspondance [Texte imprimé] Gustave Flaubert choix et présentation de Bernard Masson,... texte établi par Jean Bruneau,...
    de Flaubert, Gustave Masson, Bernard (Préfacier) Bruneau, Jean (Editeur scientifique)
    Gallimard / Collection Folio.
    ISBN : 9782070402793 ; 12,90 € ; 23/10/1998 ; 850 p. p. ; Poche
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comme un double de soi

10 étoiles

Critique de Cyclo (Bordeaux, Inscrit le 18 avril 2008, 78 ans) - 6 décembre 2013

J'ai été tellement charmé ces derniers mois par la lecture de la Correspondance de Flaubert, véritable autoportrait de moi-même (si ce pléonasme peut être utilisé), que je n'hésite pas à vous en livrer des bonnes feuilles, regroupées par thème. Vous me direz si le portrait est ressemblant, moi, je pense que oui ! Il n'y a pas une phrase que je ne pourrais faire mienne : comme quoi on se découvre aussi en lisant les autres. Et quel bonheur de ressembler à Flaubert : il nous reste, maintenant, à écrire aussi bien que lui !

Art : « Jamais la haine de toute grandeur, le dédain du Beau, l'exécration de la littérature enfin n'a été si manifeste. » (Lettre à Ivan Tourguéniev, 13 novembre 1872) « Connaissez-vous dans ce Paris, qui est si grand, une seule maison où l'on parle de littérature ? » (Lettre à George Sand, 21 mai 1870) « Je suis sûr que le public va rester indifférent à cette collection de chefs-d'œuvre ! Son niveau moral est tellement bas, maintenant ! On pense au caoutchouc durci, aux chemins de fer, aux expositions, etc, à toutes les choses du pot-au-feu et du bien-être ; mais la poésie, l'idéal, l'Art, les grands élans et les nobles discours, allons donc ! » (Lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie, 8 octobre 1859) « Je n'ai (si tu veux savoir mon opinion intime et franche) rien écrit qui me satisfasse pleinement. » (Lettre à Ernest Feydeau, 6 août 1857) « Mais ne lisez pas, comme les enfants lisent, pour vous amuser, ni comme les ambitieux lisent, pour vous instruire. Non. Lisez pour vivre. » (Lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie, 6 juin 1857) « se hâter c'est pour moi, en littérature, se tuer. » (Lettre à Maurice Schlesinger, fin mars-début avril 1857) « Goethe s'écriait en mourant : « De la lumière ! de la lumière ! »Oh ! oui, de la lumière ! dût-elle nous brûler jusqu'aux entrailles. C'est une grande volupté que d'apprendre, que de s'assimiler le Vrai par l'intermédiaire du Beau. » (Lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie, 30 mars 1857) « Il faut que les phrases s'agitent dans un livre comme les feuilles dans une forêt, toutes dissemblables en leur ressemblance. » (Lettre à Louise Colet, 7 avril 1854) « mais c'est difficile d'exprimer bien ce qu'on n'a jamais senti... » (Lettre à Louise Colet, 22 novembre 1852)

Bonheur : « Le bonheur est un usurier qui pour un quart d‘heure de joie qu‘il vous prête vous fait payer toute une cargaison d‘infortunes. » (Lettre à Louise Colet, 23 octobre 1846) « Le problème n‘est pas de chercher le bonheur, mais d‘éviter l‘ennui. C‘est faisable avec de l‘entêtement. » (Lettre à Louise Colet, 31 août 1846) « Le bonheur est une monstruosité ! Punis sont ceux qui le cherchent. » (Lettre à Louise Colet, 8-9 août 1846)

Bourgeois : « Je me suis pâmé, il y a huit jours, devant un campement de Bohémiens qui s'étaient établis à Rouen. ― Voilà la troisième fois que j'en vois. ― Et toujours avec un nouveau plaisir. L'admirable, c'est qu'ils excitaient la Haine des bourgeois, bien qu'inoffensifs comme des moutons. Je me suis fait très mal voir de la foule en leur donnant quelques sols. ― Et j'ai entendu de jolis mots à la Prudhomme. Cette haine-là tient à quelque chose de très profond et de complexe. On la retrouve chez tous les gens d'ordre. C'est la haine que l'on porte au Bédouin, à l'Hérétique, au Philosophe, au solitaire, au Poète. ― Et il y a de la peur dans cette haine. » (Lettre à George Sand, 12 juin 1867)« Le bourgeois (c'est-à-dire l'humanité entière maintenant y compris le peuple) se conduit envers les classiques comme envers la religion : il sait qu'ils sont, serait fâché qu'ils ne fussent pas, comprend qu'ils ont une certaine utilité très éloignée, mais il n'en use nullement et ça l'embête beaucoup, voilà. » (Lettre à Louise Colet, 22 novembre 1852)

Douleur : « Ne soyez pas complaisantes pour vos douleurs. » (Lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie, 16 janvier 1866) « Je sais bien que la douleur est un plaisir et qu'on jouit de pleurer. Mais l'âme s'y dissout, l'esprit se fond dans les larmes, la souffrance devient une habitude et une manière de voir la vie qui la rend tolérable. » (Lettre à Ernest Feydeau, 26 octobre 1859) « Tu as beau être athée en médecine, je t'assure qu'elle peut faire beaucoup de mal. On vous tue parfaitement si on ne vous guérit pas. » (Lettre à Louise Colet, 7 avril 1854)

Ego : « Au fond de tous nos amours et de toutes nos admirations, nous retrouvons : Nous ! Ou quelque chose d'approchant ? Qu'importe, si nous est Bien ! » (Lettre à George Sand, 23 janvier 1867) « On n'y voit pas toujours clair en soi et, surtout lorsqu'on parle, le mot surcharge la pensée, l'exagère, l'empêche même. » (Lettre à Louise Colet, 19 septembre 1852) « Est-ce d‘avoir plus que jamais touché du doigt la vanité de nous-mêmes, de nos plans, de notre bonheur, de la beauté, de la bonté, de tout, mais je me fais l‘effet d‘être borné et bien médiocre. » (Lettre à Maxime Du Camp, 7 avril 1846)

Ennui : « Et puis je ne suis pas naturellement gai. Bas-bouffon et obscène tant que tu voudras, mais lugubre nonobstant. Bref, la vie m'emmerde cordialement, voilà ma profession de foi. » (Lettre à Ernest Feydeau, 6 août 1857)

Homme : « Et de quoi les hommes peuvent-ils être coupables ? insuffisants que nous sommes, pour le mal comme pour le bien ! » « Il faut, si l'on veut vivre, renoncer à avoir une idée nette de quoi que ce soit. L'humanité est ainsi, il ne s'agit pas de la changer, mais de la connaître. » (Lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie, 18 mai 1857) « Je suis de la nature des dromadaires, que l'on ne peut faire marcher lorsqu'ils sont au repos et l'on ne peut arrêter lorsqu'ils sont en marche ; mais mon cœur est comme leur dos bossu : il supporte de lourdes charges aisément et ne plie jamais. » (Lettre à Maurice Schlesinger, fin mars-début avril 1857) « L’avenir est ce qu’il y a de pire, dans le présent. Cette question « que seras-tu ? » jetée devant l’homme est un gouffre ouvert devant lui et qui s’avance toujours à mesure qu’il marche. » (Lettre à Ernest Chevalier, 24 février 1839)

Honneurs : « La recherche d'un honneur quelconque me semble, d'ailleurs, un acte de modestie incompréhensible ! » (Lettre à George Sand, 28 octobre 1872) « Quand on a quelque valeur, chercher le succès, c‘est se gâter à plaisir, et chercher la gloire c‘est peut-être se perdre complètement. » (Lettre à Louise Colet, 23 octobre 1846) « Il me reste encore les grands chemins, les voies toutes faites, les habits à vendre, les places, mille trous qu‘on bouche avec des imbéciles. Je serai donc bouche-trou dans la société, j‘y remplirai ma place. » (Lettre à Ernest Chevalier, 23 juillet 1839)

Nature : « En d'autres circonstances, ce pays m'aurait charmé, mais la nature n'est pas toujours bonne à contempler. Elle nous renforce dans le sentiment de notre néant et de notre impuissance. » (Lettre à Edma Roger des Genettes, 3 octobre 1875) « Les gens légers, bornés, les esprits présomptueux et enthousiastes veulent en toute chose une conclusion ; ils cherchent le but de la vie et la dimension de l'infini. Ils prennent dans leur pauvre petite main une poignée de sable et disent à l'Océan : « Je vais compter les grains de tes rivages. » Mais comme les grains leur coulent entre les doigts et que le calcul est long, ils trépignent et ils pleurent. Savez-vous ce qu'il faut faire sur la grève ? Il faut s'agenouiller ou se promener. Promenez-vous. » (Lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie, 18 mai 1857)

Progrès : « Quel effondrement ! quelle chute ! quelle misère ! quelles abominations ! Peut-on croire au progrès et à la civilisation, devant tout ce qui se passe ? À quoi sert donc la Science, puisque ce peuple, plein de savants, commet des abominations dignes de Huns ! et pires que les leurs, car elles sont systématiques, froides, voulues, et n'ont pour excuse ni la passion, ni la Faim. » (Lettre à George Sand, 27 novembre 1870) « L'industrialisme a développé le Laid dans des proportions gigantesques. » (Lettre à Louise Colet, 29 janvier 1854) « On ne peut malheureusement s'abstraire de son époque. Or, je trouve la mienne stupide, canaille, etc., et je m'enfonce chaque jour dans une ourserie qui prouve plus en faveur de ma moralité que de mon intelligence. » (Lettre à Maurice Schlesinger, 24 novembre 1853)

Repos : « On ne devrait jamais se reposer, car du moment qu'on ne fait plus rien, on songe à soi, et dès lors on est malade, ou l'on se trouve malade, ce qui est synonyme. » (Lettre à Ivan Tourguéniev, 29 juillet 1874) « Toute mon ambition maintenant est de fuir les embêtements. ― Et je suis certain par là de n'en pas causer aux autres, ce qui est beaucoup. » (Lettre à George Sand, 28 octobre 1872)

Sensualité : « Ce qui n'empêche pas Mme Sand de croire que de temps à autre « une belle dame vient me voir », tant les femmes comprennent peu qu'on puisse vivre sans elles. » (Lettre à Edmond et Jules de Goncourt, 12 janvier 1867) « Le sens du grotesque m'a retenu sur la pente des désordres. Je maintiens que le cynisme confine à la chasteté. » (Lettre à George Sand, 22 septembre 1866) « je sais peu d'hommes moins « vicieux » que moi. J'ai beaucoup rêvé et très peu exécuté. » (Lettre à George Sand, 22 septembre 1866) « J'ai pris plaisir à combattre mes sens et à me torturer le cœur. J'ai repoussé les ivresses humaines qui s'offraient. Acharné contre moi-même, je déracinais l'homme à deux mains, deux mains pleines de force et d'orgueil. » (Lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie, 4 novembre 1857) « Moi aussi, je me suis volontiers refusé à l'amour, au bonheur... » (Lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie, 30 mars 1857) « Je me suis sevré volontairement de tant de choses que je me sens riche au sein du dénuement le plus absolu. J‘ai encore cependant quelques progrès à faire. » (Lettre à Alfred Le Poittevin, 17 juin 1845)

Spiritualité : « Ces gens-là, d'ailleurs, n'entendent rien à l'âme. Je les connais, allez ! » (Lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie, 6 juin 1857) « Je n'aime point la vie et je n'ai point peur de la mort. L'hypothèse du néant absolu n'a même rien qui me terrifie. Je suis prêt à me jeter dans le grand trou noir avec placidité. » (Lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie, 30 mars 1857) « La conception du paradis est au fond plus infernale que celle de l'enfer. L'hypothèse d'une félicité parfaite est plus désespérante que celle d'un tourment sans relâche, puisque nous sommes destinés à n'y jamais atteindre. » (Lettre à Louise Colet, 21 mai 1853)

Vieillissement : « Il me semble, par moments, que je deviens idiot, que je n'ai plus une idée et que mon crâne est vide comme un cruchon sans bière. » (Lettre à Ivan Tourguéniev, 29 juillet 1874) « Je rêvais l'amour, la gloire, le Beau. J'avais le cœur large comme le monde et j'aspirais tous les vents du ciel. Et puis, peu à peu, je me suis racorni, usé, flétri. » (Lettre à Mademoiselle Leroyer de Chantepie, 4 novembre 1857) « On dit que le présent est trop rapide. Je trouve, moi, que c'est le passé qui nous dévore. » (Lettre à Maurice Schlesinger, fin mars-début avril 1857)

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