La conscience malheureuse des Bolcheviks

Pierre Broué (1926 - 2005), né Ardéchois et décédé Dauphinois, fut en France l'universitaire spécialiste de Léon Davidovitch Bronstein, ce Trotsky qui devint à la fois le Carnot et le Saint-Just des Révolutions russes de 1905 - 1917 - 1921.
On ne cachera pas que cet ouvrage monumental est un plaidoyer pro domo . Si on s'accorde volontiers avec Pierre Broué sur le rôle essentiel de Trotsky dans le développement des luttes clandestines puis ouvertes qui marquèrent les prémisses, le développement et l'éclatement des combats du PSD russe emmené par Lénine entre 1905 et octobre 1917 (y compris dans les désaccords entre Lénine et Trotsky sur l'opportunité du déclenchement d'Octobre), sur sa justesse de vues, son instinct à saisir le moment et le "style" décisifs, depuis la prise du pouvoir jusqu'à la fin de la guerre civile, on est cependant vite renseigné sur ce qui condamna le mouvement communiste à une attitude rigide, rigoriste, systématiquement tournée vers les options autoritaires. Si le gauchisme fut la "maladie infantile du communisme" selon la formule de Lénine, son étouffement, sa répression, puis son élimination sanglante, furent le début de sa sénilité ; l'évènement fondateur qui devait décider de l'avenir de tout le mouvement fut bien sûr la funeste répression de Cronstadt (1921), réponse tragiquement inadéquate aux espérances nées à l'issue de la guerre civile. La NEP, la formation de l'Opposition de gauche, puis sa défaite au Xe congrès du Parti en furent les conséquences nécessaires plus encore qu'inévitables si on analyse les évènements et les hommes dans l'optique de Marx. Staline et l'intégration de carriéristes soumis, dans le Parti, ne furent pas les produits du "hasard" mais la combinaison d'une prédisposition historique d'une part et des décisions pratiques de l'équipe au pouvoir, d'autre part. Pierre Broué ménage son héros, mettant au compte de la rigueur doctrinale la bévue d'ensemble du choix dictatorial prolongé dans tous les domaines. Trotsky avait en lui quelque chose du "prophète armé", capable d'intuitions fulgurantes, d'analyses stupéfiantes de vérité... tout comme d'aveuglements surprenants ; comme tous les prophètes, il avait tendance à ne considérer comme valables que les développements raisonnés des analyses qui avaient si bien prouvé leur justesse jusque là. On connaît l'histoire ultérieure du mouvement dit "trotskyste" : une série de scissions, de fusions, d'exclusions, d'anathèmes, qui vaudront à ses adeptes une situation concrète d'éternels marginaux sectaires et sourds à toute critique, qui dure encore : tel père, tels fils. Evidemment, on pourra invoquer, pour l'ensemble des protagonistes de la Révolution russe, le complexe de l'assiégé, du proscrit, du maudit, qui entraîne inévitablement la crispation sur des positions réflexes de défense et l'endurcissement là où la souplesse eût été plus indiquée.
On ne peut pas décortiquer ce livre, foisonnant de références, biographies, analyses bien menées ; tout juste peut-on mettre en garde le lecteur sur l'inévitable déformation que communique aux meilleures analyses la ferveur du croyant, l'espèce de piété filiale de l'auteur envers celui qui fut, en définitive, la plus célèbre victime d'une cause qu'il avait pourtant défendue toute sa vie.
Une bibliographie imposante, bien sûr, accompagne cet ouvrage de référence pour la période considérée.

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  Trotsky [Texte imprimé] Pierre Broué

  de Broué, Pierre
  Fayard
  ISBN : 9782213022123 ; 16,44 € ; 26/10/1988 ; 1105 p. ; Broché

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