Frédéric Dard ou la vie privée de San Antonio de François Rivière

Frédéric Dard ou la vie privée de San Antonio de François Rivière

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par AmauryWatremez, le 16 novembre 2011 (Evreux, Inscrit le 3 novembre 2011, 55 ans)
La note : 7 étoiles
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San Antonio par Béru

Bérurier l'a lu cette bio, il en parle mieux que moi.

Avant toutes choses cependant, offrons nous quand même une mise en bouche comaque, comme dans les « bouchons » de Lyon,

« A notre époque les vieux cons sont de plus en plus jeunes. »

« - Vous parlez un français très châtié!

- Qui aime bien châtie bien! »

Dans « les pensées de San Antonio » (au « Cherche-midi »)

Et maintenant, au tour du "gros"...

Mon grand,


C'est encore ton gros qui t'écrit. Il t'écrit gràce au pansu qui fait ce blogue, un rondouillard chafouin, avec une circonférence ventrale presque aussi remarquable que la mienne. Il vient de lire la biographie de Frédéric Dard par François Rivière, un type qui doit bien connaître les trains parce qu'il s'y connaît comme personne en littérature de gare, enfin comme on disait avant, parce que depuis les téléphones portables qui envahissent partout, on ne lit plus tellement dans les trains. Au pansu, ça lui a bien plu l'histoire du Dard, il faut dire qu'il y a de tout : de l'action, des sentiments, de l'humour, on s'amuse bien et un chouïa de tendresse assaisonne le tout.


A faire pleurer Margoton dans les chaumières, et pleurer les colosses. On rigole pour oublier la connerie et le désespoir d'être reconnu pour autre chose que pour une oeuvre bien maousse, bien académique, quelque chose qui fasse mériter la rosette à la veste, un peu de rouge sur le veston. Et le pansu, ça lui rappelle un peu la fin de l'enfance, « l'Histoire de France vue par San Antonio », illustrée -agrémentée- par le grand monsieur Dubout, un génie de la tronche pigée en deux traits de crayon, son petit bonhomme binoclard et ses grosses dames aux ballons comme des Zeppelins, il avait trouvé le livre chez son grand-père, c'était à son père, paraît-il, ce qui ne l'a pas étonné, ils ont le même genre d'esprit dans la famille, la mère et le reste de la progéniture, aucun respect pour l'autorité, de la graine de potence qui s'en fout des porteurs de médailles, des flics en uniforme ou en bourgeois, des anars syndiqués et des révolutionnaires en complet-veston, et il a lu le bouquin qui était plus pédagogique dans son genre qu'un manuel pour potache déjà ramolli du bulbe. Mine de rien dans « l'Histoire de France selon...moi-même », tu en apprends, des choses.


Et c'est moins soporifique.
Et pour le pansu, « San Antonio » c'est aussi les livres abandonnés dans les locations de vacances d'été au bord de la mer, des bouquins aux couvertures un peu vieilles mais avec des titres marrants comme le premier qu'il a vu, comme il m'a dit, le pansu qui lui aussi n'arrête pas de lire : « Fleur de nave vinaigrette » (qui se traduit "Bey-Rhû-Ryé" en japonais). Et ça veut dire aussi « imbécile » en argot, mais ça je n'ai pas besoin de traduire, vous n'avez qu'à l'entraver tous seuls comme des hommes. Les gonzes qui ont des lettres, ils trouvent que c'est vulgaire l'argot à l'époque, ils postillonnent sur Rabelais tout un tas de jolies phrases mais l'argot, ils n'en veulent pas. Maintenant, c'est à la mode, l'argot des mauvais garçons, la manière de discutailler des apaches. Il y en a qui ont tendance à trouver ça fastoche, mais quand ils s'y risquent, ils déchantent. Il faut presque suer du sang et des larmes pour y arriver.


Donc, dans la biographie, on apprend que le gars Frédéric est né près de Lyon en 1921, à Bourgoin Jailleu, et qu'il a habité le Montmartre lyonnais, la Croix-Rousse. Il est né avec un bras abîmé, le gauche, qui reste infirme. Il cache son handicap sous de grands airs mais c'est comme une blessure. Et ça me rappelle cette radasse blonde décolorée, bureaucrate aux faux airs d'« occasionnelle » des faubourgs que j'ai entendu dans le train affirmer à un type qui avait la patience de l'écouter que, elle, elle aurait pas voulu d'enfants handicapés car elle voulait pas que ses enfants « y soyent malheureux », elle préférait qu'« y soyent comme les autres », ses gamins. Si ça se trouve, je serais pas là pour te causer et toi tu serais pas là pour m'écouter, grand, avec tes portugaises maxifeuillues. Le monde il aurait perdu quelques personnages et non des moindres. Et aussi des génies, des artistes, des créateurs.


Ce n'est pas fait exprès, mais on a droit à tout le folklore, les cartes postales et tout le toutim de Lugdunum. Quand il était jeune, le Dard descendait et montait souvent par les traboules, qui comme des passages secrets rien que pour les gosses du quartier, passent dans les immeubles, ce qui emmerdait bien le bourgeois et qui lui mettait le sens de la propriété bien profond. C'est toujours ça de gagné quand on est un petit gamin comme le jeune Frédéric obligé de coucher dans la cuisine et de se laver dans l'évier qui sert aussi à rincer les rutabagas pendant l'Occupation. Pour s'évader loin de tout ce mic-mac, et comme c'est un sensible, il lit tout ce qui lui tombe sous la main, il vit plein d'aventures avec les héros qui sont habillés avec plein de couleurs sur les couvertures des romans de gare, on y revient : à défaut de prendre le train pour loin, il bouquine, il n'arrêt pas, un genre de voyages quand on a du mal à payer son ticket pour les îles sous le vent. De temps en temps, quand ça lui prend avec sa grand-mère, Bonne-Maman, qui vit avec eux, il monte jusqu'à Fourvières, à la Basilique, et en allumant son cierge, il croit voir les saints et les anges lui chanter leur sérénade, ce qui le fait pleurer comme une madeleine, j'en ai presque la larme à l'oeil. A l'époque, on peut aller de Bourgoin à Lyon en tortillard, et jusqu'à la Croix-Rousse avec le funiculaire rouge qui ressemble à un jeu de « meccano » avec ses roues dentées et ses rails crénelés comme les tours d'un château fort.


Et pourtant on dit que je ne suis pas vraiment sensible. Heureusement que sa Bonne-Maman est là, elle le bichonne, le protège de son père, le Francisque, pas vraiment méchant, mais qui a tendance à lever le coude un peu trop et que ça rend con. Mais elle le protège peut-être un peu trop sa grand mère. Il dort avec elle, il ne la quitte pas, et quand il se marie, ils sont tous les deux comme des amants désunis (y'a pas, je cause bien pour un gros). Sa mère aussi, elle l'aime bien, elle l'aide bien. Il est son petit homme, un jour, ils vont chercher Francisque dans toute la ville car l'autre n'était pas rentré de la soirée. Ils ne le trouvent pas, mais quand ils reviennent au bercail, le Francisque est là et tente vainement de se faire pardonner. Ce n'est pas un mauvais bougre, il est content que son fils bouquine autant, soit un lettré en bouture, il aime ça, il en est fier comme Artaban et il essaie de pistonner son gosse en organisant une rencontre avec Marcel Grancher, une célèbrité journalistique du Lyon de l'avant-guerre. Les bouches d'or disent que Grancher a lu un papier du petit et que tout de suite, estomaqué, il a voulu le publier, mais c'est pas tout à fait ça, en fait, il a regardé vaguement le texte, et comme c'était écrit en un français pas trop incompréhensible, même s'il y avait quelques fautes d'orthographe, il a vasouillé un compliment pour faire plaisir au gamin, un « j'aime beaucoup ce que vous faîtes » et puis marre. Le gosse, ça l'a encouragé et il a publié un premier livre à compte d'auteur avec l'argent de la vieille Bonne-Maman, encore elle. Déjà, depuis le collège, le petit gars s'habillait en gigolpince de la haute, et par fierté, se la jouait grand seigneur. Il n'allait quand même pas se mettre à genoux devant Tartempion parce que Tartempion avait une cuillère en argent dans la bouche à la naissance. Il monte à Paris pour essayer de refiler sa camelote, le petit gars Dard, des pièces de théâtre et des romans qui ressemblent à ceux de Simenon, comme « monsieur Joos » mais ça ne marche pas terrible. Comme tous les débutants, il met trop de choses dedans. Il aime bien aussi Céline, le bon docteur Destouches de Drancy, pour les inventions de mots. Depuis longtemps, il y avait pensé, écrire du populaire, du vite vendu, après avoir rencontré un ami de Francis Carco qui le lui avait conseillé, dans un café de la « Croix-Rousse » où l'on se payait la tête des nazis en plein pendant la guerre, et en 1949, il crée le personnage du commissaire San Antonio après s'être essayé au travail vite fait bien fait en rendant en cinq jours « le mystère du cube blanc ». La première enquête de San Antonio se passe à Bourgoin-Jaillieu, et vlan pour l'exotisme, et de son adjoint que les critiques disent qu'il est ignoble alors que c'est rien que des jalminces, moi, Bérurier, Béru pour les dames, enfin que tant que Berthe elle ne soye pas au courant, moi ça colle...

Au début on ne sait pas trop si le commissaire est une sorte de super-résistant, un flic, ou un barbouze mais qu'importe. Je suis déjà dedans, tout comme Achille ou Berthe.

Il écrit six livres par an, et de temps en temps, il y en a un qui est signé vraiment de lui et non du grand, un roman différent, mais ils ne sont pas nombreux à le lire, un type qui écrit des romans de gare c'est moins sérieux qu'un crétin qui raconte sa vie par le menu ou qui parle du papier peint de sa salle à manger pendant vingt pages. Il est devenu écrivain forain, c'est lui qui trouve la formule plus tard. Et ça le débecte tellement d'être si peu reconnu et si mal vu qu'il tente de se faire la malle de manière directe, nette et sans bavures en se flinguant. Heureusement il se rate. Au moins, ça montre une chose, la littérature est un enjeu existentiel, comme toute forme de création (qu'est-ce que je cause bien d'un coup) -enfin je parle des créateurs qui créent, pas de ceux qui sont légions qui ne produisent rien mais vendent du vent aux gogos qui souvent ne demandent que ça ou qui se vantent pour la galerie de faire dans le créatif. Et on ne devrait pas la mépriser comme on fait maintenant. Beaucoup de vieux cons à gueule de jouvenceaux font le cul de poule, ils aiment bien que les bouquins, ce soye utile, vingts dieux, que ce soye performant. Ils n'ont rien pigé bien sûr, (comme tous ceux qui ont fait des films d'après les bouquins de Dard).

On se dit, tant mieux, car comme ça on peut croire qu'ils vont nous foutre la paix, mais pas du tout, petit à petit, ils ont empoisonné la vie des quelques bons écriveurs qui restent. Ils font la leçon, ils font la morale, ils procurationnent même et se prennent pour Zorro, la grande tapette en noir, ils aiment bien les justiciers mais ils n'aiment pas vraiment la justice. Ils aiment bien les livres comme une copie d'élève bien docile, qui régurgite tout ce qu'on lui a enfilé dans le gosier avec un bâton jusqu'à la débectance, ils aiment bien qu'il n'y ait pas de disgressions, et il y en a souvent dans les livres de San Antonio. Après sa tentative de baisser de rideau final, Dard part vivre en Suisse, pour avoir la paix et vivre au bon air, loin des cons. Il continue d'écrire autant, plus de deux-cent livres dont « la vieille qui marchait dans la mer », mon préféré, et se sent mieux dans sa peau. Dard meurt en 2000, en Suisse, il a beaucoup d'héritiers, dont un grand nombre d'illégitimes. Et quand sa fille s'est mariée avec le mafflu qui passe à la radio et à la télé, Carlier, qui croit que c'est lui le vrai héritier non pasteurisé à cause de ça, j'ai cru rendre mon goûter de onze heures et tout le pif du matin.

Ton Bérurier qui te laisse car y fait soif, j'ai peut-être oublié des trucs et des machins mais il y a l'essentiel, Grand, tu trieras de toutes manières.

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