Journal 1966-1974 de Jean-Patrick Manchette
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Le journal intimement littéraire de Jean-Patrick Manchette
" Jeudi 29 décembre 1966. Aujourd'hui, ces temps-ci, je ne suis probablement sain tout à fait ni de corps ni d'esprit. Je mesure quelque chose comme 1 mètre 75, je pèse à peu près 60 kilos. Je suis fatigué, j'ai une crise de foie permanente par manque de sommeil et abus de la bière. Les soucis d'argent, et ceux de Mélissa, que je ressens, me pèsent. Je lis Les Pléiades de Gobineau, je trouve ça très agréable, je projette de l'adapter pour la télévision. "
Je me suis acheté le journal de Manchette, une folie financière furieuse car le prix en est exorbitant, et m'y suis plongé derechef. Même si je suis aux antipodes de l'auteur quant aux opinions qu'il exprime, que ce soit sur la foi ou la politique, je sens en lui un frère en littérature, un type capable de lire La Rochefoucauld ou Chesterton, puis un "comics", que ce soit un "graphic novel" ou pas, qui a un goût sûr en Science Fiction et en littérature, bien qu'il puisse se montrer souvent injuste tout comme ce qu'il aime au cinéma. D'abord surpris par certains de ses jugements, il a raison quand il parle de "2001" de Kubrick comme d'une "série B" maligne et qu'il dit que finalement il n'y a que la partie préhistorique qui vaille la peine. Il se montre parfois cruel, parfois méchant, mais finalement il est toujours intéressant. L'écriture ou la lecture lui sont simplement indispensables, fondamentales, des raisons de vivre pour supporter l'absurdité de ce monde, en plus de connaître le bonheur d'aimer et d'être aimé. Manchette se goure complètement sur "Mai 68" qu'il qualifie d'insurrection alors que cela n'avait rien à voir, puis comprend toute la bêtise des mouvements gauchistes un an après quand il lit un article racontant le traitement insultant que des boutures de miliciens tchékistes font subir au doyen de la fac de Nanterre, quand "Bartleby" d'Herman Melville se fait siffler au festival de Tours par des abrutis qui qualifient cette oeuvre poétique et profonde, pleine du coeur de Melville, d'"oeuvre bourgeoise" sans l'avoir lu.
Manchette n'est pas un militant. Il sait entrevoir que l'autre camp a le droit de ne pas penser tout à fait comme lui. Il parle aussi de son travail d'écrivain au jour le jour, de ces difficultés financières constantes, des conséquences que la dèche a sur lui et sa femme. Ce n'est pas un écrivaillon qui va se trouver un créneau tranquille, faire un peu parler de lui dans la presse après avoir sorti une ou deux énormités (en ce moment la judéophobie est à la mode chez ceux qui se disent politiquement incorrects, ou les histoires de cul de trentenaires trop gâtées, ou alors faire de la psy de comptoir) puis ronronner dans son coin en faisant sous lui chaque année un étron qu'il nomme pompeusement son oeuvre. On vend l'écrivain comme un produit, deux doigts de rock (ils portent des "djins" bordel, c'est rock, avec une chemisette blanche mal fermée et une veste Hugo Boss par dessus pour rappeler qu'on est près du peuple mais pas trop, faut pas déconner), un doigt de formules choc, un zeste de mode voire même de "fashion" (le livre considéré comme un accessoire). Lire Manchette, man2.jpgc'est entrer dans un univers passionnant, c'est réfléchir avec passion sur le style, sur le monde, c'est s'enthousiasmer devant la beauté, railler la sottise, y compris la sottise majoritaire, surtout celle-là, il n'y a rien de plus détestable que le troupeau bêlant pour Manchette qui a dû survivre en vendant des conneries écrites en quelques semaines pour vivre sous pseudo, dont des scénarii pour Max Pécas.
En parlant de sottise, je lisais Manchette dans le train qui me ramène du boulot quand je me suis fait traité de "bobo", parce que je lis un livre et que je suis pieds nus dans mes chaussures comme le consul de Malcolm Lowry, injure proférée par un gros con de commercial en chemise orange et cravate verte avec les stylos qui dépassent de la poche poitrinaire et l'ordinateur portable dernier cri sur la tablette en face de la banquette pour bien signifier sa réussite, satisfait de participer à l'iniquité collective. Je sais : quand je dis gros j'exagère, un connard patenté quoi. Il n'a sûrement pas lu Manchette car ce n'est pas une lecture de "bobo" le moins du monde, on en concluera aussi que traiter quelqu'un de "bobo" devient l'excuse bidon la plus courue pour se justifier de son ignorance, un type qui lit, c'est un prétentieux et sûrement un "bobo". Les abrutis qui pensent que leur dignité est dans la possession d'une grosse bagnole ou l'accumulation de beaucoup de fric pour compenser la petitesse de leur sensibilité, ou de leur culture, ou autre chose que "rigoureusement ma mère m'a défendu de nommer ici", ne peuvent comprendre l'amour de la littérature de l'auteur de ce journal. Il est mort à cinquante-trois ans en 1995, alors qu'il y a tant d'imbéciles qui meurent de vieillesse les quatrième et cinquième àges passés et bien tassés.
Les éditions
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Journal [Texte imprimé] Jean-Patrick Manchette
de Manchette, Jean-Patrick
Gallimard
ISBN : 9782070781492 ; 26,40 € ; 02/05/2008 ; 639 p. ; Broché
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Critique de Antihuman (Paris, Inscrit le 5 octobre 2011, 41 ans) - 27 août 2014
C'est possible. Et pourtant j'adore les polars de Jean-Patrick Manchette, qui ont marqué le genre d'une pierre angulaire quoiqu'en disent ses détracteurs. Même si ses idées étaient catégoriquement à gauche (on le constate en lisant ce mémoire au quotidien.. et à l'ordinaire) et marqués par ce sceau typique d'idées préconçues; par exemple il n'aime pas Philip K. Dick, pour lui ça n'est qu'un drogué et qu'un junkie, il n'est pas épris non plus d'Orange Mécanique cette oeuvre tellement culte, il fait l'impasse sur la mythologie grecque comme un potache fin de rang, puis se choque néanmoins de ne pas toucher assez de royalties avec son dernier scénario d'un porno quelconque ! Quel esclave, quel serf.
Donc Manchette écrit bien mais son journal n'est que le lot quotidien des gens qui doivent parfois endurer ce genre de Monsieur, et cela va de soi accompagné de leurs immenses stéréotypes; c'est somme toute agaçant au finish. Vous allez me dire, il est aujourd'hui disparu et ces remarques au jour le jour sont très précieuses et tout et tout. Certes, quoiqu'il y a là de quoi en douter. D'ailleurs en réalité plutôt pas du tout puisque ses écrits sont à l'opposé du style traditionnel de ses romans et d'un genre anti-behavioriste - en effet Manchette là-dedans ne dit essentiellement que ce qu'il pense en ne commentant que très peu (vraiment très peu) les faits d'actualités de 1966 à 1974. Oh, je ne dis pas que l'ensemble est inintéressant artistiquement, bien au contraire, mais le patchwork qu'est ce pavé fourmille tellement de justes recommandations qu'à la fin on ne retient, bien sûr, pas grand-chose ! Ou si peu.
Le ton est par conséquent plutôt petit-bourgeois et surtout carrément comique quand on connaît les oeuvres particulièrement violentes et frénétiques de l'auteur. Jean-Patrick Manchette a surtout l'air ici d'un clerc de notaire vaguement esthète qui se plaindrait souvent mais qui vaille que vaille, n'atterrit en général que sur des lieux communs et pour cause (et aussi staliniens et normés, j'ajouterais de plus.) Et les gens de droite ne sont pas des malpropres, CQFD pour tous ces ploucs de gauche planqués et tous ces mauvais esprits maoistes qui font florès sur l'Hexagone. Désolé mon pauvre J-P.
L'intolérance n'appelle que l'intolérance.
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