L'amour conjugal de Alberto Moravia
(L'Amore conjugale)
Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone
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L'amour comme un art.
Comme à son habitude, Moravia scrute à la loupe, analyse et dissèque, tel un chirurgien de l’esprit, les tourments d’un personnage (souvent en crise), à travers une relation particulière.
Et c’est le mariage qui est observé ici, à travers les yeux de Silvio Baldeschi, narrateur qui se définit comme un esthète, même si ce dernier, au moment où il approfondit un peu plus ses réflexions au sujet du regard qu’il porte sur lui-même, avoue volontiers être « tout autre chose qu’un esthète : […] un homme tourmenté par l’angoisse, toujours au bord du désespoir. »
Silvio a peur, peur de perdre sa femme, Léda (qu’il aime malgré ses défauts), sans doute parce qu’il fait preuve d’une lucidité et d’une clairvoyance exacerbées.
« J’étais passionnément épris de Léda et en même temps je continuais à craindre de ne plus l’aimer et d’en être moins aimé. »
Ainsi dans les premières pages, s’il dresse un portrait, plutôt flatteur dans l’ensemble, de son épouse, il le fait sans aucune complaisance, souligne cette affreuse grimace qu’il entrevoit parfois sur son visage, et surtout s’inquiète de ce qu’il appelle la « bonne volonté », cette espèce de complaisance dont Léda, elle, fait preuve, et qui inspire à Silvio de la méfiance.
Cette bonne volonté, finalement au combien pernicieuse dans un couple, refera surface comme il le pressentait, et sera décrite de manière très explicite, comme sait si bien le faire l’auteur :
« Elle me souriait exactement comme une mère sourit à l’enfant qui, dans un moment où elle n’a pas envie de lui prêter attention, accourt hors d’haleine pour lui dire : Maman, quand je serai grand je veux devenir général. »
Pourtant Léda et Silvio s’aiment.
Quand Silvio fait part à sa femme de sa volonté d’écrire, elle lui propose immédiatement un retrait dans la campagne toscane afin qu’il puisse se consacrer pleinement à la réalisation de son projet.
Une fois installés dans leur villa où l’espace n’est guère propice au bien être (« Parmi toutes ces vieilles choses craquelées, donc ce manque d’espace libre, nous nous mouvions avec embarras comme si les vrais habitants de la villa fussent les meubles et nous les intrus. »), Silvio s’attèle à l’écriture d’un roman, mais bien vite il réalise que les nuits d’amour passées avec Léda l’empêchent de se concentrer et de progresser.
Or il tient expressément à aller au bout de son envolée créatrice- même s’il n’a pas besoin d’argent- ne serait-ce que parce qu’il l’a promis à sa femme, solennellement, en lui assurant qu’elle serait sa muse.
Ecrire quelque chose pour elle, en gage d’amour ; pour sublimer cet amour par l’art. Comme si de la réussite du livre dépendait la réussite de son mariage et l’intensité de l’amour de Léda pour lui, qui d’ailleurs réclame cette preuve d’amour, « un peu comme la dame des légendes qui demande au chevalier de lui rapporter la toison d’or et de tuer le dragon ; et on n’a jamais vu de légende dans laquelle le chevalier abattu et contrit revienne les mains vides en confessant qu’il a été incapable de trouver la toison et n’a pas eu le courage d’affronter le monstre. »
Silvio, héros littéraire et amoureux, devient une question d’honneur.
Egoïsme, doute du créateur, définition de ce qu’est véritablement une œuvre littéraire, autant de thèmes abordés autour de la relation entre ces époux, dont Silvio viendra à dire qu’il parlent, en fin de compte, « un langage différent ».
Les rédacteurs de critiques de livres que vous êtes seront fatalement sensibles à celle que Silvio rédige à la fin des deux livres (l’un écrit par lui, l’autre lu par nous, mais n’est-ce pas le même, finalement ?), lorsqu’il s’auto-évalue sans ménagement, avec minutie, procédant comme il a coutume de le faire (primo : style, secundo : plastique, tertio : personnages, quarto: vérité psychologique, quinto : sentiments, sexto : intrigue, septimo et dernier : jugement général. Conclusion pratique : peut-on le publier ?)
Et on ne peut qu’être interpellé par l’écriture très réflexive de Moravia, qui jette un œil impitoyable, un peu dur et froid, sur ce que nous sommes.
« Toute passion se dissout en moi par l’acide de la réflexion ; manière comme une autre de la dominer et d’en détruire à la fois l’empire et la souffrance. »
Les éditions
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L'Amour conjugal [Texte imprimé] Alberto Moravia trad. de l'italien par Claude Poncet
de Moravia, Alberto Poncet, Claude (Traducteur)
Gallimard / Collection Folio.
ISBN : 9782070361847 ; 6,90 € ; 16/11/1972 ; 180 p. p. ; Poche -
L'Amour conjugal : L'Amore conjugale, édition bilingue (français/italien)
de Moravia, Alberto Poncet, Claude (Traducteur)
Gallimard
ISBN : 9782070383139 ; EUR 11,90 ; 22/03/1991 ; 315 p. ; Poche
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Les critiques éclairs (3)
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Le doute en amour et dans la création
Critique de Veneziano (Paris, Inscrit le 4 mai 2005, 47 ans) - 27 juin 2017
Pour des amateurs de littératures que nous sommes sur ce site, cette oeuvre ne peut que nous intéresser car il traite du processus de la création et de son interaction avec la sphère intime, et c'est en-cela qu'il m'est apparu devoir être soumis ici.
Il a déjà été critiqué ici, mais je vous soumets la version bilingue. J'ai déjà présenté plusieurs oeuvre de cette collection qui a le mérite de permettre d'approfondir une langue étrangère et de découvrir une oeuvre dans sa version originelle, ce qui me semble important.
Le doute de l'artiste en couple
Critique de Veneziano (Paris, Inscrit le 4 mai 2005, 47 ans) - 31 juillet 2013
Cet homme est un intranquille, quelque peu velléitaire, que tout fait douter. Tout est prétexte à introspection, étude. Ce roman offre bien une réflexion sur la création, comme sur la vie de couple. Qu'est-ce qui fait qu'un couple adhère et dure ? Il fait un peu l'écho à De l'amour de Stendhal, qui mit en exergue le concept de cristallisation.
Le style est sobre et analytique, ce qui convient très bien à son objet. La peur de l'ennui, du déclassement semble être une permanence chez cet auteur.
"Vivre" avec un artiste...
Critique de Nathafi (SAINT-SOUPLET, Inscrite le 20 avril 2011, 57 ans) - 26 mai 2013
L'écriture d'Alberto Moravia est belle, très belle, si belle que les pages de ce livre se sont tournées seules, sans encombre ni pause...
Silvio et Leda s'aiment... Chacun à leur façon, Leda semblant parfois pliée à certaines convenances, ou une bonne volonté, qui dérangent son mari. Alors, quand il lui avoue avoir un projet d'écriture, et que Leda l'encourage, il se sent soudainement grand et sûr de son talent, pour briller aux yeux de son épouse, bien qu'il doute de sa capacité à analyser ce qu'il écrit, et peut-être devenir, enfin, l'écrivain qu'il rêve d'être...
Il décide donc de se consacrer tout entier à ces pages d'écriture et d'y mettre toute son énergie, au point de délaisser Leda.
Ceci rappelle la difficulté de partager la vie d'un(e) artiste, place très peu aisée qui consiste à toujours vénérer et soutenir l'être aimé, à supporter ses lubies, ses caprices, ses moments de doute, au nom de l'Art... Etre imbu de lui-même et très égoïste, Silvio, lassé de son oisiveté, veut créer à n'importe quel prix et ne voit plus, n'entend plus l'essentiel. Leda doit se contenter de ces arrangements, bon gré, mal gré, au nom de cette oeuvre qui inspire tant son mari. Bien qu'étant sa Muse, elle n'y trouve pas son compte, ce qui est tout à fait humain.
L'analyse en profondeur du personnage de Silvio nous permet d'explorer l'âme de cet homme singulier, et nous partage ses tourments.
Un thème que je trouve très bien abordé et exploité.
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