Clèves de Marie Darrieussecq

Clèves de Marie Darrieussecq

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Deashelle, le 2 octobre 2011 (Tervuren, Inscrite le 22 décembre 2009, 15 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (42 978ème position).
Visites : 4 423 

Faire miroiter le non dit

Clèves raconte l’éveil à la vie amoureuse et sexuelle d’une petite fille, en province, il y a une trentaine d’années environ... Les trois parties du livre respectivement intitulées « Les avoir » (les règles), « Le faire » (l’amour), « Le refaire » (l’amour, encore, bien sûr : une seule fois ne suffit jamais, surtout en l’occurrence), donnent bien la temporalité et la dramaturgie de ce huitième roman de Marie Darrieussecq.

Il y a deux façons d’aborder le livre : le rejet, la moquerie, la dérision ou… le questionnement. Marie Darrieussecq met en scène la naissance de la puberté chez une petite fille avec un hyper-réalisme stupéfiant. Elle décrit par le menu la quête solitaire de la connaissance de la vie par la petite Solange. Ne vous en déplaise, c’est l’histoire de cette métamorphose inévitable qui concerne la moitié des êtres humains, à savoir, les premières règles. Le passage de la petite fille à la femme nubile. Il ne se passe rien d’aussi définitif chez les garçons. Cela sent le vécu, à la fois la nostalgie de l’enfance, et le désir d’être femme, les peurs, le questionnement de l’autre par excellence c'est-à-dire : qu’est-ce qu’un garçon véritablement ? Qu’est-ce que faire l’amour ? Qu’est-ce que l’amour ? Quelle est la part de pensée, quelle est la part physique, VIE…olente ? Qu’est-ce que le consentement ? Comment s’affirmer ? Comment se profiler dans le regard des autres ? Et cela passe par de furtives recherches au dictionnaire. Jamais satisfaisantes, frustrantes même.
Était-elle donc morte avant la première fois ? Pendant (et après) « Solange se sentait enfin vivre » ! Mais elle n’était jamais rassasiée. Et le rôle du père ? Le rôle maternel ? La question de l’abandon. La différence entre un amour plein de bonté (Bihotz) et celui totalement égoïste du (beau) mec à moto (Arnaud Lemoine). Le clivage social dans le huis clos du village. Les conversations débiles des adolescentes, les clichés…à mourir de honte si on relisait plus tard les journaux intimes ! Que ce soit il y a 30 ans ou il y a 50 ans… ce sont ces zones inexplorées par la littérature qui sont décrites par vagues successives par l’auteur le sourire aux lèvres et une nostalgie dans le cœur. Ces zones sembles mi-véridiques mi exagérées. Le sens du détail cru y est mais faut-il s’y arrêter nécessairement ?

Exposer le miroitement du non dit est de loin le plus intéressant. La puissance de la langue très vivante et de la composition du roman ont quelque chose d’artistique qui sublime l’histoire banale. Il y a comme une quête mystique. Qui suis- je ? Qui est l’autre ? Où vas-tu ? Où est le soleil ? La parole est celle de l’héroïne de 10 à 15 ans, mais quelle justesse et quelle sincérité de ton ! Cette souillon de Clèves a parfois des airs de princesse.

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Original et subtil malgré tout

7 étoiles

Critique de Luluganmo (, Inscrite le 26 septembre 2010, 42 ans) - 23 octobre 2011

Je ne tiendrai pas tout un discours philosophique sur "Clèves", tant de choses ont déjà été dites. Pour moi, Marie Darrieussecq fait preuve d'un immense talent car il faut oser écrire un tel bouquin! J'ai entendu tellement de mauvaises critiques concernant son livre que j'ai été finalement agréablement surprise (et je dois dire que c'est ce qui m'a poussée à m'y attarder). Malgré les détails un peu crus (auxquels il ne faut pas accorder trop d'importance), je pense qu'il est beaucoup plus subtil qu'il ne le paraît. Il ne nous laisse pas indifférent et une profonde réflexion sur les personnages s'impose. Toutefois, il n'est pas à mettre entre n'importe quelles mains. J'attends de nouveaux avis avec impatience...

un peu trop de bit(e)

5 étoiles

Critique de Lectorissime75 (, Inscrit le 16 septembre 2011, 55 ans) - 9 octobre 2011

Dans le Discours amoureux, Roland Barthes se demandait pourquoi il était si peu question d’amour dans les romans actuels lus par l’intelligentsia alors qu’un romancier comme Stendhal par exemple considérait cette passion comme la « grande affaire » de sa vie, plus grande peut-être que l’idée fixe d’écrire un chef-d’œuvre. In fine, l’auteur du Degré zéro de l’écriture concluait que « l’obsession politique » avait remplacé celle de la poursuite insensée du bonheur par l’amour qui donnerait un sens au non-sens selon la morale des époques incertaines. L’histoire d’amour avait été reléguée au rang de motif ou de thème, ou pour le dire en terme plus cynique, de fonds de commerce exploité par ces romans grand public au titre doucereux que la critique dédaigne mais que le public plébiscite. Mais aujourd’hui, puisque la politique n’est plus le discours dominant qu’il était, comment expliquer que le roman dans son ensemble ait renoncé à redevenir la science des affects alors que le concert ne risque plus d’être troublé par les coups de pistolets de la triste politique ou par les cris de la rage impuissante des indignés ? Il arrive encore qu’une romancière comme Marie Darrieussecq par exemple parle un peu des premiers émois sensuels ou expériences sexuelles de ses personnages féminins, qu’elle rapporte d’ailleurs si crûment qu’ils prennent un caractère sordide un peu kitsch qu’ils n’ont pas toujours, dans des scènes souvent placées abruptement au tout début du récit, in media res, pour accrocher le lecteur dès l’incipit (procédé employé aussi par Dimitri Bortnikov dans Repas de morts qui commence par une scène de masturbation) et exciter son dégoût ou son penchant, c’est selon, pour le trashy (pour le tragique on repassera). Le vernis de la pseudo-novation stylistique peine pourtant à rajeunir de si vieilles rengaines malgré leur piquant intrinsèque, malgré l’absence de discours psychologisant. Pour Marie Darrieussecq en effet, il n’y a sans doute rien de si nouveau à dire sur le sujet et sa psyché depuis le passage de Freud ou Lacan pour qu’un romancier aille s’arroger un peu imprudemment comme au temps de Balzac une compétence de psychologue surtout quand on est déjà soi-même psychanalyste… et qu’on tient au partage des savoirs : car finalement n’est-il pas un peu incongru pour un auteur de disserter sur les motivations embrouillées de ses personnages ? Quelle valeur le lecteur peut-il donner à ces développements, à ces analyses, à ces dissections du « cœur humain » à l’ancienne ? Toutes ces questions n’ont pas arrêté Stéphane Chasteller, auteur d’un premier roman singulier intitulé Terre promise. Dans une langue impeccable et dans une syntaxe irréprochable, sur un ton plaisant, avec un brin d’ironie, et aussi avec un certain talent (mot galvaudé, je sais mais il n’y en a pas d’autres pour qualifier un complexe de qualité d’expression et d’originalité), il déroule la très vieille histoire de la recherche de l’autre à travers l’itinéraire d’un personnage qui court après les ombres de son rêve et cela jusqu’aux dernières conséquences.

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