Les revenants de Laura Kasischke
(The raising)
Catégorie(s) : Littérature => Anglophone
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Pourquoi pas le grand roman US de l'année 2011 ?
Le roman américain se porte bien, preuve qu’il n’est pas que Franzen et Roth pour se faire une idée de la santé littéraire étasunienne. Avec ses « revenants », Laura Kasischke renouvelle les perspectives du « campus novel », à savoir le roman de contexte universitaire où étudiants et professeurs sont les personnages principaux. Allons même au-delà de cette observation et disons d’emblée que Les Revenants complète un premier duo de « campus novels » tout à fait remarquables : Le Maître des Illusions (Donna Tartt) / Moi, Charlotte Simmons (Tom Wolfe). On pouvait ainsi craindre des redites, mais Kasischke s’en prémunit car son jeu de « focalisations internes » casse le mythe d’un centre de gravité exclusif autour duquel tout s’enroule et se déroule. N’importe lequel de ses personnages a une vocation dominante dès lors que c’est son tour de s’exprimer et d’agir. Chacun cherche à établir une vérité (sinon la vérité qui rassemblera les opinions) sur l’accident qui a coûté la vie à Nicole Werner, une étudiante d’apparence modèle, inscrite parmi l’une des sororités helléniques les plus influentes du pays. En outre, le roman est très habilement construit dans la mesure où il procède à des retours en arrière qui épaississent le portrait de Nicole Werner, si bien qu’on finit par obtenir une double identité de celle-ci : un portrait de vivante et un portrait de morte, le premier exposant un caractère, le second une réminiscence distordue où les avis divergent. Peu à peu, l’enjeu sera de savoir ce qu’il en est exactement de mademoiselle Werner, car une série d’événements consécutifs à l’accident va remettre un certain nombre de faits en question, à commencer par l’identité réelle de la défunte. Quelques-uns soutiendront mordicus que Nicole est « revenue » d’entre les morts, d’autres affirmeront que tout cela n’est qu’un délire mystique. Toujours est-il que le malaise se fait grandissant ; c’est pourquoi ce « campus novel » transfigure son rôle de description sociale du milieu universitaire, basculant subtilement vers les codes de conduite du thriller.
D’une manière générale, la question qui se pose dans ce livre est la suivante : comment implémente-t-on la mort d’un étudiant sur un campus relativement huppé ? Cette interrogation, mis à part le fait qu’elle est servie par une magistrale maîtrise narrative, est d’autre part soutenue par des éléments d’anthropologie qui renforcent l’allure romanesque. Donna Tartt avait quelque peu répondu à ces questions dans son roman, cependant Laura Kasischke ajoute peut-être une aisance dramatique que Tartt n’avait pas systématiquement, ce qui fait que cette histoire de « revenants » se dispense de certaines lourdeurs qui auraient pu rendre le contexte universitaire hermétique à ceux qui n’en savent pas grand-chose. En fin de compte, la force du regard de chacun des personnages de Kasischke nous rappelle un autre livre américain où les « focalisations internes » étaient prépondérantes et où il s’agissait également de mettre de la lumière sur un accident : De Beaux Lendemains (Russell Banks). Mais tandis que Banks capitalisait les dispositifs émotionnels des témoignages des différents protagonistes de son livre, Kasischke résout une énigme en mettant en scène ses personnages, ou du moins elle amorce la résolution d’un mystère qui n’était au départ qu’un fait brut de l’existence. Elle fait en somme le contraire de Banks : elle va de l’émotion vers les raisonnements alors que l’auteur des Beaux Lendemains allait de la brutalité vers la sédimentation des émotions. Et ce qu’il y a peut-être de plus réussi dans ce roman, c’est la façon dont Kasischke « raconte » l’hypocrisie des milieux universitaires quand ceux-ci sont confrontés à des tempêtes qui bousculent leurs repères. Tout cela, en sus, a le mérite d’être fait avec une légèreté qui confère à la plus estimable efficacité.
Les éditions
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Les revenants [Texte imprimé] Laura Kasischke traduit de l'anglais (États-Unis) par Éric Chédaille
de Kasischke, Laura Chédaille, Éric (Traducteur)
Christian Bourgois
ISBN : 9782267022117 ; 22,30 € ; 15/09/2011 ; 587 p. ; Broché -
Les revenants [Texte imprimé]
de Kasischke, Laura
le Livre de poche
ISBN : 9782253164524 ; 8,70 € ; 03/01/2013 ; 672 p. ; Poche
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Les critiques éclairs (6)
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Un très bon roman, quoiqu'un peu moins réussi que certains autres titres de l'auteure
Critique de Dervla3012 (, Inscrite le 7 décembre 2019, 18 ans) - 15 août 2021
Craig et Nicole étaient fous amoureux, n’est-ce pas ? Pourtant Craig a tué Nicole, ou du moins c’est ce qui se dit…
Les fraternités et sororités sont des institutions bienveillantes, qui vous aident à vous intégrer dans votre université n’est-ce pas ? Ou du moins c’est ce qui se dit…
Craig, Nicole et Perry sont nouveaux à Godwin Honnours Hall, et tous n’y arrivent pas avec la même ardeur pour travailler. Pourtant, le dicton prétend que les opposés s’attirent. Nicole, studieuse, sage et aux allures de vierge effarouchée, peut-elle véritablement sortir avec Craig, garçon pas très méchant mais fainéant et luttant contre une dépression chronique ? Il semblerait que oui. Et quiconque s’aviserait de les observer pourrait constater que Craig est véritablement passionné et investi dans cette relation : le couple file un amour parfait. Ou du moins, c’est ce qui se dit… Mais une nuit, Craig, saoul, force Nicole à monter avec lui en voiture. Le véhicule s’écrase sur le bas-côté et la jeune fille meurt.
Quelques mois plus tard, harcelé par les autres élèves qui le tiennent pour responsable et pétri de remords, Craig ne se remet pas de la disparition de sa douce bien-aimée. C’est alors qu’il commence à recevoir de mystérieuses cartes postales et coups de téléphone qui semblent provenir d’elle.
De son côté, Perry, colocataire de Craig et ancien camarade de collège de Nicole, est inquiet : lui sait qui était véritablement la jeune morte – une séductrice manipulatrice. Alors, lorsque lui aussi l’aperçoit sur le campus, il décide de demander de l’aide à Mira, une professeure anthropologue. Shelly, unique témoin de la nuit du drame, viendra bientôt les rejoindre dans leur quête. Elle affirme que Nicole n’est pas morte ce soir-là : elle était un peu secouée certes, mais indemne.
Tout ce petit groupe va s’interroger tandis que les apparitions de Nicole semblent s’intensifier. Se pourrait-il qu’elle soit revenue ? Ou est-ce encore l’une de ces choses que l’on dit…
Mon avis :
Il sera bref. Lorsque l’on apprécie un roman, on trouve généralement peu de choses à en dire, ou du moins peu de choses véritablement pertinentes.
L’écriture est lyrique, poétique : maintes fois, Laura Kasischke dissémine à travers le texte des leitmotivs sur la nature qui confèrent au récit une atmosphère rêveuse, comme dans une illusion, une hallucination.
Tout au long du roman, l’auteure distille de nombreux petits détails, insignifiants de prime abord, qui prennent tous cependant un sens lors du dénouement : la structure est implacable.
Il semblerait, d’après ce que j’en dis, que ce roman est un thriller psychologique comme tant d’autres. Détrompez-vous. Les personnages ne courent pas après le mystère, c’est presque, en réalité, la solution qui vient d’elle-même à eux. Ce serait d’ailleurs faire fausse route que de considérer ce roman comme un mystère ou un suspense-psychologique : je dirai que c’est plutôt la peinture d’un milieu, celui du monde universitaire moyen (je veux dire par là que l’établissement en question n’est pas une école d’élite, c’est même une université plutôt mal-classée), de ses côtés néfastes et de ses conséquences sur la vie des étudiants.
La résolution, pour sa part, est d’un tout autre style que celui généralement à l’œuvre dans les genres cités plus haut. Le lecteur est confronté à un choix : une solution rationnelle ou fantastique. C’est à nous de choisir, mais aucune des deux possibilités n’est jamais exclue.
Les personnages pour leur part sont vraiment étoffés. La personnalité de chacun est intéressante et complexe : aucun n’est ce qu’il paraît dans les premiers chapitres.
Malgré toutes ces louanges, je dois dire que j’ai moins aimé ce roman que certains des précédents livres de l’auteure tels que Esprit d’Hiver mais surtout En un monde parfait qui a été pour l’instant l’un de mes rares coups de cœur de l’année 2021. Je crois que Les revenants est l’une des œuvres les plus longues de Laura Kasischke (400 et quelques pages) et je me demande si les histoires plus courtes ne lui réussiraient pas mieux, car il y a quelques longueurs dans ce roman-ci. D’autre part, je trouve que la fin, bien que très intéressante et offrant matière à réflexion (comme pour chacun de ses autres livres) est moins bien maîtrisée.
Cependant, cela ne m’empêche certainement pas de vous recommander chaudement cette auteure et de vous assurer que ses autres romans finiront d’ici peu sur ma PAL !
Les ombres des disparues
Critique de Alma (, Inscrite le 22 novembre 2006, - ans) - 3 juin 2014
Une immersion totale dans le microcosme de cette sororité d’un campus huppé aux rites d’intégration troublants, peuplé des ombres d’étudiantes disparues et cadenassé par une volonté de silence et d’honorabilité. Un bel équilibre entre l’étude sociale du campus, et l’atmosphère fantastique et troublante qui imbibe le récit grâce à l’évocation de moments de flottement où se glissent l’invisible et l’insolite. Où finit la réalité ? Où commencent les fantasmes ?
Dans ce roman éclaté, la mécanique narrative de l’auteure est sans faille. Elle entrelace habilement les différents fils narratifs de l’histoire, alternant, dans des séquences souvent courtes, présent et retour sur le passé, passant du regard d’un personnage à un autre, tricotant et détricotant les conclusions qu’en tire un lecteur sans cesse ballotté, déstabilisé dans ses certitudes, mais jamais perdu .
L’éventail de personnages est riche et le regard porté sur chacun plein d’acuité : étudiants entre eux et dans leurs rapports avec leurs familles, professeurs et membres de l’administration du campus, thanatopractor, employé de la morgue ….. Pas de héros . Chacun est montré dans son humanité, avec ses forces mais aussi ses faiblesses et ses zones d’ombres.
Un vrai shoot de lecture !
Mort et fureur de vivre !
Critique de Frunny (PARIS, Inscrit le 28 décembre 2009, 59 ans) - 16 septembre 2013
Un roman consistant (664 pages) qui a pour toile de fond un campus universitaire américain.
Entre Polar et roman sociologique, l'auteure dépeint avec maestria une certaine jeunesse étudiante pour qui le respect scrupuleux des codes est la condition de l'intégration.
Une micro-société aux règles hiérarchiques strictes. Des fonctionnements de groupe ou les rites d'admission/exclusion prédominent.
Le thème principal du roman est la Mort, appréhendée de façon récurrente, sous des formes diverses (Suicide, fantôme, ...). Un rapport à la Mort qui jalonne notre existence au point de prendre parfois plus de place que les vivants.
Un bon roman qui aurait gagné en concision. Style et qualité narrative indiscutables. Les personnages restent attachants et conservent leurs parts de mystère qui nous poussent à poursuivre la lecture.
Le dénouement reste néanmoins prévisible même si l'auteure se plait à y laisser une libre interprétation .
Une belle expérience de lecture.
Le mystère s'épaissit... en vain ?
Critique de Elle291 (, Inscrite le 26 septembre 2011, 33 ans) - 28 août 2012
Ayant pour décor un prestigieux campus universitaire du Midwest (qui fait craindre d'entrée un énième et fade "campus novel"), l'auteur réussit à nous tenir en haleine tout au long des 500 pages grâce une écriture enlevée et une narration finement agencée. Pas de risques donc de s'ennuyer et on suit avec empressement les va-et-vient entre passé et présent, élèves et professeurs, visions classiques et irrationnelles de l'au-delà...
Laura Kasischke esquisse devant nous la mort mystérieuse d'une jeune fille (type reine du bal, on ne peut pas innover partout !) lors d'un accident de voiture ; et sa grande force est la perpétuelle remise en question des faits, son talent pour épaissir le mystère à chaque fois que l'on croit se rapprocher du dénouement. On pense apercevoir des fantômes, on flirte avec le surnaturel et on se noie dans l'irrésolu...
Alors oui, on aime ce sentiment de flou et l'impression tenace que l'important nous échappe, mais si le mystère s'épaissit de façon magistrale, si les différentes pièces du puzzle finissent par s'imbriquer remarquablement... on s'attend à un dénouement plus puissant ! Une fin bâclée à dessein ? Peut-être mais l'histoire nous a trop bien habitué pour se défausser de la sorte.
Le mystère s'est épaissi en vain. Et la fin nous laisse indubitablement sur notre faim !
Captivant
Critique de Aliénor (, Inscrite le 14 avril 2005, 56 ans) - 23 mars 2012
A partir de ce point de départ, le lecteur ne cesse de s’interroger, lui aussi, sur le pourquoi de ce décalage. Et plus l’intrigue avance, plus Laura Kasischke se plaît à distribuer et redistribuer les cartes de diverses manières. Sommes-nous dans une histoire de campus hanté par des jeunes filles disparues ? Dans une intrigue policière dont le noeud serait un vaste complot ?
Lorsque l’histoire commence, plusieurs mois se sont écoulés depuis l’accident. Craig, le jeune homme qui conduisait la voiture dans laquelle Nicole a perdu la vie, revient sur le campus mais se fait discret car les « soeurs » de Nicole ont juré sa perte. Ses soeurs, ce sont les étudiantes qui appartiennent à la même sororité qu’elle, et qui se livrent à toutes sortes de rituels dont Craig se moquait. Et là est un autre volet du livre, la critique de ces confréries très prisées, dont les pratiques comprennent des bizutages stupides voire dangereux.
Le seul ami de Craig est Perry, son compagnon de chambre, qui se trouve être un ami d’enfance de Nicole. Perry souhaite venir en aide à Craig, qui a tout oublié de cette nuit tragique. Tout ce qu’il en sait, c’est ce que l’on en dit, à savoir qu’il est entièrement responsable et est donc l’assassin de cette brillante jeune fille devenue une véritable icône.
En alternant les chapitres dans lesquels l’action prend place aujourd’hui, et ceux qui plongent le lecteur dans les faits prenant place un an plus tôt, l’auteure brosse un portrait pour mieux le défaire ensuite. Portrait des personnages, portrait de la société américaine…dès que le lecteur croit avoir compris où elle veut en venir, c’est pour mieux se demander ensuite s’il n’est pas sur une fausse piste. Il est dès lors impossible de lâcher ces 600 pages, dans lesquelles se mêlent remarquablement toutes les pistes à la fois, dont on s’aperçoit finalement que toutes sont justes. Et lorsque l’on referme ce livre, on est hanté par ce récit et tous ses protagonistes, qui sont nombreux mais finalement tous d’égale importance car ils ont tous un rôle à jouer. « Les revenants » est un roman étrange, poétique et captivant, qui pourrait emprunter plusieurs voies mais suit son propre chemin sans s’égarer ou nous égarer. C’est du grand art.
bien mais pas que
Critique de Ronanvousaime (, Inscrit le 13 mai 2007, 49 ans) - 3 mars 2012
L'histoire est franchement prenante, l'écriture est agréable, la multiplication des points de vue (présent ou passé, ou selon chacun des personnages clés) rend le texte très vivant (sans jeu de mot).
L'histoire avance, rebondit, on est pris dedans dès le début et on y repense quand on repose le bouquin, à regret.
Ça m'a fait penser "La métaphysique des catastrophes" (de Marisha Pessl), en moins bien, ambiance mystère et université américaine.
Un bémol par rapport à la résolution de l'intrigue, dont je ne dirai rien pour ne pas scier la branche de l'intérêt sur laquelle vous avez posé l'oiseau de votre curiosité.
A lire, quand même.
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