Vision d'enfer

"les mots ne peuvent pas tout dire". Et en effet, dans le monde (ou plutôt le sous-monde et la sous-vie) que l'auteur décrit, les formes traditionnelles de la littérature, les outils classiques du romancier ne sont pas appropriés et adéquats pour rendre compte de l'inhumanité ambiante et écrasante qui enveloppe le héros sans nom (il se nomme lui-même legarçon), sans passé (quelques bribes sont données) et sans avenir de cet étrange objet littéraire, qui emprunte à tous les genres romanesques (réalisme, naturalisme, thriller, horreur, fantastique, science-fiction) et à tous les genres littéraires (roman, poésie, nouvelles intégrées de façon imperceptible dans l'ensemble) pour exprimer avec force une certaine vision de l'enfer.
La première partie du roman peut se lire à un niveau réaliste, même si l'univers dépeint est glauque, marginal , limite et à l'extrême de l'inhumanité. On a en quelque sorte une histoire de Cosette des temps modernes, de fin de siècle mais version hard et trash.
La deuxième partie du roman devient plus ouvertement irréelle, grotesque et burlesque, tout en étant encore bien plus grave et angoissante. Les repères d'un récit plausible et cohérent sont volontairement rendus flous.Le roman prend une autre dimension : il est en fait une vision personnelle de l'enfer, il s'agit d'un cauchemar fictionnalisé.
Ce roman ne raconte pas vraiment une histoire même s'il se lit avec la même envie d'en savoir la suite et la fin. Ce roman est un cauchemar mis en forme sur un support papier et c'est la raison pour laquelle Morgiève invente un nouveau langage, une nouvelle syntaxe (les phrases sont souvent inachevées et même si elles se terminent par des points (seule ponctuation) elles ne commencent jamais par des majuscules. Seul ce dérèglement formel peut rendre compte avec une telle force de conviction le dérèglement de cette vision cauchemardesque , ou plutôt de ce cauchemar nourri par le dérèglement de notre monde à nous cette fois-ci, nous-lecteur de cette fin de siècle-. Comme tous les cauchemars, ce livre nous confronte à nos questions existentielles sur nos origines et sur notre destination en tant qu'homme par le biais d'images fortes et symboliques, à la fois angoissantes et profondément humaines et sa lecture agit en nous comme le réveil après un cauchemar, réveil libérateur. Passionnant !

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  Legarçon [Texte imprimé], roman Richard Morgiève

  de Morgiève, Richard
  le Serpent à plumes / Motifs (Paris).
  ISBN : 9782842612788 ; 2,98 € ; 01/07/2001 ; 231 p. ; Poche

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