"Sa lettre avait plu. Il écrirait. Il écrivit."

Dernier roman écrit par Maupassant avant qu’il ne sombre dans la folie et ne décède trois ans plus tard en 1893, « Notre cœur », plutôt méconnu, est pourtant d’une grande richesse et plutôt novateur.
En effet, si les femmes sont bien souvent malmenées par les hommes et condamnées à souffrir par leur faute dans les diverses œuvres de l’auteur, c’est ici le cœur d’un homme qui se voit réduit en miettes et torturé par une femme.

Madame de Burne, jeune veuve qui s’est affranchie des préjugés moraux au moment où elle a été enfin libérée du joug d’un mari despotique- finalement assez heureusement décédé-, reçoit dans son salon chaque jour de nombreux hommes, pour la plupart des artistes, qu’elle s’emploie à séduire un à un.
Narcissique et manipulatrice, sans doute revancharde, elle n’aspire qu’à être aimée et admirée, et fait de cette activité sa raison de vivre, qu’elle vit comme un jeu.
« Cela l’amusait tant de les sentir peu à peu conquis, dominés par sa puissance invincible de femme, de devenir pour eux l’Unique, l’Idole capricieuse et souveraine ! »
Elle gouverne, mène le bal, fait tourner les têtes, expulse ceux dont les ferveurs deviennent trop pressantes, les reprend après les avoir réprimandés, pour mieux les reconquérir et recueillir à nouveau cet « agenouillement moral » qui la comble entièrement.
Elle-même n’a rien à donner, elle n’aime aucun de ses soupirants, parce qu’« aucun d’eux encore ne lui avait paru doté de la nature et des qualités qu’il fallait pour la tenir longtemps en éveil et lancer son cœur dans un amour. »

Par un ami commun, elle fait introduire chez elle André Mariolle qui, à priori, n’a rien d’une proie facile pour une séductrice. Complètement détaché de tout, vivant en dilettante (« Sa réserve semblait dire je ne suis rien parce que je n’ai rien voulu être. »), il a de plus une idée très arrêtée sur les femmes :
« Il considérait les femmes comme un objet d’utilité pour ceux qui veulent une maison bien tenue et des enfants, comme un objet d’agrément relatif pour ceux qui cherchent un passe-temps d’amour. »
Il va tomber pourtant bien malgré lui dans les filets de Michèle de Burne, mais saura lui résister suffisamment pour qu’elle succombe elle aussi avant de se lasser de cette relation passionnée à laquelle Mariolle aspire.
S’ensuivent plusieurs étapes dans cette histoire compliquée qui pose une question très avant-gardiste pour l’époque: une seule personne en amour peut-elle suffire à en combler totalement une autre ?

Mariolle, lui, ne cesse de dépérir en se suffisant du peu que Madame de Burne consent à lui donner…

« Etait-il vrai qu’il eût existé, qu’il existait encore des femmes passionnées, que l’émotion secoue, qui souffrent, pleurent, se donnent avec transport, enlacent, étreignent et gémissent, qui aiment avec leur chair autant qu’avec leur âme, avec la bouche qui parle et les yeux qui regardent, avec le cœur qui palpite et la main qui caresse, des femmes qui bravent tout parce qu’elles aiment, et vont, le jour ou la nuit, surveillées et menacées, intrépides et palpitantes, vers celui qui les prend en ses bras, folles de bonheur et défaillantes.
Oh ! l’horrible amour celui auquel il est maintenant enchaîné ; amour sans issue, sans fin, sans joie et sans triomphe, qui énerve, exaspère et ronge de souci ; amour sans douceur et sans ivresses, faisant seulement pressentir et regretter, souffrir et pleurer, et ne révélant l’extase des caresses partagées que par l’intolérable regret des baisers impossibles à éveiller sur des lèvres froides, stériles et sèches comme des arbres morts. »

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  Notre coeur [Texte imprimé] Guy de Maupassant introd., commentaires et notes de Francis Marcoin

  de Maupassant, Guy de Marcoin, Francis (Editeur scientifique)
  le Livre de poche / Le Livre de poche
  ISBN : 9782253062554 ; 4,90 € ; 01/01/1993 ; 285 p. ; Poche

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