Les pieds nickelés évangéliques

Ruby Drew, noire à la langue bien pendue, raconte l’histoire de sa sœur la trop belle Savannah « même lit, même sang » mais pas même père. Autant l’une est petite, trop forte et sans attrait, autant l’autre est une femme « serpent où Dieu a tout mélangé, le Bien et le Mal, l’or et la crasse ». Si ses « larmes scintillent comme des diamants », son corps est « diabolique, lubrique, et magnifique ». Et elle a une voix à la « pureté angélique » qu’elle gaspille dans les beuglants du Missouri.

Ruby Drew, fervente prosélyte d’une église évangélique s’inquiète du salut de sa sœur « qui est toujours restée une étrangère parmi nous ». Avec le double objectif de la sauver et d’attirer de nouveaux adeptes, elle la convainc de mettre son savoir-faire et sa grâce au service de « l’Eglise de la Ferveur » dont elle admire le prédicateur. Celui-ci, dit Prince de Lumière, considère que la grande malédiction est le désir qu’il faut brider pour retrouver la pureté. Et ça marche. Enfin d’une certaine façon car l’explosive Savannah suscite plus le désir que la pureté auprès d’individus de plus en plus nombreux mais plus entreprenants que fervents.

William Goyen nous entraîne alors dans une aventure où Savannah disparaît avant d’être retrouvée, exploitée par un maquereau, où Ruby est prise de frénésie en se parant des plumes de scène de sa sœur, où on découvre qu’avant d’être Prince de Lumière celui-ci était Fils de Démon, où un enfant de 7 ans est à la fois prédicateur et guérisseur. « Véritable aimant ambulant », Savannah revient à l’Eglise, est intronisée évêque, monte à Brooklyn « La Sainte Eglise de la Lumière du Monde » où en liant son « aristocratie naturelle » à des « moyens audacieux et inédits » elle augmente considérablement le nombre de fidèles et mène une vie de star. Tout ceci finira en « banqueroute du portefeuille et de l’âme ». A vous de lire comment.

C’est raconté avec beaucoup de jubilation, de drôlerie, d’entrain. On sent que le romancier a pris plaisir à nous conter cette histoire farfelue. Mais il ne faut pas s’y tromper : Goyen a dit que la description des églises évangéliques n’était qu’un prétexte. Ce qui l’intéresse c’est comme toujours chez lui l’affrontement des « puissances des Ténèbres avec les puissances de Lumière » et, pour reprendre ce qu’écrit dans sa préface Yves Berger, « des apprêts baroques, loufoques et un train d’enfer cachent tant de gravité, de nostalgie et de détresse ».

Un bon roman très divertissant qui va plus loin qu’il n’y paraît.

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  Savannah [Texte imprimé] William Goyen trad. de l'américain par Henri Morisset préf. d'Yves Berger

  de Goyen, William Berger, Yves (Préfacier) Morisset, Henri (Traducteur)
  B. Grasset / Les Cahiers rouges (Paris. 1983)
  ISBN : 9782246128328 ; 7,90 € ; 30/06/1991 ; 185 p. ; Poche

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