L'Accusé de Emmanuel Robin

L'Accusé de Emmanuel Robin

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Stavroguine, le 12 juillet 2011 (Paris, Inscrit le 4 avril 2008, 41 ans)
La note : 7 étoiles
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Pré-existentialisme

Récompensé à l’unanimité par le jury du tout premier prix du premier roman – qui comptait notamment dans ses rangs Mauriac, Bernanos, Giraudoux, Maurois et Green, excusez du peu ! – pour son Accusé (alors Accusé, lève-toi), Emmanuel Robin aurait pu sembler promis à une belle carrière littéraire s’il n’avait estimé avoir déjà tout dit dans ce premier roman, et préféré s’en retourner à l’enseignement. Après un second roman écrit sous la pression de son éditeur et bâclé de l’aveu même de son auteur, il s’éteindra en 1981, dans l’indifférence générale et avant même que son Accusé, entre temps remanié, ait été republié.

Que renferme donc ce premier roman couvert de si glorieux lauriers ? Un texte qui fut certainement très novateur en son temps (encore que…) et qualifié par son éditeur de premier roman existentialiste, une décennie avant Sartre et Camus. Il y est question de l’adolescence du narrateur, fils d’un professeur de province, et élève médiocre et moqué par ses congénères. A la suite d’un acte stupide, d’une humiliation qui le mettra définitivement en froid avec son père et d’un drame familial, il décide de prendre le large aux côtés d’un étudiant plus âgé et atterrit dans un sordide village de province d’après-guerre dans lequel il entend bien gagner sa croûte et mener sa vie. Evidemment, rien ne se passera comme prévu et le récit commence alors que le narrateur, devenu accusé à la suite d’une série d’autres actes stupides, revient sur ces derniers mois de sa vie en attendant du juge qu’il trouve une explication rationnelle à sa conduite. Bien entendu, on ne lui en fournira pas : c’est que l’absurdité de la conduite du narrateur n’a d’explication que dans l’absurdité de la vie elle-même, la sienne propre, mais aussi de manière plus générale, et bien sûr, le propre d’un système judiciaire est de nier cette absurdité.

On peut bien imaginer ce qu’un tel roman avait de novateur et à quel point il était en phase avec une époque où l’on se remettait encore difficilement du traumatisme de la première guerre mondiale alors qu’on allait plonger dans la crise économique qui précipiterait l’Europe, puis le monde, dans la seconde. La rupture avec l’approche traditionnelle qui veut que l’enfance soit une période idyllique, la dénonciation crue de l’absurdité de la vie dans une France arriérée et traumatisée… tout cela avait bien quelque chose de séduisant, même si déjà plus tout à fait précurseur (après tout, le sujet, même à l’époque, n’est pas entièrement neuf). Le problème, c’est qu’en 2011, l’adolescent est devenu un personnage récurrent de la littérature et parler de l’absurdité de son comportement et de la vie n’a plus rien d’original. Cela n’enlève bien sûr aucun mérite à l’œuvre de Robin en tant que telle, mais force est de constater que depuis (et peut-être même avant), d’autres auteurs ont abordé ces thèmes, souvent, et parfois mieux. Tout n’est certes pas à jeter dans ce livre et la réflexion succinctement amorcée sur le rôle de la justice (expliquer les actes dans un contexte social ou seulement les condamner pour préserver la face d’un système) pourrait notamment donner lieu à des développements intéressants. Toujours est-il que, d’une manière générale, le lecteur du vingt-et-unième siècle a peu de chance d’être aussi séduit par L’Accusé que le furent en leur temps Mauriac et consorts – l’éditeur doit sans doute bien le sentir qui essaye dans sa préface de faire des parallèles bancales avec Kafka et le fait que, comme lui, Robin aurait été en avance sur son temps alors qu’il semble qu’on n’ait jamais été autant en phase avec lui : d’ailleurs, le roman n’a-t-il pas été récompensé à sa sortie pour ne tomber que plus tard dans l’oubli ? So much for l’absurdité, finalement tout s’explique !

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Les éditions

  • L'accusé [Texte imprimé], roman Emmanuel Robin
    de Robin, Emmanuel
    Phébus / Libretto (Paris. 1998)
    ISBN : 9782859409319 ; 7,77 € ; 12/09/2003 ; 224 p. Poche
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