Allemagne, conte cruel de Viktor Paskov

Allemagne, conte cruel de Viktor Paskov
(Germaniâ, mr "ona prikazka)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Dirlandaise, le 17 juin 2011 (Québec, Inscrite le 28 août 2004, 68 ans)
La note : 8 étoiles
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La honte pour seul bagage

L’auteur de « Georg Henig » nous présente ici une autobiographie du temps de sa jeunesse alors qu’à l’âge de dix-sept ans, il décide de partir retrouver son père musicien en RDA dans l’espoir d’y faire des études supérieures et ainsi accéder à son rêve le plus cher : devenir écrivain. Arrivé sur place, l’espoir fait vite place à la désillusion lorsque le jeune homme découvre les conditions de vie des musiciens de l’opéra de la ville de Freiberg. Il retrouve son père devenu un homme servile et peureux, rampant devant le pouvoir. L’adaptation de Pasko ne va pas sans heurts. Il est engagé comme machiniste à l’opéra et doit affronter la dure vie des employés subalternes aigris et souvent recrutés chez les anciens prisonniers en voie de réhabilitation.

Le style de Victor Paskov s’est légèrement adouci. Il ne plonge plus aussi souvent dans les descriptions sordides avec force détails répugnants comme dans son premier livre. J’ai apprécié cette retenue bien que l’univers dans lequel évolue le narrateur soit glauque et empreint d’une mélancolique désespérance. Par contre, j’aimerais bien que l’auteur développe un peu plus son côté poétique car quelques passages sont très beaux et sa poésie est d’une réjouissante originalité. Il se contente souvent de nous narrer les événements et les faits sans pousser plus loin, sans philosopher outre mesure ce que je trouve dommage car le contexte s’y prête bien. Les seuls instants de réflexion un tant soit peu profonde se passent lorsque Pasko, souvent ivre, se promène dans le parc de la ville et se retrouve toujours devant la même statue érigée en l’honneur d’un quelconque chef d’État. Le contexte politique et sociale est intéressant et surtout crucial en ce qu’il influence les comportements des uns et des autres. Le tout est assaisonné d’une touche d’humour qui m’a fait sourire à plusieurs reprises comme par exemple, lorsqu’il décrit les machinistes en train de suivre consciencieusement le déroulement de l’opéra et de relever toutes les erreurs dans le texte et les fausses notes des musiciens. Ils connaissent tous les opéras par chœur et se font les critiques de chaque représentation. C’est amusant comme tout je trouve. Plusieurs belles descriptions de lieux et de personnages rappelant vaguement l’univers de Balzac enrichissent le texte.

Une foule de personnages évolue dans cet univers fermé et le jeune Pasko sera en butte à plusieurs malversations de la part de ses camarades de travail. Les musiciens logent tous au même endroit, dans une sorte d’hôtel minable réservé pour eux. Pasko est contraint d’y loger lui aussi et il constate que l’endroit ressemble plus à un asile de fous qu’à autre chose. Le destin de Pasko est-il de retourner à Sofia avec la honte pour seul bagage ou bien existe-il une chance pour lui de se faire une vie plus belle et plus conforme à ses rêves ? Nous l’apprenons dans les toutes dernières pages.

« Une toile d’araignée pendait dans un coin. Je m’imaginai l’insecte qui l’avait tissée. Je sentis monter la nausée. Toc…toc…toc… frappa délicatement mon père. La porte s’ouvrit brusquement. Dans l’embrasure se dressa une montagne, avec de petits yeux enfoncés hargneusement dans une couche de graisse et des moustaches sous un nez en forme de point d’interrogation. Elle mâchait quelque chose. Ses mâchoires se mouvaient lentement à gauche et à droite. Son regard se détacha de mon père et vint glisser sur moi. L’espace d’un éclair, je soupçonnai que c’était elle, justement, qui avait tissé cette toile d’araignée. La gorge serrée, je parvins néanmoins à faire passer un « Guten Tag ». »

« Dans l’angle, une couchette défoncée somnolait. Une couverture défraîchie avait été jetée dessus. Une table et une chaise, comme dans le tableau désespéré de Van Gogh. Une armoire monstrueuse touchait le plafond bas. L’humidité y avait laissé des taches brunâtres. Le châssis rongé de la fenêtre larmoyait sans bruit. Ça sentait le moisi, le savon et les chiffons pourris. (…) Une cuvette gisait sous la chaise. Sur la table était collé un reste de savon durci. Je tentai de le décoller. Il se cassa. Je regardai le morceau de savon dans ma paume, fis mine de le jeter dans le coin de la chambre mais ma main arrêta le mouvement d’elle-même. Je le déposai doucement sur la table. Dans toute l’Europe, il n’y avait personne de plus désespéré que moi. »

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