Fragments d'un discours amoureux de Roland Barthes
Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Essais
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"Passé le premier aveu, "je-t-aime" ne veut plus rien dire."
Difficile de parler de cet essai avec efficacité, parce qu’il est franchement inclassable.
Comment « se dit » l’amour ? Comment s’exprime-t-il ? Peut-il, d’ailleurs, se dire et s’exprimer avec véracité ? En voilà néanmoins le thème.
A mi-chemin entre la philosophie et la psychologie (allusions fréquentes à Freud, Lacan, Platon et tant d’autres), il conserve un angle littéraire essentiel, puisque les références les plus récurrentes concernent Goethe à travers le personnage du jeune Werther (et toutes les souffrances qui l’accompagnent).
Un peu encyclopédique (numérotations, annotations, références, définitions etc.) sans l’être, ressemblant à un dictionnaire sans en être non plus véritablement un, cet essai est composé de chapitres classés par ordre alphabétique, qui se succèdent en une énumération de pensées et de réflexions personnelles d’un « je » impersonnel (je l’ai perçu en tant que « sujet » amoureux), qui émaille son texte de passages littéraires, d’expériences personnelles, de théories et d’observations culturelles diverses.
La seule certitude que l’on peut avoir, c’est qu’il ne s’agit en aucun cas d’une analyse de textes.
L’auteur s’en défend d’ailleurs dans l’introduction (intitulée « Comment est fait ce livre ?) où il présente son projet, à savoir la volonté de « mettre en scène une énonciation, non une analyse. C’est un portrait, si l’on veut, qui est proposé. »
Les textes littéraires ne viennent qu’étayer et corroborer les théories de l’auteur.
Abscons, amphigourique, étrange, cet essai est à compulser de temps à autres, mais peut-être pas à lire d’une seule traite, de par l’effort qu’il requiert pour saisir véritablement le sens qui s’en dégage et parvenir à se forger une opinion sur les thèmes balayés : la rencontre, l’incertitude des signes, la solitude, le souvenir, la déclaration, la dépendance affective (« Pensée constante de l’amoureux : l’autre me doit ce dont j’ai besoin »).
Le cœur du sujet, qui se trouve d’ailleurs au cœur du livre, et qui explique finalement tout son enjeu et la complexité des aléas du cœur, est sans doute le chapitre « Inexprimable amour » :
« Ecrire. Leurres, débats et impasses auxquels donne lieu le désir « d’exprimer » le sentiment amoureux dans une « création » (notamment d’écriture).
1. Deux mythes puissants nous ont fait croire que l’amour pouvait, devait se sublimer en création esthétique : le mythe socratique (aimer sert à « engendrer une multitude de beaux et magnifiques discours ») et le mythe romantique (je produirai une œuvre immortelle en écrivant ma passion).
Cependant, Werther, qui autrefois dessinait abondamment et bien, ne peut faire le portrait de Charlotte (…) « J’ai perdu…la force sacrée, vivifiante, avec quoi je créais autour de moi des mondes. »
Une vraie gageure, au bout du compte, d’écrire, de raconter, de décrire, d’exprimer, d’expliciter, de transposer le sentiment amoureux.
Mais par voie de conséquence, difficile d’écrire aussi sur cette difficulté de langage, par le biais du langage.
Les éditions
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Fragments d'un discours amoureux [Texte imprimé] Roland Barthes
de Barthes, Roland
Seuil / Tel quel
ISBN : 9782020046053 ; 23,30 € ; 01/04/1977 ; 280 p. ; Broché
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L'amour, un univers irrationnel
Critique de Veneziano (Paris, Inscrit le 4 mai 2005, 46 ans) - 30 août 2013
Le propos est brillant, il impressionne, en faisant prendre du recul à la lectrice et au lecteur sur des propos apparemment anodins, tant ils semblent communs, ou éculés.
Mais la méthode laisse circonspect. En choisissant de recourir à des chapitres thématiques classés par ordre aplanétique, l'analyse prend une forme décousue, qui fait passer du coq à l'âne, si le sens de la lecture est bien suivi.
Mais, globalement, malgré l'aspect déconcertant de la forme retenue, qui dessert marginalement mais un peu le fond, la démonstration est assez grandiose.
Un grand livre dans ma vie, un auteur qui a compté, qui compte...
Critique de Shelton (Chalon-sur-Saône, Inscrit le 15 février 2005, 68 ans) - 10 juin 2011
C’est vrai que ma première sensation en apprenant que l’on allait montrer fragments d’un discours amoureux avait été une grande surprise ! Barthes, l’intellectuel presque désincarné sur scène ! Surprise mais aussi bonheur, car cet auteur est un de ceux qui comptent pour moi. En effet, lorsque j’étais en prépa lettres, il était au programme et il m’a porté chance, de façon indiscutable…
Le fait de savoir qu’il a été, jusqu’à sa mort en 1980, professeur au collège de France pourrait impressionner, voir dissuader de lire cet ouvrage. Pourtant, s’il lui est arrivé d’écrire des articles ou des ouvrages complexes, ici, rien de tout cela. Dès qu’il parle d’amour, on a le sentiment qu’il quitte le conceptuel pour passer à l’expérimental. Ce qu’il écrit, il ne l’invente pas, il ne l’imagine pas, il l’a vécu ! Nous aussi, d’ailleurs ! On se reconnaît à chacune des pages ou presque… c’est nous qui attendons, qui nous faisons du souci, qui nous énervons, qui sommes tendres, puis nerveux, doux juste avant de sombrer dans la colère, qui écrivons dix fois notre déclaration avant de bafouiller quelques mots… Oui, Fragments d’un discours amoureux est notre histoire…
Alors bien sûr, certaines figures – sortes de chapitres dans le texte de Barthes – sont écrites de façon très littéraire – mais qui s’en plaindrait ? – et agrémenté de petits renvois dans la marge gauche : Barthes, en intellectuel universitaire respectueux du travail des autres depuis la nuit des temps, a voulu ainsi donner ses sources de façon légère et rapide mais sans s’approprier le bien d’autrui. Vous n’êtes pas obligés de vous focaliser sur ces références mais parfois c’est agréable de confirmer une impression. Car on a déjà entendu certains phrases, mais on ne connaît pas toujours l’auteur, le livre, le mythe dont elles sont tirées… c’est une façon de mesurer que l’amour a été un thème transversal à toute l’humanité de Homère à Saint Jean de la Croix, de Platon à Schiller, de Diderot à Bettelheim sans oublier Flaubert, Hugo, Gide…
Oui, nous sommes bien en présence d’un ouvrage d’une très grande qualité que l’on peut lire d’un seul tenant, en le fractionnant, à voix haute pour celui ou celle que l’on aime, en méditation, pour se remonter le moral… bref, un livre qui devrait être donné de façon symbolique lors de l’adolescence et que l’on devrait garder toute sa vie…
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