La Compagnie des Tripolitaines de Kamal Ben Hameda

La Compagnie des Tripolitaines de Kamal Ben Hameda

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Camarata, le 30 avril 2011 (Inscrite le 13 décembre 2009, 72 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (13 104ème position).
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femmes d'orient,libres dans leur folie

Ces femmes que la culture, la tradition, la religion tiennent séparées des hommes, entretiennent entre elles des relations étonnantes de tendresse, de complicité et parfois d’amour. Dépourvues de fausses pudeurs, critiques et acerbes sur le sexe masculin qui les considère comme des ennemis, elles se défoulent en inventant des récits fantastiques dont la violence est la réplique virtuelle de celle trop réelle exercée par les hommes.
Ce sont des femmes du peuple qui prennent plaisir à pratiquer entre elles, un langage parfois cru et trivial.

Hadachinou est un petit garçon dégourdi et rêveur, qui préfère la compagnie des femmes à celles des garçons de son age. Il traîne constamment près de sa mère et de ses amis, si bien qu’il devient le témoin de leurs bavardages, de leurs malheurs, de leurs joies et le confident de certaines d’entre elles.

Le petit garçon aime par-dessus tout, confier ses secrets et ses histoires imaginaires à Fella, belle juive, révoltée et amère, ange déçu comme elle se définie.
Vaguement inquiet, il ne sait s’il doit la croire quand elle lui conte une de ses vengeances contre les hommes, les mangeuses d’hommes existent-elles ?

« Un jour à la synagogue, un homme me dévorait des yeux . Je lui ai souri .Il m’a suivie….
Soudain je le tiens dans mes bras et le serre fortement contre moi…. Lorsqu’il est endormi, je le dévêts et le parfume d’herbes aromatiques. J’ai brûlé de l’encens en invoquant le dieu des ténèbres. Puis j’ai découpé sa verge que j’ai mangée, grillée assaisonnée au poivre noir et à la cannelle ; car le corps de l’homme à l’instar de celui du porc n’a pas de goût. »

Pour le petit garçon, ces femmes constituent une communauté chaleureuse, chatoyante, sensuelle, inquiétante parfois. Les trois religions monothéistes, musulmane, juive et chrétienne, étant représentées il peut se faire une idée sur les mérites comparés de ces croyances.

« Enfin circulait la parole, leur corps se retrouvait en paix. Je me demandais parfois comment des femmes aussi différentes pouvaient passer des heures durant à évoquer chacune son dieu, son peuple, ses pensées, libres dans leur folie, sans provoquer de réel conflit. »

Ecrit dans un style fluide, imagé, poétique subtilement drôle, ce petit livre est une friandise de la mémoire, empli d’émotions, de sensations, colorées et vivantes, qui donnent une vision intime et réaliste de la vie quotidienne à Tripoli dans le milieu du 20 siècle.

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« Sept filles dans une flûte… »

8 étoiles

Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans) - 3 février 2013

« Je dédie ce livre aux femmes et aux mères qui, une fois par semaine, pendant des années, manifestaient à Benghazi en Libye devant la direction générale de la Sécurité pour réclamer le corps de leurs époux, de leurs enfants disparus cette nuit du 24 au 25 juin 1969… » La dédicace est claire.

Cet hommage l’auteur le rend à travers le regard d’un adolescent, Hadachinou, qui vient de subir, par surprise, sa circoncision ; il entre ainsi dans le domaine des adultes mais il ne peut pas s’arracher aux robes des femmes qu’il continue de fréquenter, écoutant leurs paroles, leurs gloussements, épiant leurs gestes, leurs petits jeux sensuels, affectant l’innocence en jouant encore avec ses poupées. Il n’aime pas les hommes qui n’ont que le ventre et le sexe pour préoccupations.

Hadachinou visite les tantes, toutes les femmes adultes sont des tantes, la mère célibataire juive et sa grosse fille qui ne s’aime pas, la couturière italienne qui se pense mal aimée de tous, la tante qui séduit les hommes à Djerba, la tante noire qui joue avec le diable, … et joue avec ses amies, celle qui disparait brusquement sans pouvoir épouser celui qu’elle aimait, la fille noire qui fait le service à la maison. Mais il n’aime pas aller chez la tante que son mari prive de tout et chez celle que son mari bat comme plâtre. « Celui qui ne connait pas la haine ne connaîtra jamais l’amour. »

En écoutant, en observant, en épiant, Hadachinou s’initie à la vie d’adulte au contact des femmes qu’il découvre à leur insu, dans leur intimité, constatant ainsi le sort qui leur est réservé et la veulerie des hommes qui les accablent de tous les maux. Il apprécie la compagnie de ces femmes, toutes tripolitaines, et qui, bien que d’origines très différentes, vivent toujours en parfaite harmonie, sont souvent complices et parfois même plus dans l’intimité de la chambre du fonds. « Je me demandais parfois comment des femmes aussi différentes pouvaient passer des heures durant à évoquer chacune son dieu, son peuple, ses pensées, libres dans leur folie, sans provoquer de réels conflits. C’est que ces femmes n’avaient ni pouvoir à garder ni avoir à surveiller. »

Un hommage à ces femmes qui n’ont aucune liberté, pas d’argent, rarement du plaisir et reçoivent souvent des pluies de coups. Une complicité avec ses femmes qui cherchent des bouts de liberté, des morceaux du plaisir qui leur est refusé. Une quête identitaire au milieu des ces femmes libyennes, juives, italiennes, noires, berbères,… mais toutes tripolitaines et toutes maltraitées. Seules celles qui plongent leurs racines au plus profond de l’histoire africaine, berbères et noires, trouveront peut-être un jour un espace de liberté.

C’était avant la révolution, avant le dictateur sanguinaire, c’était au début des années soixante, mais la situation ne s’est pas améliorée… Le livre des mouches a peut-être raison : « Didon n’avait pas mesuré les conséquences de son acte : les hommes ivres et inconscients s’octroyèrent tous les pouvoirs, sourds à la parole des femmes, tout juste des ventres où se vider… »

« Sept filles dans une flûte. La goule tourne et tourne et en mange une… »

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