Ivresse de la métamorphose de Stefan Zweig
(Rausch der Verwandlung)
Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone
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Métamorphose de l'ivresse
Les années vingt en Autriche. Christine Hoflehner a vingt-huit ans. Simple employée des Postes dans un village, elle vit avec sa mère mourante. La guerre, qui a tué son père et son frère, les a réduites à la misère. Survient une sorte de miracle: une tante d'Amérique. La riche et généreuse Clara Van Boolen lui a envoyé un télégramme l'invitant à venir profiter du luxe d'un hôtel de Pontresina, dans les Alpes Suisses. Deux semaines de vacances en montagne ! Loin de la routine grise de son bureau, subjuguée par la majesté du lieu, par sa chambre somptueuse, par les fortunes énormes, l’aisance de cette société, elle est d’abord intimidée et maladroite mais sa tante la prend sous son aile. Christine est maquillée, rhabillée, recoiffée. Sa métamorphose a commencé. Elle semble plus jeune, plus belle, plus intelligente. Regardée comme une riche héritière, Mademoiselle Van Boolen, comme on l’appelle maintenant, a pris de l’assurance, se fait respecter et même… courtiser par un vieux Lord anglais ! Elle se croit au paradis. C’est l’ivresse. L’ivresse de s’abandonner à un monde de plaisirs où tout est facile, d’oublier son ancienne condition qu’elle renie. Oui, et si l’ancienne Christine n’avait été qu’une erreur du destin ? Voilà qu'un nouvel horizon s'ouvre enfin à elle : qui est-elle vraiment ? « Un désir a commencé à naître en elle, désir de se connaître et, après la découverte de ce monde nouveau, de se découvrir elle-même » …
Elle n’en aura pas le temps. Bien vite, trop vite, elle suscite la jalousie. On la surveille, on se renseigne sur elle et on apprend bientôt ses origines modestes. A son arrivée, dit-on, le personnel de l'hôtel l’avait prise pour une domestique, tellement elle était mal fagotée. La rumeur, cruelle, se répand. Cette haute société, ces snobs la désavouent, refusent désormais de la fréquenter. Elle les a amusés un temps mais la récré est finie. Dream is over… A présent, elle fait tache dans le paysage et dans leurs relations. On lui demande prestement de rentrer chez elle. Un matin, elle s'en va… par l’escalier de service ! La chute est terrible.
Lorsqu’elle est de retour à Kleinreifling, sa mère vient de mourir. Elle retrouve son guichet comme on retrouve une prison. Son quotidien lui est insupportable. Elle devient irascible avec tout le monde. Profitant de l’argent gagné au jeu, elle s’échappe à Vienne pour un week-end. Elle revoit sa sœur et son beau-frère. Celui-ci rencontre par hasard un vieil ami qu’il n’avait pas revu depuis des années, depuis la guerre en fait. Il se nomme Ferdinand. Il revient juste de Sibérie où il était prisonnier. Sa vie en lambeaux, l’homme a la haine. Christine le comprend immédiatement. Elle décèle en lui la même révolte qu'elle ressent contre l’injustice et la misère. Un même désir de revanche les unit puis l’amour. Toujours dans la pauvreté. La vie du couple devient de plus en plus dure à mesure que l’argent fond comme neige au soleil et bascule dans le désespoir. Le jour où Ferdinand perd son travail, ils décident tous les deux d’en finir : ils prendront le train et, installés dans un bon hôtel, se suicideront. Aux bureaux des Postes, la vue des liasses de billets que Christine est chargée de ranger dans le coffre décide Ferdinand à changer de plan. Pourquoi pas un vol ? Ce ne serait que le remboursement d’une dette que lui doit son pays. Christine accepte le projet. Le destin tranchera : " Chacun a sa propre loi intérieure, l'un est entrainé vers le haut, l'autre vers le bas, et celui qui doit monter montera, et celui qui doit tomber tombera."
C’est une œuvre posthume publiée pour la première fois en 1982. Le titre n'est pas de Zweig mais emprunté à une phrase du livre. La première partie a été écrite en 1930-1931, la seconde huit ans plus tard. D’où une notable différence de ton entre elles (plus amer, plus féroce et plus sombre dans la deuxième partie). Malgré cela, elles se répondent parfaitement comme dans des jeux de reflets : omniprésence de l’argent dans l’une, absence dans l’autre, rêve et espoir dans l’une, réalité sordide et désespoir dans l’autre, expression de la vie et beauté dans l’une, mort et laideur dans l’autre… L’ensemble est donc d’une grande cohérence.
Véritable chant du cygne, le roman est inachevé mais il peut être considéré comme abouti si on accepte la fin ouverte. Zweig, une fois de plus, nous envoûte par ses fines analyses psychologiques bien connues, par ses descriptions réalistes et sans concessions de l’injustice sociale, des ravages de la guerre, de l’égoïsme des nantis… Pessimiste face à la montée du nazisme, il montre que ce qui mène le monde c’est bien, hélas, l’argent et non l’amour (certaines pages sont parmi les plus dures qu'il ait pu écrire)… Un testament émouvant (on pense au propre suicide de Zweig et de sa compagne Lotte), en forme de cri de révolte communicatif, qui se lit avec un immense plaisir…
Les éditions
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Ivresse de la métamorphose [Texte imprimé] Stefan Zweig trad. de l'allemand par Robert Dumont
de Zweig, Stefan Dumont, Robert (Traducteur)
le Livre de poche / Le Livre de poche.
ISBN : 9782253064602 ; 6,90 € ; 06/04/1994 ; 316 p. ; Poche -
Ivresse de la métamorphose [Texte imprimé] Stefan Zweig trad. de l'allemand par Robert Dumont
de Zweig, Stefan Dumont, Robert (Autre)
Belfond
ISBN : 9782714417008 ; 1,42 € ; 01/01/1996 ; 240 p. ; Broché -
Ivresse de la métamorphose [Texte imprimé] Stefan Zweig traduit de l'allemand par Robert Dumont postface de Serge Niémetz
de Zweig, Stefan Niémetz, Serge (Postface) Dumont, Robert (Traducteur)
Éd. Gutenberg
ISBN : 9782352360216 ; 3,27 € ; 27/02/2008 ; 256 p. ; Broché
Les livres liés
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Les critiques éclairs (4)
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L'argent, la posture sociale et les circonstances
Critique de Veneziano (Paris, Inscrit le 4 mai 2005, 46 ans) - 25 avril 2014
Le hasard vient bousculer une vie, faite pour être monotone, à mourir d'ennui, pour cette petite exécutante de l'administration des postes. L'argent d'un héritage, les conséquences de la première guerre mondiale, la cohabitation avec la haute société, les changements géopolitiques et des retrouvailles inattendues viennent vivifier cette existence morne, qui n'aspire désormais qu'à l'élévation et des activités un tant soit peu trépidantes. C'est à ses risques et périls : elle connaît donc l'agitation souhaitée, mais également le danger.
Ce roman ne manque pas d'humour et d'ironie, sur l'administration, sur les clichés sociaux, la vie familiale, le vieillissement, la guerre, notamment. Le rythme est soutenu, et même haletant, bien qu'on puisse craindre l'inverse, au tout début, malgré le burlesque des descriptions.
Il est donc réussi et se lit très bien. J'en ressors après avoir passé un bon moment.
Le chaos
Critique de Nathafi (SAINT-SOUPLET, Inscrite le 20 avril 2011, 57 ans) - 19 mars 2014
La chute sera terrible, quand, démasquée et réduite à rentrer chez elle, dans son village sombre et triste, afin de reprendre son emploi d'employée des postes, la fleur dépérit. Le frénétique besoin de vivre encore cette existence facile, de toucher encore du bout des doigts cette part de rêve qui lui seyait si bien, la conduit pourtant à Vienne où une autre aventure pourrait commencer, si... Si seulement il n'y avait pas cette cruelle réalité des choses, sa modeste condition et le manque d'argent, cet argent qui semble tout régir, sans lequel on semble n'être rien...
Stefan Zweig offre à Christine tous les sentiments et ressentiments possibles, la menant dans un chaos impressionnant, des hauts, des bas qui l'éprouvent durement et la rendent totalement désabusée.
Réactualisation du mythe de Cendrillon
Critique de Alma (, Inscrite le 22 novembre 2006, - ans) - 26 décembre 2012
Grandeur et décadence ! Plus dure est la chute pour celle qui revenant dans le monde d’en bas a connu le monde d’en haut ! Elle sombre alors dans la misère, la solitude, dans une amertume qui se conjuguera ensuite avec la rancœur de son compagnon de misère Ferdinand. Après l’ascension fulgurante, la lente descente aux enfers.
Somme toute, des situations bien romanesques qui n’ont rien à envier à celles des romans de gare , me direz-vous ……. Pourtant, ce qui n’aurait été ailleurs qu’une intrigue conventionnelle devient sous la plume de Zweig la trame d’un magnifique roman .
Une écriture souple et fluide qui épouse les méandres de l’analyse psychologique sublime le contenu de l’ouvrage, une écriture qui donne toute sa mesure lorsque Zweig évoque des sensations paroxysmiques, d’exaltation, au contraire, de profonde dépression. Une action dont l’intérêt ne faiblit jamais, que Zweig fait dépendre du contexte politique et social des années 1914 - 1926 et qu’il situe en des lieux dont l’atmosphère imprime fortement l’esprit des personnages. La longue description –balzacienne- qui ouvre le roman, puis celle du grand hôtel où Christina rayonne, épanouie, et, comme en écho inversé, celle de l’hôtel borgne et sordide où Ferdinand et Christine vivent leur première et triste relation amoureuse en sont des exemples. Tout en évitant le manichéisme, Zweig se fait observateur de la comédie humaine, jetant un regard décapant sur les conventions, les préjugés des membres de la haute société qui hante les salons du grand hôtel .
Un roman riche, flamboyant dont la fin ouverte et troublante incite le lecteur à envisager lui-même l’issue du drame.
Une prise de conscience douloureuse
Critique de Isis (Chaville, Inscrite le 7 novembre 2010, 79 ans) - 21 septembre 2012
Ce premier roman, et pourtant inachevé, de Stefan Zweig qu’il avait tout d’abord intitulé «la demoiselle des Postes» et dont il a remanié à plusieurs reprises la première partie, a été largement retravaillé par son éditeur Knut Beck, pour la suite ; comme il est rappelé ici, il préfigure aussi le double suicide de l’auteur et de Lotte, sa seconde épouse.
Du point de vue psychologique, cette métamorphose qui se présente d’abord comme un véritable conte de fées tourne vite au cauchemar, lorsque les illusions se sont envolées. Elle démontre à quel point, dans la vie, la misère ne serait vraiment supportable que si l’on n’a jamais rien connu d’autre. Ainsi, Clara, la riche et généreuse tante de Christine, n’a-t-elle fait, en décillant ses yeux, qu’éveiller chez sa nièce, simple petite «auxiliaire des Postes», amertume et rancœur. Une prise de conscience douloureuse qui fait dire à notre héroïne en revenant dans sa très modeste famille :«Que savent-ils du monde ? Qu’en devinent-ils ? Mais peut-être vaut-il mieux ne pas se rendre compte de son degré de pauvreté, ne pas se douter combien il est écoeurant, répugnant, pitoyable»
Cette lucidité consciente est aussi un privilège des humains que Stefan Zweig souligne dans cette phrase terrible, autant que prophétique «l’unique supériorité de l’homme sur l’animal est de pouvoir mourir quand il le veut et pas seulement quand la nature l’y force»…
Ferdinand et Christine sont donc à la croisée des chemins, avec la possibilité à tout instant d’opter pour «l’autre» solution. Une liberté que notre héros résume en déclarant à sa compagne «Si nous tentons l’aventure, je ne me représente pas une fin idyllique avec cheveux blancs et foyer douillet à la campagne, je pense seulement à quelques semaines, à quelques mois, à quelques années de gagnés sur la balle de revolver qui nous attendait»
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