S'autodétruire et les enfants de Nicolas Bouyssi

S'autodétruire et les enfants de Nicolas Bouyssi

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Camarata, le 22 mars 2011 (Inscrite le 13 décembre 2009, 72 ans)
La note : 10 étoiles
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le regard d’un enfant sur sa famille

Un livre étonnant, particulièrement réussi, ou l’on est happé par un flot narratif trouble, dense et puissant, impossible de résister au courant qui vous mène vers de rives qu’on soupçonne dangereuses. Le narrateur est le fils d’un petit couple ordinaire, il raconte la période avant sa naissance, de la vie de ses deux parents et de sa sœur.

Il évoque leur rencontre pleine de simplicité et d’évidence, le jour où le père vient livrer des meubles :
« Mon père se résout à s’en aller. Il lui apprend sur le pas de la porte qu’il change souvent de métier. Il laisse sur un coup de tête son numéro de téléphone .Elle le conserve, hésite un jour. Elle le rappelle au bout d’une trentaine d’heures. Ils se revoient trois ou quatre fois. Ils vont au cinéma, au restaurant. Ils réalisent qu’ils ont des goûts communs. Ils sont ravis que les sous entendus qu’ils glissent dans leur propos n’aient pas besoin d’être développés. Ils rient souvent, se sentent complices.
Un soir, ils couchent ensemble alors que mon père vient de sonner et juste d’entrer dans son studio. Tout est dans l’ordre des choses .Tout semble aller de soi. Ils n’ont pas de gêne, ils ne se posent aucune question. »

L’enfant décrit de l’intérieur et de l’extérieur le parcours auto destructeur d’un père immature et fragile, qui alterne les petits boulots et refuse les responsabilités. Classé invalide suite à une dépression il laisse la mère prendre totalement en charge la petite famille et utilise son énergie à boire et à se conformer à son état d’invalide.
La mère, aimante et dynamique, veut croire en leur histoire qui semblait si prometteuse au début, en sa capacité de joie et de bonheur. Elle s’emploie par des mensonges d’accommodation et des omissions obligées à rendre la vie commune possible.

Elle trouve un nouvel emploi et un nouveau logement dans un complexe architectural hyper moderne les Casemates, promettant un peu à l’instar des cités le Corbusier, sinon le bonheur en tous cas la résolution en un même lieu, de plusieurs problèmes, le logement, les trajets, la garde des enfants, le travail.
Un élément particulièrement troublant de ce méga centre est que les étages pairs et impairs ne communiquent pas entre eux. La famille vit et travaille dans les étages impairs et n’a jamais rencontré ni eu connaissance des habitants des étages pairs, le père fait des recherches sans succès sur Internet, ce qui le plonge dans des fantasmagories futuristes et inquiétantes.
Le fait que les événements et les sentiments soient racontés par le fils non né à l’époque du récit devrait provoquer une certaine incrédulité. Au contraire, on entre totalement dans l’histoire par un phénomène que j’ai du mal à analyser.
Le style narratif est classique et sobre, le vocabulaire clair, précis. Les phrases très courtes se succèdent, induisant un sentiment d’enchaînement chronologique quasi inéluctable, elles sonnent comme des affirmations incontestables qui placent l’enfant en position de juge et d’analyste du roman familial.
On le croit, on croit cet enfant qui raconte avec assurance une période où il n’était pas né. C’est tout le mystère de ce livre qui parle du hasard de la rencontre qui lie deux personnes totalement différentes, pour finalement créer cette entité artificielle et aléatoire qu’est la famille mais qu’on veut à toute force éternelle.
Le père a sans doute une faille crée dans l’enfance, qui rend difficile ou impossible l’adaptation aux diverses fonctions que la vie lui propose, la mère aussi, à mon avis, qui ne peut pas renoncer à l’idéal familial malgré le démenti cinglant du réel, et les enfants….,

Un livre extrêmement fort car sans aucun artifice,avec des mots ajustés au plus près, on ressent la fragilités des identités face aux rôles imposés par la vie, travailleur, invalide , père, mère, enfant …
C’est une tentative réussie pour fixer, établir, la vision d’un enfant sur sa famille. Vision douloureuse souvent très floue et mouvante, car sujette à de nombreux tabous sociaux affectifs. En constante recréation suivant l’état du trajet personnel. Fondamentale, car elle permet ou pas de se construire mentalement et de s’affirmer.

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Les éditions

  • S'autodétruire et les enfants [Texte imprimé], roman Nicolas Bouyssi
    de Bouyssi, Nicolas
    P.O.L.
    ISBN : 9782818013229 ; 9,39 € ; 10/02/2011 ; 265 p. ; Broché
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