« …. Abandonné de Dieu »

Plus de dix ans que Zvi Kolitz croupissait sur la liste des auteurs que j’aimerais découvrir et, voilà, que j’ai enfin mis la main sur ce petit bouquin qui est une réelle trouvaille. Il se compose de trois textes : le testament qu’il prête à son héros, l’histoire de l’auteur et les pérégrinations du manuscrit de ce texte et l’allocution qu’Emmanuel Levinas a prononcé sur une radio en 1955 à propos de ce document.

Yossel Rakover est l’un des derniers Juifs qui résistent encore dans le ghetto de Varsovie et il décide de rédiger son testament avant de mourir comme un bon Juif en silence et en exerçant un dernier acte de vengeance à l’intention des ennemis de son peuple. Il prendra alors un réel plaisir à voir l’ennemi souffrir avant de mourir car la vengeance est inscrite dans les textes ; mais, avant, il doit rédiger son testament qu’il glissera dans une bouteille pour qu’il résiste au feu qui ravage le ghetto. Il raconte comment il est arrivé ici, comment sa femme et ses enfants sont morts en rejoignant Varsovie où ici même.

Et, il s’en prend à Dieu, « Dieu a dérobé Sa face au monde, et a aussi livré les hommes à leurs féroces instincts. » Il l’interpelle et l’accuse d’avoir abandonné son peuple et lui demande des comptes sur cet abominable massacre : « Tu n’es tout de même pas, Tu ne peux pas être, le dieu de ceux dont les actes sont la preuve, la plus horrible qui soit, de leur impiété ! » Mais pour ne pas mettre en cause son appartenance à ce peuple élu, il renouvelle sa foi indéfectible en la Loi, la Thora, ce qui lui permet d’houspiller Dieu sans renier sa religion.

Ce petit texte deviendra rapidement un élément de l’enseignement religieux dans les écoles rabbiniques comme un modèle de la foi que tout bon Juif doit manifester jusque dans les circonstances les plus extrêmes. Et, bientôt, Yossel Rakover devient un personnage mythique qui aurait eu une vie bien réelle et qui aurait rédigé effectivement ce testament. La polémique est alors ouverte et même Kolitz n’arrive plus à prouver qu’il est bien l’auteur de ce document qui n’est qu’invention pure.

Paul Badde s’est lancé sur la piste de l’auteur et du document et nous livre un passage rocambolesque sur la vie de Zvi Kolitz depuis sa naissance en Lituanie, son activisme en Israël, sa guerre dans l’armée britannique, ses activités secrètes, son implication dans la création de l’Etat d’Israël… Il a aussi retrouvé le manuscrit d’origine qui est, peu après, parti en fumée, et certifié l’authenticité de l’œuvre de Zvi Kolitz avec le renfort d’Emmanuel Levinas qui ne pouvait pas imaginer que ce document ne soit pas une fiction.

Un petit livre passionnant sur la foi, la création d’un mythe, la croyance populaire mais aussi les tribulations d’un texte avec la polémique qu’il a suscité, et l’enquête incroyable qu’il a nécessité pour qu’il puisse revivre dans sa véracité. Une page d’histoire aussi car, selon l’auteur, l’agonie dans la douleur du peuple juif du ghetto de Varsovie appartient déjà aux douleurs de l’enfantement de l’Etat d’Israël.

Un si petit livre pour tant de questions et quelles questions ! Et, l’une d’elle, pas la plus agréable, pose clairement la question du racisme juif : « On naît juif comme on naît artiste, impossible de s’en libérer. C’est la marque divine imprimée en nous, qui fait de nous son peuple élu. » Il est clair que, pour Kolitz, les Juifs constituent le peuple élu, qu’ils meurent dans la dignité et qu’ils conservent la foi, même quand Dieu les abandonne, mais la foi en la Thora qui est supérieure à Dieu car comme le disait Levinas : « La confiance en un dieu qui ne se manifeste par aucune autorité terrestre ne peut reposer que sur l’évidence intérieure et la valeur d’un enseignement. » Mais, ce racisme résonne comme une réponse à l’antisémitisme qui a accompagné la montée d’Hitler vers le pouvoir « Il n’est pas vrai que Hitler ait quelque chose de bestial. Il est … un produit typique de l’humanité moderne. »

Aujourd’hui, pouvons échapper à ce questionnement qui obligatoirement conduit vers les excès que nous connaissons, hélas, trop bien.

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  Yossel Rakover s'adresse à Dieu [Texte imprimé] Zvi Kolitz trad. de l'allemand par Léa Marcou

  de Kolitz, Zvi Marcou, Léa (Traducteur)
  Calmann-Lévy / Petite bibliothèque européenne du XXe siècle.
  ISBN : 9782702129050 ; 15,50 € ; 09/09/1998 ; 115 p. ; Poche

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