Le grantécrivain & autres textes de Dominique Noguez
Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Critiques et histoire littéraire
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Ecrire dans une langue qui meurt
Dans une série de réflexions richement illustrées, Dominique Noguez cherche à définir ce qu'il appelle le «grantécrivain», spécialité bien française apparue plus particulièrement sous les IIIème et IVème Républiques, et dont Sartre et Gide constituent les parangons. Il développe aussi des idées plus générales sur l’écrivain et son rôle, à l’heure où certains expriment leur pessimisme concernant le «déclin» du français et de sa littérature.
Qu'est-ce qu'un «grantécrivain» ? Il doit, pour mériter ce titre, remplir cinq conditions :
D'abord, être un écrivain. Pas seulement un «auteur», un «écrivant» ou, pire, un «livreur» (quelqu’un qui signe des livres écrits par des nègres). Il aura au moins cinquante ans et se donnera aux lecteurs en répondant aux interviews et à son nombreux courrier. Ensuite, être plus qu’un écrivain. Un trans-écrivain, qui touche à tous les genres : roman, récit, essai, et «surtout» «toutes ces sortes d’écrits inclassables qu'on ne peut qu'appeler “textesÓ».
Et plus encore si possible… Comme dit un personnage d'Audiberti : «Pour qu’un écrivain domine son temps, il faut que sa doctrine influence les soutiens-gorge, les radiateurs, les aspirateurs.» Il devra être encore un «méta-écrivain». Loin de se dévorer lui-même en ruminant son ego, il sera tourné vers l’autre, altruiste et modeste : il lira beaucoup, sera un grand critique, traduira, fera découvrir les jeunes talents qu'il recevra à ses soirées, à ses mardis… Ce sera aussi un écrivain d'idées : un romancier, bien entendu, mais aussi un moraliste qui fera entendre une voix neuve, entre mesure et immoralisme. Il pourra s’ériger en «intellectuel total». Enfin, le «grantécrivain» sera présent au monde, il signera des pétitions, se battra sur tous les fronts. Et, bien sûr, il sera reconnu par le monde, les deux signes les plus éclatants de cette reconnaissance étant le Nobel de littérature et l’entrée dans la Bibliothèque de la Pléiade…
Cette définition du «grantécrivain» est suivie de huit chapitres plus courts (l’ensemble compte juste une centaine de pages) qui proposent de passionnants problèmes à l'écrivain en général (les «granzécrivains» sont rares) et, pourquoi pas, à son lecteur. Je vous laisse les découvrir, vous soumettant juste quelques thèmes :
«La littérature est le contraire du “journalismeî» ;
«Un livre est un muet qui s'adresse à un sourd» ;
«La littérature existe-t-elle encore ?» ;
«Ecrire dans une langue qui se meurt […] avec, même dans les moments d’euphorie et d’inspiration, cette basse continue de doute et de malheur» ;
«La littérature comme autoparodie provoquée» ;
les quatre devoirs de l'écrivain : durée, vérité, sérieux, jeu ;
«Secrètement ou en le divulguant par bribes, chaque écrivain porte un livre fondamental en lui, invisible, jamais vraiment écrit, dont tous les livres qu'il publie ne sont que les approximations ou
les rognures.»
Au terme de cette présentation, je voudrais remercier mon ami Paul Desalmand de m’avoir fait découvrir ce «grand petit livre», et rappeler comme le dit si bien Noguez qu’«écrire, c'est vouloir être changé en bébé de papier qu’on dorlote». Si, vous aussi, vous dorlotiez ce «grantécrivain» ?
Les éditions
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Le grantécrivain [Texte imprimé], et autres textes Dominique Noguez
de Noguez, Dominique
Gallimard / L'Infini (Paris. 1984).
ISBN : 9782070757800 ; 15,25 € ; 21/01/2000 ; 119 p. ; Broché
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Un cri d'alarme
Critique de Kinbote (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans) - 8 avril 2004
Court en filigrane de ce texte la question de savoir si Philippe Sollers, ami de Noguez et éditeur du présent ouvrage, est le grantécrivain français actuel.
Bien qu’il semble plutôt rassembler (sauf à ne pas être assez populaire malgré son hypermédiatisation d’une époque ; il n’a pas de tee-shirt à son effigie !) toutes les conditions énoncées, il semble que non, simplement parce que la langue française n’a plus la prééminence qu’elle eut de par le monde. Par contre la figure du grantécrivain est bien, pour Noguez, encore représentée à l’étranger par d’autres comme Ginsberg, Mailer, Soljenitsine, Havel, Kadaré, Neruda ou Paz.
Dans d’autres textes, Noguez réhabilite Gide, il nous parle des voix d’écrivains célèbres qui ont été recueillies en regrettant qu’on n’ait pu graver celle de Rimbaud.
Il indique ce chiffre éloquent sur le nombre de livres français traduits par les éditeurs américains en 1990 : 0,13 % de l’ensemble des livres publiés aux USA.
Ce livre est celui d’un amoureux de sa langue craignant que celle-ci ne perde de son prestige mais qui sait qu’il ne lui reste comme seule issue que d’"écrire dans cette langue qui meurt" pour tenter de la faire briller de son plus bel éclat. De ses derniers feux?
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