Etat de veille de Davide Reviati

Etat de veille de Davide Reviati

Catégorie(s) : Bande dessinée => Divers

Critiqué par Shelton, le 6 février 2011 (Chalon-sur-Saône, Inscrit le 15 février 2005, 68 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 5 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (27 216ème position).
Visites : 3 733 

A lire absolument !

Les éditions Casterman nous proposent-là un album qui a obtenu le prix du meilleur album au Festival de Naples en 2010. Il est signé de Davide Reviati, un Italien que nous ne connaissons pas encore en France et qui nous a fait le plaisir de venir à Angoulême pour la sortie de son livre en langue française. C’est un roman graphique comme on commence à en voir depuis quelques années dans la production bédé, mais il reste encore inclassable tant il ne ressemble en rien aux bandes dessinées qui nous ont bercés durant l’adolescence. Davide nous raconte sa jeunesse avec quelques mots et des dessins, il nous enchante et, pourtant, ce n’était pas le paradis terrestre, là-bas, dans cette petite ville située à côté d’une usine, avec quelques petits espace de pelouse pour jouer au football. La banlieue a des couleurs grises partout dans le monde, même au sud de l’Italie…

Il y a d’abord le foot ! En fait, c’est le foot mais cela aurait pu être une autre activité car sa force ce n’est pas le football avec ses règles, mais plutôt le fait de jouer ensemble, de se retrouver ensemble, de se faire des amis, de s’affronter en respectant des règles que les adultes semblent avoir oublié : fidélité, courage, opiniâtreté, efficacité…

Mais ces rencontres se déroulent au milieu de cette zone polluée par l’activité humaine. Paradoxalement, l’usine est la fois la salvatrice, celle qui donne du travail, celle qui fait vivre un quartier, une ville… et celle qui offre la mort et la désespérance avec les accidents du travail qui peuvent faire disparaître en quelques instants un père ou un mari, qui peut réduire à néant une vie, une usine qui pollue de façon durable et dramatique, une pollution qui amuse aussi les enfants qui peuvent patauger dans une mare porteuse de maladie, de mort…

Les habitants du quartier ne peuvent même plus se révolter. Ils ont une sorte de reconnaissance du ventre qui les rend dépendants de l’usine nourricière. Les enfants, eux, semblent en retrait car ils ne peuvent pas comprendre une telle situation, eux qui voient leurs parents se tuer au travail, eux qui comprennent bien que l’opulence n’est pas là…

Davide Reviati n’est pas pour autant agressif pour cette société. Il est comme les autres, reconnaissant envers l’usine, une usine qui fait vivre. Il vit le présent de sa jeunesse à fond, pense que l’amitié est un sentiment fort et constructeur. Quant au foot… il n’est pas Italien pour rien et jouer avec cette petite balle est rassurant, au moins on a l’impression de maîtriser l’avenir…

Ce grand récit de jeunesse nous montre une jeunesse difficile mais pas désespérante et c’est ce qui donne ce sentiment mitigé à la fin de l’album. Que doit-on penser ? Faut-il condamner l’homme qui a industrialisé la région et qui domine tout le monde, qui pollue tout ? Faut-il rejeter ce Enrico Mattei, puisqu’il s’agit bien de lui ? Faut-il plaindre ces enfants qui tapent dans la balle ? Doit-on ne voir dans ce récit que des souvenirs d’enfance, à peine teintés de nostalgie ? Ou, ne faudrait-il pas voir là comme un témoignage d’une violence totale prouvant que le système enlève à tous les jeunes l’innocence de la jeunesse en les plaçant en état de veille, c’est à dire en position de tout comprendre et faire semblant pour le pas décevoir leurs parents, ces adultes qui ont déjà tellement de difficulté à vivre…

La narration graphique est d’une force incroyable, le dessin en noir et blanc nous plonge dans la grisaille de la vie, dans une désespérance ordinaire. Chaque mot, chaque phrase, chaque dialogue a une importance, une justesse, est une pièce de vérité, un témoignage ultime avant que tout sombre, que l’usine, sa pollution et sa rentabilité n’engloutisse le quartier et ses âmes…

Une merveille de noirceur et d’insouciance à la fois. J’ai adoré !

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Les éditions

  • État de veille [Texte imprimé] Davide Reviati traduit de l'italien par Céline Frigau
    de Reviati, Davide (Scénariste)
    Casterman
    ISBN : 9782203036086 ; 28,00 € ; 12/01/2011 ; 348 p. ; Album
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L’âge ingrat

7 étoiles

Critique de Aaro-Benjamin G. (Montréal, Inscrit le 11 décembre 2003, 55 ans) - 8 août 2014

Cette bédé capture admirablement la fin de l’enfance et le long purgatoire de l’adolescence de l’auteur. L’utilisation du noir et blanc se prête très bien à l’intention.

Je n’ai pu identifier s’il s’agit d’un hommage? Car curieusement, pour un roman graphique qui se veut un retour mélancolique sur la jeunesse, les personnages sont hideux. Le trait est grossier, les défauts corporels sont accentués. Ce n’est pas une lacune de talent du dessinateur. Parfois, il y’a des personnages illustres, qui eux sont dessinés avec une précision minutieuse. Peut-être l’auteur voulait démontrer que l’adolescence n’est pas une période gracieuse pour les garçons ?

Je retiens essentiellement le contraste entre le mouvement et l’ennui. Entre les scènes de foot et celle de procrastination. Une bédé intéressante, mais plutôt une œuvre d’atmosphère qu’un « roman » graphique comme tel. Sympathique tout de même.

Une enfance italienne

7 étoiles

Critique de Pucksimberg (Toulon, Inscrit le 14 août 2011, 44 ans) - 6 juillet 2014

Davide Reviati réalise un roman graphique qui est une véritable plongée dans le monde de l'enfance. Le lecteur suit un groupe de garçons italiens qui vivent dans un quartier ouvrier un peu en marge de la ville, loin des magasins et des restaurants, mais proche d'une usine polluante, puante et quelque peu meurtrière si l'on considère ces oiseaux morts découverts au sol. Ce petit univers ne bascule pas dans la misérabilisme, l'on suit ces garçons qui jouent au foot avec entrain comme tout garçon italien, font des blagues, témoignent d'une certaine cruauté envers les animaux, fait sans doute propre aux enfants qui n'ont pas vraiment la mesure de la cruauté. Ces histoires sont pleines de vie, ça crie, injurie, rit, court dans tous les sens. Toutes ces anecdotes sont vues à travers le regard d'enfants, donc le réel est transfiguré, c'est sans doute ce qui fait le principal intérêt de ce roman graphique.

La confrontation regard de l'enfant/regard de l'adulte est intéressante. L'on a parfois le sentiment d'avoir perdu l'essentiel en devenant des adultes réfléchis. Certaines scènes sont empreintes d'une certaine nostalgie, d'un monde que l'on ne peut plus revivre à cause de ce temps que l'on ne peut freiner.

Les dessins sont en noir et blanc, mais tout à fait en accord avec le contexte dépeint, ancré dans une réalité italienne. L'auteur parvient à donner de la vie à ce qu'il décrit. Sans forcément, être face à des histoires novatrices, le lecteur se laisse séduire par ce monde de l'enfance, cruel et libre, joyeux et insolent. Ce n'est pas tant l'histoire qui est captivante, mais son ancrage dans un monde ordinaire qui permet au lecteur de s'identifier.

Manque quelque chose

5 étoiles

Critique de Nance (, Inscrite le 4 octobre 2007, - ans) - 13 juin 2014

« Puis cet été-là, le dernier. Le temps commençait à défiler et il ne s’arrêtera plus. Tout était déjà différent et tout était toujours pareil. »

La fin de l’innocence d’un groupe de garçons laissés à eux-mêmes d’un village ouvrier sous la gouverne d’une usine, à la fois bienfaitrice et destructrice.

Une bande dessinée sombre et intéressante, mais ça ne m’a pas happé. J’aurais voulu plus, peut-être plus de clarté. Dénonciateur, mais trop flou.

Le mal toxique et invisible, comme un couvercle

6 étoiles

Critique de Blue Boy (Saint-Denis, Inscrit le 28 janvier 2008, - ans) - 3 avril 2014

Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à la catastrophe de Seveso à la lecture de cette BD qui tient davantage du roman graphique basé sur les souvenirs de l’auteur. Le récit est parcouru par une tension diffuse et angoissante à peine distanciée par la poésie de l’enfance. Car c’est bien au travers du prisme de l’insouciance incarnée par ces enfants qui ne sont là que pour laisser libre cours à leur énergie vitale et joyeuse, cruelle parfois, qu’est racontée cette histoire. L’empire glauque de la pétrochimie contre l’empire de la rêverie et des jeux.

L’indifférence des adultes cloîtrés dans leur fatalisme, silencieux sur les morts prématurés, rendus aigris par leurs peurs et leurs renoncements, est évoquée de manière empathique. Il fallait bien nourrir et élever ses enfants, alors comment faire autrement qu’honorer, de façon un peu honteuse, le démiurge « légendaire » M. Mattei ?, à la fois bienfaiteur et empoisonneur, à la fois constructeur de l’usine et de la ville-dortoir qui ressemble davantage à une prison à ciel ouvert où les rêves se cognent sur un plafond de verre invisible et maudit...

Le trait, charbonneux et hachuré, contribue à instaurer un climat menaçant, mais n’en reste pas moins plaisant à l’œil et bénéficie d’une mise en page libre et créative. Une façon pour l’auteur de faire coexister graphiquement la tension et l’insouciance poétique. Je dirais que cela se regarde plus que cela ne se lit, c’est une sorte d’expérience hallucinée dans un monde souillé, fermé sur lui-même, d’ailleurs on a vraiment l’impression que les gens y sont parqués, à la faveur des rondes de police. Une police qui veille à ce que toute cette jeunesse ne découvre pas le pot aux roses, parce qu’une catastrophe est si vite arrivée, ce qui en dit long sur les conditions de sécurité…

Pour ma part, j’ai trouvé que le récit avait tendance à se diluer dans ses digressions poétiques et souffrait de répétitions qui n’apportaient pas forcément grand-chose. Si je reconnais les qualités graphiques et poétiques de l’ouvrage, il me semble que l’auteur aurait pu compacter davantage, même si cela reste fluide malgré les 340 pages.

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