Niki, l'histoire d'un chien de Tibor Déry
Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone
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La pierre et le caillou
La semaine dernière, à la radio, une dame qui participait à une émission sur ce livre déclara au bout de trois minutes : « Bon je voudrais dire maintenant aux auditeurs qu’il faut qu’ils ferment le poste et qu’ils aillent acheter ce livre qui vaut 7,5 euros.. Je voudrais faire connaître ce livre et on va forcément le gâcher dans la conversation qui suit parce qu’on raconte la fin (même) si ce n’est pas un roman à suspense. » Que cette dame me permette d’en dire autant en vous demandant de ne pas lire plus avant ces lignes et d’aller dés maintenant chez votre libraire. Car « Niki, l’histoire d’un chien » est un vrai chef d’œuvre.
Pour ceux qui ne me croient pas sur parole, et je peux comprendre leur réticence, disons que nous sommes en 1948 dans une « Hongrie ravagée par la guerre » où un couple ordinaire de communistes campagnards, sincères et bienveillants, mène une vie simple mais ternie par la perte d’un enfant, tué à la guerre. Cet ordre établi va être perturbé par l’intrusion d’une petite chienne, Niki, qui va tourner autour de M.Ancsa. Il résiste à la prendre chez eux car « l’affection n’est pas seulement un plaisir pour le cœur mais aussi un fardeau qui oppresse l’âme autant qu’il la réjouit ». Il essaie de la chasser mais elle ne comprend pas. Par ruse et flatterie, elle se fait adopter et petit à petit investit la maison.
M.Ancsa, « homme moralement intransigeant » est jugé digne par le Parti Communiste de diriger une fabrique « en dépit de sa qualité d’intellectuel », qualificatif dû à sa formation d’ingénieur. Il est euphorique, Niki est joyeuse. On s’installe à Budapest et la chienne doit s’adapter à son nouvel environnement. M.Ancsa a vite la disponibilité pour ce faire car il est promptement relevé de ses fonctions pour, par « zèle excessif », n’avoir pas voulu passer l’éponge sur une affaire de corruption. Il ne comprend pas.
Il retrouve un emploi subalterne mais sa confiance est ébranlée quand il apprend l’arrestation et la rapide condamnation d’un ministre, pourtant vieux communiste. Il devient « taciturne à l’image de tout le pays ». La chienne le ressent, en souffre et ne comprend pas. Toute absence, aussi courte soit-elle, est, pour elle, incompréhensible et source d’un profond désarroi alors que pourtant « l’abus de pouvoir, ce vice funeste, ce foyer d’infection qui est le propre de l’homme, ce choléra était chose inconnue dans la maison Ancsa. » M.Ancsa est arrêté, emprisonné sans qu’on sache la cause, et on sait bien aujourd’hui qu’il n’y en avait pas. Mme Ancsa perd son emploi et en dépit de son dénuement garde Niki, malgré la taxe que les possesseurs de chiens, ces êtres inutiles, doivent acquitter. Elle ne comprend pas.
Je n’irai pas plus loin même si vous imaginez la fin. Ici encore, l’important est la façon dont Déry le raconte. Ce roman d’une grande richesse est une fable sur l’incompréhension, celle des hommes et celle de cette petite chienne qui ne vit que du bonheur de ce couple et l’accompagne dans les aléas de la vie de la Hongrie des années 1948 à 1955. Une histoire d’incompréhension qui gangrène la confiance des hommes à qui on ne juge pas utile de donner des explications puisqu’elles ne sont qu’abus de pouvoir. Déry raconte avec une émotion retenue, une exquise délicatesse et sans aucun pathos un amour tendre et absolu traversé ici ou là de bouffées poétiques.
Il sait admirablement décrire cette petite chienne avec ses roueries, ses bonheurs de promenade, son état de « réceptivité amoureuse », ses désobéissances pour mieux s’offrir aux « caresses du pardon ». C’est aussi un roman où le temps qui passe se mesure au changement du nom des rues, les nouveaux annonçant une main mise totalitaire sur le pays et donc un roman politique d’une ironie aussi grinçante que cruelle, l’auteur conduisant le lecteur là où il s’y attend pas. Ainsi le peuple parce qu’il est divers, est-il à la fois solidaire et hargneux. Ainsi la famille de colocataires qu’on impose à madame Ancsa est-elle gentille et discrète alors que tant de livres ont décrit la colocation comme une des plaies du communisme. Tout ceci sans appuyer, sans démonstration, peut-être tout simplement pour embobiner le censeur chargé de donner le bon à tirer.
Ce roman a été publié en 1955, peu avant la Révolution de l’automne 56 dont Déry fut un des porte-parole. Après quatre ans de prison, il accepta (mais avait-il le choix ?) de ne pas critiquer le régime de Janos Kadar. Quand on sait les souffrances que le totalitarisme et l’abus de pouvoir ont engendrées, il serait indécent de lui jeter la pierre, cette pierre, ce caillou qui faisait tant la joie de Niki quand M.Ancsa la lui lançait.
J’espère que vous êtes déjà chez votre libraire !
Les éditions
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Nikki ou L'histoire d'un chien [Texte imprimé] Tibor Déry traduit du hongrois par Imre Laszlo postface de Lászlo F. Földényi
de Déry, Tibor Laszlo, Imre (Traducteur)
Circé / Circé-poche (Saulxures)
ISBN : 9782842422844 ; 7,70 € ; 01/05/2010 ; 157 p. ; Broché
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Une vie de chien
Critique de Cyclo (Bordeaux, Inscrit le 18 avril 2008, 78 ans) - 6 décembre 2013
Niki décrit une humanité vue à travers le prisme d'une chienne qui, bien sûr, ne comprend pas tout à fait tout ce qui se passe. L'auteur nous rappelle que "la science ne sait pas grand-chose du corps de l'homme et encore moins de celui de l'animal. Et de l'âme donc. Sans parler des relations entre le corps et l'âme, aussi peu connues, pour le moment, qu'une forêt vierge du Brésil". Tibor Déry se sent donc tout à fait libre de traiter l'animal à l'égal des humains, avec ses défauts, mais aussi surtout sa capacité d'aimer : "l'amour ne saurait tenir compte du mérite, sous peine de devenir un marché", c'est en cela que les Ancsa aiment leur chienne, qui ne le mérite pas forcément toujours. Il s'agit d'un conte moral et politique où, en filigrane, les difficultés liées à la dictature s'insèrent tout naturellement, et d'autant plus tragiquement que les personnages sont communistes. Les thèmes principaux, la liberté et l'amour, sont ici mêlés aux contradictions d'une société qui frôle l'absurdité, dans un contexte de peur généralisée. Le communisme semble avoir oublié l'homme ("le propre de l’homme est d’attendre davantage d’autrui que de soi-même", nous rappelle l'auteur), seul l'amour pourrait être un salut.
L'auteur a écrit et publié ce livre en 1955, juste avant la révolution de 1956, où il prendra une belle part, ce qui lui valut quelques années de prison. Ici, il ne peut guère écrire dans une liberté totale, la censure règne, mais de-ci de-là, il laisse filer quelques phrases assez sévères sur le régime stalinien : "L’abus de pouvoir, ce vice funeste de tous les rois, chefs, dictateurs, de tous les directeurs, chefs de service, secrétaires, de tous les bergers, vachers et porchers, de tous les chefs de famille, de tous les éducateurs, de tous les frères aînés, de tous les vieux et de tous les jeunes ayant charge d’âme, cette puanteur, cette maladie, ce foyer d’infection qui est le propre de l’homme et qui ne se développe chez aucun autre fauve sanguinaire, cette malédiction et ce blasphème, cette guerre, ce choléra était chose inconnue dans la maison Ancsa".
Budapest (et choléra)
Critique de Patman (Paris, Inscrit le 5 septembre 2001, 62 ans) - 16 septembre 2011
Un livre superbe, une écriture qui coule de source, belle, légère et même drôle parfois malgré le sujet abordé. Une vraie belle découverte. Vous l'aurez compris, j'ai A-DO-Ré !
Un petit être adorable dans une Hongrie qui se déshumanise.
Critique de Tmichel (, Inscrit(e) le 18 juillet 2010, - ans) - 9 avril 2011
"Niki, L'histoire d'un chien" (1955), [Circé / Poche] est un livre exceptionnel. Un roman qui relate la vie d'une chienne très attachante aux côtés de ses maîtres, dont elle partage la vie à la campagne, d'abord, dans un univers à la fois modeste et idyllique, à Csobanka, puis dans l'atmosphère de plus en plus confinée, irrespirable, d'un appartement de la capitale, Budapest, dont seul le Danube compense, à peine, l'absence d'espace vital. Parallèlement, le couple des Ancsa subit, et leur animal avec eux, les vicissitudes d'une Hongrie mise au secret par un régime totalitaire sous lequel on risque quotidiennement de perdre son humanité. C'est paradoxalement Niki qui permet à ce couple menacé de garder la sienne, plus précisément celle de l'épouse Ancsa. Car après avoir perdu leur enfant que les Ancsa adoptent (ou plutôt sont adoptés par) l'adorable petit être qu'est Niki. De même, c'est par un va et vient du même type (que je m'en voudrais de dévoiler) que se termine cette poignante petite histoire. Quand on a refermé le livre, on a l'impression, malgré la simplicité de l'histoire, que l'on a lu en fait un véritable récit allégorique à la résonnance philosophique et politique.
Le narrateur nous livre une histoire teintée de poésie (les descriptions de la nature sont merveilleuses) et d'humour: ses interventions, parfois sentencieuses comme un rapport de congrès du parti, avec d'ironiques et pourtant judicieuses tentatives d'objectivité philosophique, ne sont jamais ennuyeuses mais au contraire savoureuses. Elles établissent entre le lecteur et lui une connivence sympathique. Il réussit ainsi à faire prévaloir le point de vue de Niki sans sensiblerie, sans puérilité, sans invraisemblance, rendant justice à l'humanité de cette bête.
Puissions-nous en déduire ce que nous devons à nos compagnons quadrupèdes!
Ames délicates: ne pas s'abstenir, bien au contraire!
Merveilleux, dans le dit et le non-dit
Critique de Tanneguy (Paris, Inscrit le 21 septembre 2006, 85 ans) - 3 mars 2011
A mon avis il est possible d'adopter deux "grilles de lecture" pour ce conte merveilleux : l'analyse des rapports homme-chien domestique et de la "psychologie" des animaux, et l'on est transporté par la finesse et la simplicité du récit. Et par ailleurs, la situation en Hongrie pendant cette période entre 1948 et la veille de 1956 : le parti communisme prend le pouvoir et le consolide. Ceci est suggéré par de petites touches discrètes sans acrimonie, chaque fois en faisant le parallèle entre le comportement des humains et celui des animaux.
Dans la postface, le commentateur évoque Sandor Marai à juste titre de mon point de vue (voir Mémoires de Hongrie) et j'espère que les éditeurs auront à coeur de nous proposer d'autres ouvrages de cet auteur quasi inconnu en France. Il est vrai que la traduction du hongrois n'est pas chose facile
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