Quand Simone Weil passa chez nous de Jean Duperray
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Un très bon portrait...
Généralement, pour parler d’un philosophe, on fait appel à un autre philosophe, voir même un enseignant de philosophie. Le résultat est immédiat et sans surprise : on obtient un discours érudit, inaccessible et parfois soporifique. En livre cela donne naissance au calvaire des étudiants ! S’il nous prend l’envie de l’ouvrir avant de se coucher, il nous tombe des mains et on ne peut pas franchir la dixième page… Vous avez compris que j’exagère quelque peu, mais vous savez bien que je suis près de la vérité et vous pourriez illustrer mon propos avec quelques titres sorti tout droit de votre mémoire de lycéen. Combien avons-nous croisé d’ouvrages sur Kant ou Pascal répondant à cette description ? Beaucoup ! Beaucoup trop !
Simone Weil est une philosophe d’un genre si particulier que les meilleurs ouvrages sur elle et sa pensée, sur sa vie et ses engagements, sont signés d’un agriculteur, d’un prêtre aveugle, d’un jeune instituteur, d’une femme politique oubliée de tous ou d’un journaliste peu médiatique. Oui, c’est ainsi et cela démontre certainement que cette philosophe voulait avant tout s’adresser à tous, pas seulement à une élite intellectuelle.
Jean Duperray a eu la chance de rencontrer Simone Weil entre 1932 et 1933. Il était jeune, instituteur et syndiqué. Pas syndiqué pour protéger ses petits droits, mais il s’était engagé dans un groupe qui oeuvrait pour aider la classe ouvrière, pour la défendre, l’éduquer ! Elle, Simone, était professeur de philosophie dans un lycée pour filles. Elle, aussi, était syndiquée et voulait aider les ouvriers en les élevant, en leur donnant accès à la philosophie, un peu comme Michel Onfray et son université populaire… De cette rencontre, de ces combats communs, Jean Duperray en tire un portrait touchant, profondément humain, charnel pourrait-on dire.
Engagée, fortement politisée, Simone voulait, par son exemple, lutter contre « la honteuse séparation entre le travail intellectuel et le travail manuel ». Elle trouvera d’ailleurs, plus tard, une expérience de cette nature quand elle ira dans les vignes avec Gustave Thibon en parlant de la philosophie grecque ou en récitant des vers de Victor Hugo… Mais, en attendant, elle ne veut pas se laisser enfermer dans la théorie révolutionnaire. Elle donne l’exemple : elle n’hésite pas à reverser une grande partie de son traitement pour ne garder que l’équivalent de l’indemnité chômage. Il lui faut vivre comme le plus petit des manuels, c’est à dire celui à qui on a tout enlevé, y compris son travail. Le travail intellectuel ne doit pas la protéger…
Avec simplicité et beaucoup de tendresse pour Simone Weil, Jean Duperray montre comment il lui arrivait de ne pas se faire comprendre des ouvriers, il raconte ses blagues qui tombaient dans le vide, ses maladresses qui la rendaient si fragile. N’oublions pas qu’elle était incapable de gestes précis, qu’elle n’arrivait pas à maîtriser son corps avec attention et qu’elle souffrira énormément quand elle voudra connaître l’expérience ouvrière en usine. Anecdote connue mais qui en dit long sur cette incapacité, quand elle ira en Espagne pour participer à la guerre civile, elle reviendra blessée en s’étant brûlée en préparant le repas…
Et pourtant les ouvriers l’aiment bien, la respectent. Elle est comme la grande sœur, la copine, celle qui adoucit la vie, la vierge rouge. Jean Duperray écrit, en hommage à la pédagogie ouvrière de la philosophe : « La pensée de Simone Weil devenait chaque jour pour nous moins inaccessible ; nous la voyions se développer et vire avec elle, sous nos yeux. »
Simone est alors marxiste et révolutionnaire, mais ceux qui l’ont connue par la suite, qui ont croisé son chemin lors de sa marche vers Dieu et l’absolu, auraient pu utiliser les mêmes expressions. Oui, on pouvait voir la pensée de Simone Weil prendre son envol, juste en vivant à ses côtés. Tout simplement !
Tous ceux qui aiment cette philosophe prendront beaucoup de plaisir à lire ce portrait vivant, témoignage d’une période intense de la vie de cette jeune femme. Cela ne doit d’ailleurs pas dispenser ceux qui ne la connaîtraient pas encore de partir à sa découverte, par exemple avec la lecture de ce petit texte très accessible de Duperray, ou en choisissant ce qui est, à mes yeux, comme la meilleure synthèse de la pensée de Simone Weil, « La pesanteur et la grâce ». Il s’agit d’un recueil réalisé par Gustave Thibon à partir de cahiers que lui avait confiés Simone en le quittant, durant la guerre, pour la France Libre.
Les éditions
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Quand Simone Weil passa chez nous [Texte imprimé], témoignage d'un syndicaliste et autres textes inédits Jean Duperray édition présentée par Éric Dussert
de Duperray, Jean Dussert, Éric (Préfacier)
Éd. Mille et une nuits
ISBN : 9782755501469 ; 7,62 € ; 15/09/2010 ; 96 p. ; Broché
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