L'homme qui regardait passer les trains de Georges Simenon
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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«Quand l’impossible franchit soudain les digues de la vie quotidienne»
En janvier 1939, Simenon confie, dans une lettre à André Gide : « A vingt ans j'avais écrit : – Je publierai mon premier roman à trente ans. A trente ans je décidais : – Je vais écrire pour vivre, pour apprendre la vie, des romans semi-littéraires et j’écrirai mon premier vrai roman à quarante ans. J'en ai trente-six aujourd’hui. Je suis un tout petit peu en avance, mais pas tant qu'il y paraît car je suis encore loin du compte. »
L'homme qui rédige ces lignes, c’est vrai, est « un tout petit peu en avance »… Arès avoir commis, dans les années 20, quelques centaines d'œuvres purement alimentaires sous divers pseudonymes, il vient de publier, en un peu moins de dix ans, 12 recueils de nouvelles et 59 romans, dont beaucoup appartiennent à la série des Maigret, mais dont quelques-uns sont des œuvres véritables, reconnues comme telles par le « cher Maître » André Gide qui, le 31 décembre 1938, écrivait à Simenon : « Vous avez eu la gentillesse de me mettre une dédicace à La Marie du Port, cela veut-il dire que vous attachez une particulière importance à ce livre ? [.] Le Suspect, Les soeurs Lacroix, L’Homme qui regardait passer les trains, ne me paraissent nullement inférieurs et vraiment d'une réussite parfaite. »
L'Homme qui regardait passer les trains. Rédigé en 1937 (neuf romans en tout cette année-là !), publié chez Gallimard en 1938, le roman est centré sur le personnage de Kees Popinga, qui semble résumé tout entier dans le titre : « Certaine émotion furtive, quasi honteuse, qui le troublait lorsqu'il voyait passer un train, un train de nuit surtout, aux stores baissés sur le mystère des voyageurs. » « S'il préférait les trains de nuit, c’est qu'il voyait en eux quelque chose d’étrange, de presque vicieux… » « Chez moi, ou plutôt chez ma femme, j’ai envié pendant seize ans les gens qui sortent le soir sans dire où ils vont, ceux qu'on voit passer au bras d’une jolie femme, ceux qui prennent des trains et qui s'en vont ailleurs… » Car Kees Popinga n’est jamais parti. Kees Popinga, qui possédait un diplôme de capitaine au long cours, est resté au sol, est resté à l'ancre, dans sa belle maison de Groningue. Pas de voyage au long cours, non… mais : « Les choses suivaient leur cours. Carl, le gamin qui, lui, avait treize ans, tendait son front à sa mère, puis à son père, embrassait sa sœur et montait se coucher. Le poêle faisait toujours entendre son ronflement et Kees demandait par habitude : – Qu’est-ce que vous faites, maman ? Il disait maman à cause des enfants. – Je dois mettre à jour mon album. » Une maison de première qualité. Un poêle de première qualité. Une épouse de première qualité. Une vie de première qualité. Et pourtant.
Pourtant, il suffit que Kees sorte dans la nuit noire de ce 22 décembre pour que tout s'éclaire en lui. Il suffit qu’il aperçoive son patron, l'honorable Julius de Coster le Jeune, dans un café « vergüning » (où l’on débite de l'alcool) ; il suffit que Julius de Coster le hèle, lui annonce tranquillement la faillite de son entreprise, lui démontre en quelques mots que « tout ce en quoi il avait cru jusqu’alors n’existait pas », il suffira de presque rien, et. « l’impossible franchit soudain les digues de la vie quotidienne ». Le destin de Kees Popinga est lancé. Bientôt, à son tour, il prendra un train de nuit. Bientôt, il agressera Pamela, la maîtresse de Julius de Coster le Jeune. Bientôt, il jouera aux échecs avec la police parisienne. Bientôt, il deviendra. le satyre d’Amsterdam ? un fou ? un amnésique ? un vicieux ? un paranoïaque ? un amateur ? Qui connaîtra « la vérité sur le cas de Kees Popinga » ? Y a-t-il une vérité ? Ce qui fait la grandeur de ce livre, c'est l'errance solitaire d'un homme qu'un minuscule accroc pousse à « aller jusqu’au bout de lui-même » dans un « rétrécissement progressif du champ de manœuvres, de la vie » (selon l’expression de Gide) qui le conduit vers la nudité, vers l’anéantissement, vers les larmes…
« Pendant quarante ans, je me suis ennuyé. Pendant quarante ans, j'ai regardé la vie à la façon du petit pauvre qui a le nez collé à la vitrine d’une pâtisserie et qui regarde les autres manger les gâteaux. Maintenant, je sais que les gâteaux sont à ceux qui se donnent la peine de les prendre. »
L’Homme qui regardait passer les trains, ou la découverte de l'absurde. La même année que La Nausée. Quatre ans avant L’Etranger. Un auteur secondaire, Simenon ?
Les éditions
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L'homme qui regardait passer les trains [Texte imprimé] Georges Simenon
de Simenon, Georges
Gallimard / Folio. Policier
ISBN : 9782070408368 ; 7,50 € ; 07/12/1999 ; 260 p. ; Poche
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Les critiques éclairs (4)
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La caque sent toujours le hareng…
Critique de Pierrot (Villeurbanne, Inscrit le 14 décembre 2011, 72 ans) - 24 février 2020
Simenon décrit ici le chemin de croix d’un homme ordinaire, avec brio.
Déchéance
Critique de Catinus (Liège, Inscrit le 28 février 2003, 73 ans) - 5 janvier 2012
Tout au long de ce roman, qui finit par être bien triste, on assiste à la longue déchéance de Kees – sujet de prédilection de l’ami Georges - et qui finira dans l’aliénation.
Deux particularités – au moins - de ce roman : d’une part, l’action se déroule durant les fêtes de fin d’année, Noël et nouvel-an. Et si vous avez lu » Lettre à mon juge «, vous trouverez également plusieurs pages où Popinga tente, si pas de justifier, mais d’expliquer les motivations de son crime.
Autant dire un bon Simenon (je me demande s’il en est de mauvais d’ailleurs …).
Extraits :
- Vous avez des taches de rousseur … C’est amusant …
- « Vous ne trouvez pas qu’il a l’air un peu cinglé ! «
Et un cheminot conclut :
« C’est tous les étrangers la même chose. Rapport à ce que nous ne les comprenons pas … »
- Maintenant je sais que les gâteaux appartiennent à ceux qui se donnent la peine de les prendre.
Je suis d'accord: un grand livre!
Critique de Leslilas (Como_ Italia, Inscrite le 29 mai 2005, 66 ans) - 22 juillet 2006
Dans l’espace de trois mois j’ai eu l’occasion de lire trois livres de ce magnifique auteur. Le dernier a été « L’ homme qui regardait passer les trains » ( L’uomo che guardava passare i treni).
Je l’ai lu dans la traduction italienne, même si je pense que je devrais m’efforcer de le lire en original…
J’ai trouvé ce livre vraiment passionnant : le personnage de Popinga est dessiné avec une touche psychologique intense et précise. On est emporté à suivre le changement imprévu de la vie quotidienne de cet homme, un homme normal, un homme qui ne devient pas fou ( comme on peut croire à une lecture superficielle du livre) mais qui, au contraire, utilise toutes ses facultés de logique et de raisonnement pour engager une espèce de match entre lui et le sens de sa vie ( qui de fois en fois prend les vêtements d’un journaliste, d’un Chef de Police etc) . Le livre donne des pages qui le font ressembler aussi au thriller, même si a une signification qui enjambe l’histoire en soi, pour s’étendre à la vie de chacun de nous. Une lecture conseillée à tous !!
Un grand auteur...et un grand livre
Critique de Patman (Paris, Inscrit le 5 septembre 2001, 62 ans) - 7 novembre 2002
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