Le grondement de la montagne de Yasunari Kawabata

Le grondement de la montagne de Yasunari Kawabata
(Yama no oto)

Catégorie(s) : Littérature => Asiatique

Critiqué par Vigno, le 12 mars 2002 (Inscrit le 30 mai 2001, - ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 5 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (3 364ème position).
Visites : 8 356  (depuis Novembre 2007)

Le temps des regrets

Vous prenez une famille nippone, en banlieue de Tokyo, au sortir de la Deuxième Guerre Mondiale. Il y a le père et la mère, deux vieillards dans la soixantaine; il y a aussi le fils et la bru; et la fille séparée avec ses deux jeunes enfants. Tout ce beau monde habite ensemble, sous l'œil vigilant du patriarche Shingo.
« C'était une nuit de lune. [.] Soudain le grondement de la montagne parvint jusqu’à Shingo. Il n'y avait aucun vent. La lune était aussi lumineuse qu’une pleine lune, la nuit un peu humide, et le contour des arbres qui dessinaient de petites montagnes, flou, mais immobile dans l’air inerte. » […] Le bruit cessa. Alors Shingo fut effrayé. Il frissonna comme si l’heure de sa mort lui avait été révélée. »
Qu’avait été sa vie? Qu'était-elle? Il n’avait aimé qu’une femme, mais il avait dû se résoudre à épouser sa soeur. Mariage morose, sans amour. Le pire, c’est que sa fille et ses deux petit-enfants ressemblaient trop à sa femme, donc ne l’attiraient pas vraiment. Bien sûr, il y avait son fils, mais revenu de guerre, transformé, méconnaissable. Ce fils qui fréquente les prostituées, qui fait un enfant à une veuve de guerre. Ce fils qui lui fait honte. Il ne lui reste que Kikuko, sa bru. A l’image de l'ancienne femme aimée.
Une véritable communion lie ces deux êtres. Délaissée par son mari, Kikuko est pleine d’égards pour son vieux « père ». Et Shingo lui rend bien. Leur commun amour de la nature, le partage d'une délicatesse de sentiment qui frôle sans doute l'amour.
Bref, une histoire banale. Du quotidien, des discussions, un peu de bureau, le voyage en train soir et matin, le temps des repas. Mais à la manière Kawabata. Pleine de sous-entendus, des actions esquissés restées en suspens, des rêves inexpliqués, une délicatesse dans l’observation.
Et la nature omniprésente, la nature qui apaise les angoisses, la nature refuge. Les tournesols, les lys noirs, les érables rouges, les acacias, deux pins perdus à l’horizon.
Et la beauté. des jeunes femmes. La vénération de leur jeunesse, cette jeunesse perdue, le temps de l’amour, le temps du bonheur et des commencements. Comment ignorer le « tracé des racines de cheveux » ou «
la courbe qui descend de la mâchoire à la gorge » d'une jolie jeune fille? La beauté, la jeunesse, le paradis perdu.
Traduit du japonais par Sylvie Regnault-Gatier et Hisashi Suematsu

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Le désir dans un simple regard !

8 étoiles

Critique de Frunny (PARIS, Inscrit le 28 décembre 2009, 59 ans) - 19 octobre 2013

Né en 1899, Kawabata Yasunari est un écrivain majeur de la littérature moderne japonaise. Il est considéré comme l'un des représentants les plus doués de l'école néosensualiste. Après s'être attaché- dans plusieurs romans -à décrire la vie de bohème dans le quartier populaire d'Asakusa, il entreprend en 1935 la rédaction de ce qui reste sans doute son chef-d'œuvre absolu: Yukiguni (Pays de neige), qu'il n'achèvera qu'en 1947.
En 1968, il reçoit le prix Nobel de littérature, ce qui contribue à faire largement connaître son œuvre en Occident. Pourtant, il met lui-même fin à ses jours en 1972.

Shengo, homme de 62 ans conscient de son vieillissement, observe les siens que les hasards de la vie ont réuni sous le toit familial.
Ses enfants dont la vie conjugale se délite, le mènent à la réflexion.
Un questionnement sur l'existence humaine et les futilités du quotidien.
Des situations dures, conflictuelles, contrebalancées par l'omniprésence de la nature, la rêverie et une certaine sensualité.
Kawabata revisite un de ses thèmes favoris; l'Amour et la Mort comme les deux pôles de la vie.

La force de ce roman est la juste alchimie entre des histoires de vies difficiles et une atmosphère légère bercée par une nature éblouissante.
Un court roman, une oeuvre magique !

Contemplation...

7 étoiles

Critique de Shan_Ze (Lyon, Inscrite le 23 juillet 2004, 41 ans) - 26 février 2013

Voici une lecture qui m'a laissé une impression un peu mitigée, je m'attendais à une intrigue prenante mais ce sont seulement les descriptions banales d'une vie nippone racontée de manière sublime. J'ai beaucoup aimé les observations de la nature entre Shingo et Kikuko, le début d'une saison, les animaux, les arbres changeant... Sa relation avec sa belle-fille est plus profonde que celle avec sa fille, sa contemplation du corps féminin est décrite avec beaucoup de justesse. C'est un roman plein de douceur qui décrit les relations humaines et le vieillissement d'une homme à l'écoute de ce qui l'entoure. J'ai dû me faire un petit mémento avec les prénoms, j'avais tendance à les mélanger ! Maintenant que je suis accoutumée au style de Kawabata, je suis prête à lire un autre de ses livres.

Fin de parcours

9 étoiles

Critique de BMR & MAM (Paris, Inscrit le 27 avril 2007, 64 ans) - 6 décembre 2012

[...] Il lui parut étrange, au matin, ce rêve d’une île où il n’était jamais allé.

Quels délices que l'écriture de Yasunari Kawabata, prix Nobel nippon de littérature, que l'on a déjà croisé ici par deux fois avec Les belles endormies et Pays de neige.
Des trois, c'est Pays de neige qui reste le plus accessible et le moins extrême-oriental. Tandis que Le grondement de la montagne rappelle plutôt les nipponneries des Belles endormies.
Il y est encore question de la solitude(1), de la vieillesse, du regard d'un vieil homme sur de jeunes femmes. Du poids des ans, quand la tête vient à peser trop lourd sur les épaules.
Et de sommeil, le sommeil innocent ou le sommeil éternel(2).

[...] Tout à l’heure, dans le train, je me demandais si on pourrait envoyer sa tête au blanchissage ou la faire réparer. La couper… ce serait peut-être un peu violent. Mais enfin, détacher provisoirement la tête du tronc, en disposer comme de linge sale. À l’Hôpital universitaire, par exemple : « Voulez-vous vous en charger ? » Ils laveraient le cerveau, répareraient les ratés, pendant que le corps dormirait sans rêver ni se retourner. » Le regard de Kikuko s’assombrit. « Père, vous êtes fatigué ? — Oui, répondit-il. Aujourd’hui même, au bureau, je recevais quelqu’un. J’ai tiré une bouffée de ma cigarette, je l’ai posée sur le cendrier, j’en ai allumé une autre et l’ai posée sur le cendrier ; voilà trois cigarettes qui se fumaient toutes seules, en rang, toutes aussi longues les unes que les autres. J’en avais honte ! » En effet, dans le train, l’idée de se faire lessiver la tête lui était venue, mais la notion de son corps endormi l’avait séduit plus que celle d’un cerveau mis à neuf. Certes, il était las.

Car Shingo est au bout de son chemin et il entend déjà le grondement de la montagne.

[...]Shingo se demanda s’il n’entendait pas la mer, mais non, c’était bien le grondement de la montagne. Il ressemble, ce grondement, à celui du vent lointain, mais c’est un bruit d’une force profonde, un rugissement surgi du coeur de la terre. Comme il semblait à Shingo qu’il ne résonnait peut-être que dans sa tête et pouvait provenir d’un bourdonnement d’oreilles, il secoua le chef. Le bruit cessa. Alors, Shingo fut effrayé. Il frissonna comme si l’heure de sa mort lui avait été révélée.

Comme pour ajouter à l'étrangeté asiatique, les chapitres du livre sont autant d'épisodes parus à l'origine dans des journaux ou magazines nippons : il arrive donc que Kawabata rappelle ce qui s'est passé quelques pages auparavant et répète quelques scènes sous un angle légèrement différent, comme un écho du nouveau chapitre.
On y goûte tout l'art de la contemplation dont savent faire preuve les maîtres zen, et les petites scènes quotidiennes s'alignent, pages après pages, où l'on découvre la vie familiale de ces très lointains japonais.
Shingo a jadis épousé la soeur de celle qu'il convoitait, sa fille est en passe de divorcer et son fils ne rentre pas souvent à la maison où l'attend pourtant sa jeune épouse Kikuko. Une jeune femme délaissée qui allume encore quelque étincelle dans le regard vieillissant de Shingo.
Au fil des pages et des dernières saisons qui passent, le vieil homme désabusé et fatigué se demande ce qu'il y a eu de bien dans sa vie, ce qu'il faut en garder.
Il n'y verra finalement que le fait d'avoir traversé la guerre ...
__________________________
(1) - à seize ans, Kawabata avait déjà perdu parents, soeur et même grands parents ...
(2) - Kawabata se gavait de somnifères et se suicida au gaz à l'âge de 72 ans

Sublime Kawabata

10 étoiles

Critique de Dirlandaise (Québec, Inscrite le 28 août 2004, 69 ans) - 23 décembre 2006

Je viens de terminer ce livre de Kawabata et je suis enchantée de ma lecture. Avec Kawabata, on entre dans un univers de beauté, de douceur, de subtilités, de tendresse, de réflexion et de tendre amertume face à la vie, cette vie qui nous échappe et qu'on voudrait retenir mais en vain. Quel grand écrivain ! Avec le quotidien d'une famille japonaise, il nous fait entrer dans un univers qu'il nous est bien pénible de quitter. J'ai refermé le livre avec le coeur gros et beaucoup d'émotion. Un chef d'oeuvre de respect pour l'humain et sa perception des petits miracles de la vie qui nous entourent et qu'on laisse passer sans les remarquer ni savourer toute leur beauté. Quel bonheur de lire Kawabata ! Un livre tellement beau et rempli de symboles qu'il mérite d'être lu et relu afin de bien en savourer toutes les subtilités et toute la sublime sensibilité.

"Trois coloquintes pendaient de la tige que sa belle-fille tenait à la main. Chaque matin, pendant sa toilette, Shingo pouvait admirer ces coloquintes rouges dans la montagne, au-dessus des hautes graminées. Maintenant, dans la maison, leur teinte était encore plus éclatante.
La jeune femme apparaissait aussi dans le champ visuel du vieil homme. Chez elle, la courbe qui descend de la mâchoire à la gorge était d'une indicible fraîcheur. Il avait fallu plusieurs générations pour en arriver là, songea Shingo, que cette pensée attristait un peu. La coiffure dégageait la gorge et le cou, et le visage paraissait amaigri.
Naturellement, le vieillard était conscient depuis longtemps de la beauté de cette courbe et du long cou mince, mais - cela tenait-il à la distance, à l'angle sous lequel il la regardait ? - elle ressortait plus que d'habitude. Peut-être l'éclat de l'arrière-saison y contribuait-il.
Cette ligne de la mâchoire à la gorge soulignait encore un charme juvénile, mais elle commençait d'envelopper un léger embonpoint ; sa délicatesse virginale ne tarderait pas à s'effacer."

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