Qu'on lui jette la première pierre de Chester Himes

Qu'on lui jette la première pierre de Chester Himes
(Cast the first stone)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Zagreus, le 18 novembre 2010 (Inscrit le 16 novembre 2010, 40 ans)
La note : 8 étoiles
Visites : 4 553 

Cru et terriblement humain

Jim Monroe, condamné à 20 ans de pénitencier pour braquage, a 19 ans lorsqu’il est incarcéré. Détenu n°57232, Jimmy va nous raconter sa prison, celle de la routine aliénante, qui torture plus sûrement que n’importe quelle matraque. Terrifié à l'idée de passer tous ces jours et ces nuits avec des hommes dont il ne connaît ni les habitudes, ni les codes, il doit apprendre à jouer, tricher, simuler et surtout se méfier des autres.
Il attire tout de suite la convoitise des détenus qui se cherchent un « copine ». Il résiste. Pas de viol, juste une entente tacite : Jim n’est pas une « tapette », Jim n’est pas non plus un « loup » qui se cherche un compagnon.
Il assiste à une émeute de prisonniers sans y participer: des forts en gueule qui assomment un gardien. Et les représailles. Violentes, armées, mortelles. Infirme, il ne participera pas non plus aux corvées et aux différents ateliers de travaux forcés. Le faire comprendre au sous-directeur ne se fera pas sans mal, cela lui vaudra le trou.
Jim qui aime le poker tiendra des tables de jeu truquées, histoire de se faire de l’argent et de passer le temps, long, interminable et qui doit être tel pour vingt années de sa vie. Et puis un incendie tragique va rompre la routine et pousser le jeune homme jusqu'aux limites de sa santé mentale: tous ces corps calcinés pour tant de lâchetés! Mais il y a aussi sa rencontre avec Dido, l’inconstant un peu fou, hautain, à vif. Tous les deux vivront une véritable histoire d’amour(platonique)/haine...
C'est un roman qui ne cherche pas à dénoncer mais à nous faire vivre de l’intérieur cet univers carcéral qui se différencie par sa conception même : les prisonniers ne sont que très rarement en cellule, en fait ils sont réunis dans des grands dortoirs de 200 lits. Et par là, le point de vue devient très différent et original : Chester Himes n’analyse pas la prison, il la fait ressentir profondément à travers Jim, son personnage principal, son alter-ego.
Ainsi beaucoup de scènes vous restent durablement en mémoire une fois le livre refermé. La première visite au parloir de la mère de Monroe, triste, dure. La bagarre de Jim pour avoir un pantalon neuf. Les regards aimables qui cachent une jalousie ardente. Les instants de grâce dans un monde qui en manque singulièrement. L’arrivée du cinéma qui bouleverse les passions et permet à Jim de pleurer enfin, sans honte, parce qu’il a une excuse. Les folles parties de Softball dans la cour du pénitencier. Les amitiés improbables entre lui et des gardiens, certains comme Tom parce qu’ils y voient leur intérêt financier, d’autres comme le vieux Charlie par pure bonté d’âme. Et là aussi Chester Himes étonne car il suggère qu’après tout, les gardiens aussi sont enfermés dans cette prison. Tous ne sont pas gentils ou compatissants, certes, mais il y en a, c’est déjà ça.
Bref, c’est un livre qui bouscule les idées reçues (sur le racisme, l'homosexualité), un roman autobiographique (Himes écrit là une partie de sa propre histoire au travers de celle de Jimmy) dont la force est basée avant tout sur la sensation, le sentiment qui prend aux tripes et qui ne laisse pas de place à l'humour ou à la dérision. Un roman d'apprentissage d'une noirceur terrible, à la fois brutal et lyrique.
A noter que Gallimard l'a réédité en 2002, dans une version plus complète, sous le titre "Hier te fera pleurer".

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